Siège 3 : Phil Ivey
Tapis : 9,765,000 (septième place)
Origine : Né à Riverside, en Californie, mais a immédiatement déménagé avec sa famille à Roselle, dans le New Jersey (Nord-Est des États-Unis) C’est le poker qui l’a fait revenir à l’ouest au début des années 2000, d’abord à Los Angeles, puis à Las Vegas, sa principale résidence actuelle.
Âge : 33 ans
Profession : Joueur de poker « depuis toujours, ou presque » : Ivey gagne sa vie avec les cartes depuis l’âge de 20 ans. Durant les deux années qui ont précédé, il a maintenu sa bankroll à flot avec un job payé au lance-pierres dans une boîte de télé-marketing. Sa première (et probablement la dernière) incursion dans le monde du travail salarié.
Statut : Dieu vivant
Gains en tournoi (avant le Main Event) : 10,832,700$
Profil : Prétendons un instant que vous n’ayez jamais entendu parler du meilleur joueur du monde, ce qui me semble tout de même improbable. Pour vous, je me contenterai d’une description statistique qui en dit déjà bien long. Phil Ivey, c’est plus de 10 millions de dollars de gains en tournoi. Aux WSOP, c’est 35 places payées, dont 19 finales et sept victoires – jamais en Hold’em ! Au WPT, c’est 11 places payées, dont 8 finales, et une victoire (admirez le retour sur investissement : quand Phil rentre dans l’argent, c’est pour aller au bout). A côté de cela, il y a une seconde place pour l’une de ses rares apparitions à l’EPT (Barcelone, 2006), une victoire dans le Monte Carlo millions (après avoir passé le bluff le plus célèbre de l’histoire du poker contre Paul Jackson), et des tas et des tas d’autres résultats un peu partout dans le monde, dans toutes les variantes. Au Main Event des WSOP, Phil Ivey s’est classé dans le top 25 pas moins de quatre fois en dix participations. Mais cela sera sa première apparition en finale, après une cruelle dixième place en 2003 (la bulle) après un bad-beat contre Chris Moneymaker.
Mais tout cela, cela ne représente rien, ou si peu, face aux accomplissements d’Ivey en cash-game, son gagne pain depuis l’adolescence, et sa façon favorite de pratiquer le poker. Ivey a monté les échelons patiemment, à force de travail et de discipline, pour disputer aujourd’hui les plus grosses parties live et online. Il n’y a pas de partie trop chère pour lui, même celle disputée contre le Andy Beal en 2006 aux blindes 50,000/100,000$ - c’était du Limit Hold’em, et Ivey a nettoyé le dangereux milliardaire de plus de quinze millions de dollars. En ligne, les bases de données montrent une domination écrasante. Sans compter qu’Ivey est l’un des investisseurs principaux de l’une des plus grosses salles de jeux en ligne du monde. On imagine le pactole que cela représente.
Tout cela, et bien plus encore, font d’Ivey le joueur de poker le plus charismatique de la planète. Et le plus mystérieux, aussi. Avant la parution du bouquin « Deal Me In », racontant les début de plusieurs célèbres pros, bien peu de fans connaissaient l’histoire des débuts d’Ivey dans le poker, qui se confond plus ou moins avec sa vie. Saviez-vous par exemple qu’à l’âge de seize ans, Ivey passait déjà sa vie dans les casinos d’Atlantic City, passant son premier gros bluff grâce à une fausse carte d’identité au nom de « Jerome Graham » ? « Le jour de mes 21 ans », explique t-il, « Je me suis simplement pointé au casino, et j’ai révélé mon vrai nom au responsable. Il m’a félicité pour la qualité de ma fausse carte, et m’a laissé continuer à jouer. J’étais l’un de leurs meilleurs clients, de toute façon. » Moins surprenant, on apprend aussi dans ce bouquin qu’Ivey a commencé par perdre avant de devenir le joueur qu’il est. « J’ai payé mes premières leçons, bien sur. Je faisais l’aller et retour entre le casino et un job de telemarketing. » Mais le potentiel était déjà là. Car Ivey est un bosseur. « J’observais mes adversaires, même quand je n’étais pas dans le coup. A la fin de chaque session, je prenais des notes, et analysais toutes les mains que j’avais joué, je restais éveillé tard dans la nuit. »
