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WSOP 2009 - Main Event - Finale

Unfinished business

Parce que c’est le plus gros tournoi du monde. Parce que c’est le moment de poker le plus excitant de toute l’année. Parce qu’après cinquante journées consécutives passées dans l’Amazon Room cet été, il était impensable de ne pas revenir une dernière fois au Rio pour terminer le travail. Parce que le chip-leader est un amateur complet de l’Amérique profonde qui n’avait jamais disputé de tournoi professionnel auparavant. Parce que le meilleur joueur du monde est à la table, et pourrait bien marquer à tout jamais l’histoire du poker. Parce que pour la première fois depuis 1998, et la seconde fois seulement en quarante ans de WSOP, un français fait partie du casting des finalistes. Parce que chez Winamax, on a horreur de manquer les grands rendez-vous.

Pour toutes ces raisons, nous serons à Las Vegas du 7 au 10 novembre prochain pour suivre en direct la table finale du Main Event des World Series of Poker. En espérant terminer en beauté cette longue aventure.

Restez branchés durant les neuf jours qui nous séparent du coup d’envoi ! On vous a préparé quelques surprises…

Découvrez les « November Nine »

(cliquez pour agrandir)

Chaque jour jusqu’au départ de la table finale, nous vous ferons découvrir en détail les neuf joueurs en passe de disputer la partie de poker la plus importante de leur vie. Profil, palmarès, parcours durant le Main Event, ce qu’ils ont fait durant l’interlude de trois mois, leur présence dans les médias : vous saurez tout !

Pour faire bonne mesure, j’ai demandé à Ludovic Lacay son avis sur chacun des « November Nine ». Fort de sa seizième place lors de l’épreuve, le joueur du Team Winamax a eu l’occasion d’évoluer avec l’ensemble des finalistes, et nous détaillera leurs forces, leurs faiblesses, et leur stratégie en finale en tenant compte de leur position à la table, de leur tapis, etc, etc.

Bref, c’est un condensé d’informations que nous vous proposerons, réalisé à partir de dizaines de sources, vous résumant tout ce qu’il faut savoir pour apprécier au mieux la finale du plus gros tournoi du monde.

On entame notre tour d’horizon dès jeudi avec la présentation du chip-leader Darvin Moon. Je vous préviens par avance : c’est une longue lecture. Mais ce personnage exceptionnel méritait une présentation étendue. A suivre demain, et chaque jour jusqu’au coup d’envoi de la finale, le samedi 7 novembre.

Siège 1 : Darvin Moon

Tapis : 58,930,000 (chip-leader, possède presque un tiers des jetons de la table)
Origine : Oakland, Maryland (nord-est des États-Unis)
Âge : 45 ans
Profession : Exploitant d’une petite exploitation forestière
Statut : Amateur pur
Gains en tournoi (avant le Main Event) : zéro !
Ressemble à : Chris Moneymaker, Dennis Phillips pour le côté amateur de l’Amérique profonde, et Jamie Gold au niveau de la taille du stack au départ de la finale.

Profil : C’est enfant que Darvin Moon a reçu ses premières leçons au poker en compagnie de son grand-père, qui lui appris les règles du Stud à sept cartes. Mais ce n’est qu’il y a trois ans que le jeu est devenu un vrai passe-temps. « Avec mes amis, on commençait à être un peu trop âgés pour jouer au softball [du base-ball aux règles simplifiées, NDLR], alors on s’est tourné vers les cartes. » L’élagueur avait découvert le Texas Hold’em à la télévision, et a rejoint les parties organisées par les divers foyers sociaux d’Oakland, petite bourgade rurale du Maryland où il réside. Des tournois de charité à trente dollars l’entrée, avec dix dollars réservés à des associations locales. « Je suis loin d’être le meilleur joueur dans ces parties », avoue t-il avec la modestie qui le caractérise.

C’est en participant à un satellite à 160$ organisé par un casino d’un état voisin que Darvin Moon a remporté son ticket pour le Main Event, après cinq essais infructueux. Le package comprenait l’entrée au tournoi, et 6,000$ pour les frais annexes, « mais les impôts ont prélevé 4,000$ », s’empresse t-il d’ajouter. Un peu anxieux à l’idée de dépenser une telle somme pour une partie de poker, Moon fut persuadé par son entourage d’y aller. C’est à cette occasion qu’il accomplit pour la première fois les choses suivantes : prendre un avion de ligne, se rendre à Las Vegas, et disputer un tournoi de poker professionnel. Parmi les choses qu’il n’a en revanche jamais faites à ce jour, on compte notamment : jouer au poker en ligne, lire un livre de poker, posséder une adresse email ou même une carte de crédit. Bref, vous l’avez compris, on tient là un parfait représentant de l’Amérique profonde, celle qui se lève tôt le matin, comme dirait l’autre.

La stratégie de Moon pour la finale ? « Je ne vais jouer que des bonnes mains. Je n’essaie jamais de voler le pot : c’est du gaspillage. » Attention, avec ces paroles, Moon bluffe peut-être… Et ses adversaires ? « Ils sont tous bien meilleurs que moi. Ce sont des pros. Moi, je suis juste chanceux. » Mais il doit bien se reconnaître des qualités, non ? « J’ai une bonne poker face, et j’arrive assez bien à deviner les mains de mes adversaires. » Darvin Moon a beau être humble, cela ne l’empêche pas d’être très confiant en ses chances de remporter le titre : « Je pense que je vais gagner. Si tu n’as pas confiance en ton destin, cela ne sert à rien de jouer. »

Parcours dans le Main Event : Ce n’est qu’en découvrant le gigantisme de l’Amazon Room et ses 200 tables de poker que Darvin Moon prit véritablement sa décision : il allait jouer les championnats du monde. Ainsi débuta le rush le plus impressionnant jamais observé au Main Event, plus fort encore que Jamie Gold en 2006. Lors du premier jour (le Day 1D), Moon reçut pas moins de six paires d’As, et trouva trois brelans au flop. « Et ça a juste continué comme ça durant le reste du tournoi. J’ai doublé mon tapis durant chaque journée, quand je ne l’ai pas triplé ou quadruplé. »

Sur ESPN, il aura fallu attendre le 17ème épisode de la retransmission du Main Event pour voir enfin apparaître Darvin Moon, en train de battre Ben Lamb lors d’un gros pot en milieu de Day 6. En arrivant en table télévisée le même jour, le gros tapis de cet inconnu fait lever les sourcils à sa table. « Je sais, c’est incroyable », s’excuse t-il. « Je n’ai jamais vu un rush pareil. » Les spectateurs d’ESPN se rendront compte rapidement qu’il ne ment pas : Moon trouve encore une fois les As pour prendre tout le tapis de Jamie Brow, qui avait eu le malheur de détenir les Rois. Un pot suffisant pour lui faire prendre le chip-lead. A la table, Dennis Phillips fait la gueule : il sait qu’il va se faire détrôner au poste de Monsieur-Tout-Le-Monde-qui-va-en-finale-des-WSOP.

A la télévision, on verra Moon pratiquer un jeu tight-agressif. Une technique exempte de bluff, mais des plus efficaces, vu la qualité des mains et des flops qu’il va trouver. Moon ne joue pas beaucoup de mains, mais les joue avec force, faisant tourner la tête à ses adversaires qui ne peuvent que secouer la tête en voyant que l’amateur a, une fois de plus, trouvé les nuts au flop. De par son propre décompte, le bucheron a tronçonné pas moins de 27 adversaires au cours des huit jours du Main Event, dont David Benyamine et Eugene Katchalov. Tout en lâchant l’air de rien des perles d’auto-dérision : quand Antonio Esfandiari est obligé de jeter ses Valets face à une grosse sur-relance de Moon, celui-ci répond simplement « Je ne sais pas, je suis nouveau à ce jeu. » Ou encore : « Ce n’est pas difficile de jouer avec les mains que j’ai eues. Vous êtes tous bien plus forts que moi. » Des faux modestes, on en voit tous les jours à la table, mais ici, cela ne semble pas être feint. Moon ne rechigne pas à montrer ses mains, même quand il n’est pas payé. Et quand François Balmigère va réaliser un extraordinaire fold avec un brelan de Dix, Moon le rassurera gentiment : « Bravo… J’avais les nuts. Tu le verras à la télé, et tu verras que je suis un homme honnête. » Et en effet, il avait floppé la quinte max.