Le reste, c’est de l’histoire : les premiers trips à Las Vegas, les premiers WSOP (en 2000, avec déjà un bracelet à la clé), le déménagement vers la côte ouest pour jouer contre Stud (sa meilleure variante) contre Larry Flynt, et la Bobby’s Room : « J’ai longtemps perdu au Bellagio, mais beaucoup moins que ce que je gagnais à Los Angeles, c’est ce qui m’a permis de continuer à apprendre, puis finalement de gagner »
Comment fait-il ? Au delà de la compréhension naturelle des cartes et de longues années de dur labeur, Ivey attribue en grande partie son succès à son indifférence à l’argent : « Aucune somme d’argent que je suis amené à miser ne me rend nerveux, aussi grosse soit t-elle. Je suis parti de rien, après tout. »
Parcours dans le Main Event : Ivey est bien entendu le seul des November Nine a avoir été suivi par les caméras d’ESPN dès le début du tournoi. L’occasion d’observer deux aspects du joueur sur une longue durée : son style de jeu, et la fascination qu’il dégage. Durant les huit jours que dure l’épreuve Ivey aura droit à toutes sortes de réactions de la part de ses adversaires : respect, crainte, adulation, dévotion, et même plus encore, témoin cette joueuse qui lui déclare sa flamme en le voyant arriver à sa table ! Dès le début, le destin d’Ivey dans le Main Event semble être écrit, avec cette paire de Rois qui craque les As d’un infortuné adversaire. Le premier éliminé d’une longue série (incluant des joueurs comme Jonas Molander, Andy Bellin ou Ricky Forenbach) Ou encore cette paire de 6 à tapis contre QQ sur un flop 875 : le turn apporte directement un 4 pour lui donner la quinte.
Mais le talent d’Ivey ne se résume pas à quelques coups de chance, bien entendu. Le meilleur joueur du monde possède cette faculté magique à gagner le maximum avec le meilleur jeu, et perdre le minimum quand il est battu. Ivey saisit toutes les occasions qui se présentent : pas un value-bet n’est manqué, pas la moindre opportunité de bluff n’est mise à l’écart. Ivey opte généralement pour l’agression à tout va (des tonnes de coups sont joués sur ce modèle : raise, bet flop, bet turn, bet rivière) mais sait aussi ralentir, avec quelques belles mains jouées subtilement pour pousser ses adversaires à bluffer. Ivey semble ne se faire payer que lorsqu’il possède la main gagnante, jamais quand il bluffe, et les livraisons en sa faveur son légion. Cependant, on ne verra pas de gros bluffs spectaculaires lors des nombreux coups diffusés sur ESPN : ce n’est pas son style. Vous me demanderez : se fait-il parfois bluffer ? Parfois, mais jamais sur de gros pots. On le voit par exemple prudemment AQ à la bulle contre un joueur qui avait limp/reraise avec KJ. Mais cela n’avait aucune importance : Ivey a littéralement terrorisé ses adversaires lors du fatidique passage dans l’argent, triplant son tapis ce jour là pour dépasser le million. Seul moment de la retransmission où le génie nous aura fait douter : lorsqu’il jette la main gagnante… au showdown ! Il n’avait pas vu que sa paire de 8 venait de se transformer en couleur. Une simple défaillance passagère…
C’est seulement lors de la cinquième journée qu’Ivey va rencontrer ses premières difficultés, son gros tapis subissant plusieurs coups pour rétrécir de manière conséquente, tombant aussi bas que 285,000. Un coin-flip favorable, et une rencontre entre KK et 99 lui permettront notamment e retrouver les jetons perdus pour attaquer le Day 6 avec sérénité. La journée la plus tendue sera la dernière, le Day 8. C’est là qu’Ivey a perdu de nombreuses confrontations, et s’est placé parmi les petits tapis de la finale. Beaucoup d’observateurs craignaient qu’il ne soit éliminé avant la finale, mais Ivey n’a pas une seule risqué son tournoi durant cette période cruciale, ne se retrouvant jamais à tapis payé. « Beaucoup auraient sauté à ma place, mais j’ai tenu. »