C’est tout à la fin de la dernière journée que Moon, déjà énorme en jetons, va prendre définitivement la tête du tournoi. D’abord en éliminant l’ex chip-leader donk Billy Kopp lors d’une main très controversée (flush hauteur Dame contre flush hauteur… 4, les tapis volent au turn sur un board contenant une paire, le pot contenait presque 200 blindes), puis en terminant la soirée en floppant un brelan de 8 contre la paire d’As de Jordan Smith, qui devenait donc le « bubble-boy » le plus triste de l’année.

Médiatisation : Son background d’amateur-qui-bat-les-pros-à-leur-jeu fait de Darvin Moon un bon sujet pour les médias, par rapport aux autres « November Nine » qui n’ont finalement bénéficié que de peu d’attention de la part de la presse traditionnelle. Moon a attiré la curiosité de nombreux articles dans divers quotidiens et hebdomadaires américains, en particulier dans la région Est. Le plus intéressant d’entre eux fut publié par le prestigieux Washington Post (voir lien ci-dessous) : un reportage réalisé sur les terres de Moon, bien écrit et rempli de détails étonnants, dont beaucoup sont reproduits sur la page que vous êtes en train de lire. « Ils me rendent fou, ces journalistes, avec leurs questions », a commenté Moon à propos de cette médiatisation, cherchant à l’éviter autant que possible. Mais il s’est tout de même rendu aux studios d’ESPN pour participer à Inside Deal, leur émission Internet consacrée au poker, répondant avec bonhomie et humilité à des questions qu’on lui avait déjà posées cent fois. « Ce serait impoli de refuser de répondre aux médias », dit-il.

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : Au lendemain de la constitution de la table finale en juillet dernier, Darvin Moon est rentré à la maison et s’est remis immédiatement au travail dans son exploitation forestière. Difficile à croire, n’est-ce pas ? Encore mieux : contrairement à nombre de ses partenaires en finale, Moon n’a pas engagé d’agent pour gérer ses intérêts, et a refusé les nombreuses offres de sponsoring juteux qui se sont présentées à lui. « Ils veulent que je signe un contrat pour un an, deux ans, voire plus », dit-il. « Ils veulent que je sois disponible pour répondre aux interviews, passer à la télé, et voyager pour me rendre à des tas de compétitions. J’ai dit non : je n’ai jamais eu de patron, et je ne vais pas commencer maintenant. Ma liberté a bien plus de valeur que l’argent.» Si Moon concède qu’il aurait accepté une belle offre « uniquement pour la table finale, et rien ensuite », le seul logo que l’on verra au final sur sa casquette sera donc la fleur de lys des Saints Cap de la Nouvelle Orléans, son équipe de football américain favorite.

Étant donné la passe difficile que traverse l’industrie forestière ces temps-ci, Moon ne fut pas mécontent de rentrer à la maison avec un chèque de plus de 1,2 millions de dollars (correspondant au gain minimum en table finale). Il aurait cependant préféré que l’histoire ne s’ébruite pas trop, mais évidemment, tout le monde était au courant à son retour. Modeste dans son attitude comme dans son rapport à l’argent, Moon ne s’est pas montré trop dépensier avec ce chèque, se contentant d’acheter une maison préfabriquée pour remplacer le mobile-home où il vivait avec son épouse. Il en a aussi profité pour remplacer la toiture de la maison de ses parents, et se procurer un peu de matériel pour son entreprise, dont un 4x4 flambant neuf. Le reste est parti à la banque.

Côté poker, plutôt que d’aller chasser un autre résultat à Los Angeles, Las Vegas ou Londres, Moon a préféré retourner jouer avec ses partenaires habituels de l’Elks Lodge, un club d’anciens combattant local. Pas question non plus d’engager un coach pour lui faire rattraper son retard technique : « Je suis arrivé à ce stade sans aide, pourquoi en aurais-je besoin maintenant ? » Non, sa préparation pour la table finale se fera sous la forme d’une petite retraite à la montagne, dans une cabane sans électricité ni eau courante. Au programme : trois semaines à chasser le daim. Un vrai « working class hero » à l’américaine. Maintenant qu’il est en table finale avec un statut de millionnaire assuré, Moon ne compte pas pour autant changer de vie : « quand tout ce cirque sera terminé, je rentrerai chez moi, et je repartirai au travail avec ma tronçonneuse. C’est ma vie. » Tout en concédant qu’il reviendra tout de même jouer le Main Event l’année prochaine…

L’avis de Ludovic Lacay : « Je n’ai pas beaucoup joué avec Darvin Moon, on ne s’est rencontré qu’à la fin, quand il restait deux tables. Vu son style de jeu, il finira au moins dans les quatre premiers, car il faisait très attention avant le flop : avec son gros tapis, c’est une garantie d’aller loin. OK, il a admis qu’il avait eu beaucoup de jeu et qu’il était le plus faible du lot, mais il faisait des trucs qui n’étaient pas mauvais du tout – peut-être qu’il ne s’en rend pas compte. Par exemple, je l’ai vu flat-call UTG+1 avec les As, et prendre tout le tapis de son adversaire qui avait relancé UTG avec deux Dix, sur un flop avec trois petites cartes. Je ne pense pas qu’il va se commit après le flop avec une mauvaise main. En plus, il a tellement de jetons, qu’il a le temps d’être patient et d’attendre du jeu. Il ne va pas prendre le contrôle de la table, en tout cas. Son gros problème ? Il ne saura pas s’adapter au short-handed. Cela dépendra cependant des joueurs qu’il reste en face. La partie pourrait être très aléatoire vers la fin, avec des joueurs qui flambent. Dans une telle situation, c’est le joueur qui va toucher le plus de flops qui aura le plus de chances de gagner. »

L’avis de Benjo : Vous l’aurez compris en voyant l’espace que j’ai consacré au bonhomme : je suis tombé sous le charme rustique de Darvin Moon ! Comment ne pas s’enthousiasmer pour cet homme de tous les jours, un honnête travailleur à l’allure simple et au tempérament humble qui envoie bouler la célébrité et les offres de sponsoring pour retourner à ses affaires dans les bois du Maryland. La présence de Darvin Moon à la table nous rappelle que le poker est aussi et surtout l’affaire de millions de passionnés de part le monde, des amateurs de tous âges et de toutes catégories sociales, jouant chaque semaine entre amis pour quelques dollars. Rocky est l’un de mes héros de cinéma… Autant donc vous l’avouer : je serai le supporter numéro 1 de cet auto proclamé fish à la table des pros ! D’autant que, comme l’a fait remarquer Ludovic, si Darvin Moon a bénéficié de beaucoup de réussite pour en arriver là, il a joué ses mains de manière très juste, optant pour des lines optimales qui ont maximisé ses gains. Non, Moon ne sera pas un adversaire facile à battre. S’il est bien entendu très inférieur techniquement aux Ivey, Akenhead et autres Cada, son tapis énorme leur causera néanmoins bien des casse-tête. Le poker est l’un des seuls jeux où tout le monde à sa chance de gagner : c’est ce qui le rend si accrocheur. Darvin Moon peut-il rééditer l’exploit de Chris Moneymaker ?