Médiatisation : C’est bien sur Phil Ivey qui s’est taillé la part du lion en ce qui concerne la popularité des November Nine auprès des médias. Pas un magazine de poker qui se respecte n’a manqué de mettre son visage en « une ». Le résultat, ce sont des articles à l’intérêt variable : pas facile d’arracher de bonnes réponses à Ivey, qui s’est prêté à reculons au jeu des interviews, contraint et forcé par Full Tilt. Tous mes confrères qui ont pu l’approcher le jour de la conférence de presse organisée à Londres durant les WSOP-E ont reçu la même consigne de la part de la sévère attachée de presse : « Dix minutes, pas plus ! » Ils n’en demandaient pas tant : Ivey est notoirement connu pour refuser la plupart des demandes d’interview, et plante régulièrement les rares scribes à qui il accorde un rendez-vous. Le meilleur article, c’est dans la presse sportive qu’on le trouvera : Phil Ivey est cette semaine en couverture du prestigieux ESPN Magazine. Le journaliste Chad Millman a fait le tour du monde avec Ivey, de Foxwoods à Londres en passant par Amsterdam et Montréal. Un voyage orienté à la fois « business » et « plaisir », qui nous donne la chance rare de pouvoir observer le style de vie sur-réaliste de la légende, digne des vraies stars du show-biz : jets privés, limousines, parties de craps extravagantes, sessions de golf avec Michael Jordan, textos échangés avec Michael Phelps, et fêtes backstage avec Jaz-Z. Ils ne sont qu’une petite poignée de joueurs de cartes à avoir atteint le statut de star parmi les stars : Ivey plane au dessus du lot.
Quelques citations :
« Je ne déteste pas les interviews, c’est juste que cela ne m’intéresse pas. Je suis un joueur de poker : si une partie se monte, je préfère jouer que donner une interview. »
« Les deux dernières journées du Main Event étaient dures. Il y a quelques décisions que je regrette, mais c’est le poker, on ne peut pas jouer parfaitement 100% du temps. Seul Phil Hellmuth en est capable. »
« Je n’ai pas le plus gros tapis, mais cela reste encore confortable. Il va falloir que je gagne le premier gros coup que je joue, bien sur. Il me faut assez de jetons pour pouvoir jouer mon style favori il fois que l’on sera en short-handed. Le mieux, ce serait de doubler durant la première heure… Mais c’est le plan de chaque joueur à la table, bien sur. »
« Je veux gagner. Je ne serai satisfait d’aucun autre résultat. Cela serait le plus grand accomplissement de ma vie. La première fois que j’ai regardé du poker à la télé, c’est l’année où Scotty N’Guyen a gagné. J’ai pensé : « Je veux avoir la chance de gagner un jour cette épreuve. » Et maintenant, j’ai ma chance.»
« Non, je ne vais pas prendre ma retraite si je gagne le Main Event. Pourquoi je ferais ça ? J’aime jouer. Je jouerai peut-être un peu moins, mais je n’arrêterai jamais. »
« Le meilleur joueur du monde ? Pour pouvoir ne serait-ce que prétendre à ce titre, il faut être capable de bien jouer à toutes les variantes, en tournoi et en cash-games. Il n’y a pas plus de cinq joueurs dans le monde qui remplissent ces critères, et oui, il se trouve que je fais partie de ceux-là… »
Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : Aux journalistes qui lui demandaient quels étaient ses projets pour l’interlude, Ivey répondait, sérieux comme le marbre : « Je vais changer de téléphone, et quitter le pays ». Promesse tenue. Ivey a jeté son ancien numéro, et a décampé de Las Vegas, loin de la Bobby’s Room et des solliciteurs de toute sorte. On l’a vu à Montréal, Foxwoods, Vienne et Amsterdam, à la fois pour prendre du bon temps et s’acquitter de ses obligations promotionnelles. A Londres, Ivey a participé à la Caesar’s Cup et aux WSOP-Europe (sans résultat), et s’est plié au jeu des interviews une journée durant. Puis il a plongé dans l’anonymat complet, s’exilant dans sa luxueuse résidence mexicaine de San Cabo, à l’extrême sud de la péninsule de Basse-Californie. C’est dans ce paradis terrestre que Barry Greenstein a rendu visite à Ivey, en profitant au passage pour tourner des images pour PokerRoad, le site web de son beau-fils. On y voit un Ivey décontracté faire le tour du propriétaire à Barry : terrain de golf, piscine infinie, et spectaculaire vue sur l’océan Pacifique. Entre deux mains de cash-game online, Ivey résume en quelques mots sa préparation pour le Main Event : « Cardio le matin, lever d’haltères, un peu de yoga, et du golf, surtout. »
L’avis de Ludovic Lacay : « Ce que j’ai pu voir concernant Phil Ivey, c’est qu’on le payait très souvent. Donc forcément, son approche en début de partie sera assez tight. Mon rêve, c’est de pouvoir le voir évoluer avec quatre ou cinq joueurs restants. C’est à ce moment là qu’on va se régaler devant son gros niveau. Parce qu’à neuf joueurs, son image et son aura lui suffisent : comme on l’a vu, il lui suffit de jouer tight, et il se fera payer presque systématiquement. Sur les retransmissions, on le voit jouer un nombre incalculable de coups sur le même mode : relance préflop, puis continuation-bet au flop, et si besoin, deuxième barrel turn et une dernière mise à la rivière. Je pense qu’il va continuer à jouer de cette manière, en faisant attention toutefois. Vers la fin du Main Event, il s’est parfois retrouvé short-stack, et on a vu qu’il avait longtemps attendu de recevoir une grosse main pour envoyer. Au final, Ivey fait partie des favoris, car c’est le joueur le plus à même de pouvoir passer à la vitesse supérieure une fois que la partie la partie sera short-handed. »
L’avis de Benjo : Alors que l’explosion de la participation au Main Event rend de plus en plus difficile l’accession en table finale des joueurs stars, noyés dans la masse d’anonymes, voilà que les Dieux du poker nous offrent une vraie légende du jeu parmi les November Nine. C’est mon confrère Paul McGuire qui résume le mieux le personnage : « Phil Ivey, c’est Michael Jordan, Albert Einstein, Pablo Picasso et Amadeus Mozart réunis dans le corps d’un joueur professionnel. » Car Phil Ivey est le joueur parfait par excellence, comme il n’en a que très peu existé dans l’histoire du poker. Une bête de travail, une machine programmée pour gagner, à toutes les variantes, dans tous les formats, en cash-game et en tournoi, en live et online. Phil Ivey a déjà tout prouvé dans presque tous les domaines : une victoire ne ferait que confirmer ce que tout le monde sait déjà, et serait aussi un énorme symbole pour tout ceux qui défendent le poker comme un jeu de hasard, et non de chance. Tous les gens intéressés de près ou de loin par le poker, médias, industriels, fans, joueurs occasionnels et joueurs pros ont envie de voir Phil Ivey gagner. Et au delà du talent naturel, il y a l’aura qui entoure le personnage. Aucun autre joueur qu’Ivey ne suscite autant de rumeurs et d’histoires folles en tout genre, toutes ayant trait au gambling. Pour employer une expression à la mode : Ivey est le « balla » ultime. Il joue à tout, et joue gros : craps, golf, paris sportifs, et poker – on murmure que les énormes paris qu’il accepte régulièrement sont pour lui le seul moyen de donner le meilleur de lui-même lors d’un tournoi : s’il remporte le Main Event, plusieurs joueurs très célèbres vont boire la tasse pour des sommes allant jusqu’à deux millions de dollars chacun ! Si le monde du poker est rempli de rock-stars, Phil Ivey en est bien la seule diva, menant un style de vie qui laisse rêveur, maintenant sa vie privée derrière un coffre-fort, et dont les interviews sont plus rares qu’un entretien avec le Pape. Son magnétisme n’a d’égal que le mystère qui l’entoure. Quid de ses chances en finale ? S’il réussit à doubler, alors oui, il ira probablement jusqu’au bout. Ivey m’a toujours semblé prendre les tournois par dessus la jambe, qui n’offrent que des récompenses « modestes » en comparaison des sommes mirobolantes qu’il joue quotidiennement en cash-game. Pas cette année. Motivé par les paris qui étaient en jeu durant les WSOP, Ivey a remporté presque facilement deux bracelets, et sa concentration lors du Main Event était maximum. Gare à celui qui se met en travers de son chemin le 7 novembre.
Sources
« Deal me In », par Stephen John et Marvin Karlins, aux éditions Phil’s House Publishing
« Ivey Uncovered », Inside Poker n°70, Novembre 2009
« Phil Ivey… What more can we say ? », Bluff Europe, Septembre 2009
« 4 days, 3 nights, and $1 millions », ESPN Magazine, 2 Novembre 2009
Poker Road – Life of Ivey
Hendon Mob Database
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Par Benjo*