Sources
ESPN
Card Player
Md. Man advances to World Series of Poker finals - Pittsburgh Post-Gazette, 30 Juillet 2009
Out of Woods, Into casino - Washington Post, 4 Octobre 2009

Siège 2 : James Akenhead

Tapis : 6,800,000 (lanterne rouge avec 28 grosses blindes)
Origine : Londres, Angleterre
Âge : 26 ans
Profession : Joueur de poker, anciennement conducteur de trains
Statut : Professionnel depuis 2006, était déjà sponsorisé avant le Main Event
Gains en tournoi (avant le Main Event) : 823,168$

Profil : Né dans une famille totalement dénuée de joueurs, James Akenhead n’en estime pas moins qu’il est né avec le virus du « gambling », démarrant dès l’adolescence avec des paris dans la cour du lycée, et des après-midi passées devant les machines à sous. « J’ai toujours aimé le risque », explique t-il. Sans doute est-ce cette prédisposition qui l’a amené à lâcher ses études pour tenter sa chance dans le monde du billard, au grand chagrin de ses parents, qui auraient préféré le voir trouver un vrai job. Akenhead a rapidement trouvé un sponsor, rentrant de plein pied sur le circuit professionnel. « Cela représentait énormément de travail, et malgré tous mes efforts, je n’ai jamais réussi à faire mieux que seizième au niveau national. » A mettre en perspective avec la somme que remporte chaque année le champion du monde de snooker : 65,000$. C’est à cette période qu’Akenhead fit sa première rencontre avec le poker, jouant au fameux Gutshot Club de Londres, et dans des parties privées. Mais il fallait bien vivre : après avoir enchaîné les petits boulots, James répondit à une annonce pour devenir conducteur de trains. Un an plus tard, il avait terminé sa formation, et travaillait à plein de temps avec un salaire de 30,000£ par an. « Mes parents étaient fiers. C’est un beau salaire à 21 ans. » Mais cette brillante carrière fut coupée court, par – surprise – le poker, qui était devenu entre temps une obsession. « Chaque seconde de mon temps libre était occupée par le poker, le Gutshot était ma seconde maison. » L’union fait la force : James se lia d’amitié avec les deux meilleurs joueurs du club, Karl Marhenholz et Praz Bansi, des noms qui vous sont surement familiers. Ainsi venait de se former le HitSquad, groupement de joueurs grimpant ensemble les échelons : une sorte de TeamWinamax à l’anglaise. La transition vers le poker à plein temps ne fut pas facile. « J’ai joué mon premier EPT à Londres en mettant tout ma bankroll sur la table », se rappelle t-il avec un sourire penaud. « La nuit précédant l’EPT de Barcelone, j’ai gagné l’équivalent d’un mois de salaire. Ma décision était prise : j’étais un pro. » Un mois après avoir laissé tomber les trains, James avait tout perdu. Broke ! Après cette leçon durement apprise, il lui fallu quelques mois pour se reconstruire un capital : sa gestion de bankroll est depuis irréprochable. Ces trois dernières années, Akenhead a parcouru sans relâche le circuit, accumulant des victoires à Vegas, St Kitts et Manchester, se classant dans l’argent à de nombreuses reprises, tout en disputant de belles parties en cash-game. Il y a un an, le bracelet lui échappé de très peu, quand, en tête à tête dans une épreuve à 1,500$, on As-Roi ne put tenir à tapis avant le flop contre le T-4 de Grant Hinkle.

Parcours dans le Main Event : James Akenhead a sans doute eu l’un des parcours les plus difficiles de tous les « November Nine » lors du Main Event. Les ennuis ont commencé dès le premier jour : « J’ai perdu avec deux brelans. Je payais trop. Je lisais mal les situations ». Son tapis a fondu pour passer de 30,000 à 10,000. Akenhead a resserré son jeu pour terminer le Day 1 avec un honnête stack de 72,000. A partir de là, Akenhead n’a fait que grimper, ne quittant jamais le top 10 au cours des Day 3, 4 et 5. C’est lors de la retransmission de la journée suivante qu’Akenhead apparaît pour la première fois devant les caméras d’ESPN. Ironie du sort : le premier coup que les téléspectateurs verront Akenhead jouer est celui qui l’a fait revenir à la case départ, quand Begleiter trouva une rivière chanceuse pour lui prendre les trois quarts de son tapis. L’anglais allait remonter, doubler son tapis plusieurs fois, et arriver au Day 8 (le dernier de l’été) avec un solide tapis. Ses ennuis n’étaient pas finis pour autant : dès la première main, une confrontation entre les Rois et les As le fait chuter à nouveau. Mais Akenhead ne baisse pas les bras, et reprend les jetons (et bien plus encore) en moins d’une heure. Son statut de short-stack, il le doit en partie à Antoine Saout, qu’il a fait doubler le dernier jour quand son As-Roi ne s’est pas amélioré contre la paire de 8 du breton. Sa présence en table finale, il la doit en revanche à un extraordinaire coup de chance survenu alors qu’il ne restait que quatorze joueurs : à tapis avec K-Q, Akenhead a trouvé un miraculeux flop K-Q-J pour battre les As de Jamie Robbins.

Médiatisation : On aura finalement peu parlé de James Akenhead ces trois derniers mois en dehors du petit monde de la presse pokérienne. Sans doute est-ce du à son petit tapis, et à sa nationalité – la « vague poker » est depuis longtemps tombée en Grande-Bretagne : les anglais jouent encore beaucoup, mais cela ne fait plus les titres des journaux, comme c’est le cas en France actuellement. Dans la presse généraliste, on notera tout de même le quotidien The Independant, qui a consacré une page entière à la table finale des WSOP-E à laquelle a participé Akenhead. Du côté des magazines spécialisés, honneur a été rendu à l’enfant du pays, avec moult articles et couvertures dans les magazines qui comptent outre-Manche : BluffMagazine, Poker Player UK et Inside Poker. Ces derniers ont consacré six pages à Akenhead, avec un bel article retraçant l’ensemble de son parcours dans le poker, et dans le Main Event.

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : James Akenhead fait partie des finalistes ayant le plus bossé durant l’interlude de trois mois. On l’a vu participer à de nombreuses épreuves en Europe, dont le WPT de Chypre, l’EPT à Londres, et d’autres tournois en Grande-Bretagne, avec notamment une onzième place lors de l’étape GUKPT de Thanet. Mais c’est lors de l’autre Main Event des WSOP – celui organisé en Europe – qu’Akenhead va trouver son plus gros succès de la rentrée, en atteignant la table finale. L’anglais réédite avec Antoine Saout la spectaculaire performance réalisée par Ivan Demidov en 2008. Il devra par contre se contenter de la neuvième place, éliminé le premier par Daniel Negreanu. Pour l’anecdote, le site qui le sponsorise depuis cet été n’est pas celui sur lequel il s’est qualifié. J’en connais qui font la gueule.

L’avis de Ludovic Lacay : « J’ai joué avec James Akenhead à Chypre, dans un side-event à 1,000$. Un très bon joueur, assurément l’un des meilleurs de la table. Il sait tout bien faire. Après, il a un petit tapis, c’est sur. J’ai envie de dire que tout va dépendre de son premier coin-flip. Le fait que Phil Ivey soit à sa gauche n’est pas si grave. Ivey va jouer beaucoup plus tight que d’ordinaire, et Akenhead va « resteal » plutôt qu’ouvrir le premier. Quand il va ouvrir, ce n’est pas Ivey qui va le sur-relancer « light ». Donc globalement, sa place à la table est bonne avec Schaffel à gauche, dont les blindes seront faciles à voler. Pareil pour celles d’Ivey, qui ne sera pas dangereux tant que la table ne sera pas short-handed. A sa droite, Darvin Moon ne va pas ouvrir light. Shulman est capable de passer sur un re-raise. Donc Akenhead aura quand même la possibilité de gagner les blindes. Le must pour lui, ce serait bien sur de doubler : dans ce cas, il deviendrait l’un de mes favoris pour détruire la table et gagner le Main Event. »

L’avis de Benjo : J’ai rencontré James Akenhead en 2006 durant l’EPT de Barcelone. C’était son premier gros tournoi international, je crois. Il cherchait un ordinateur de libre en salle de presse pour regarder ses emails, et c’est tombé sur moi. J’ai pu ensuite le suivre de loin durant les trois années qui ont suivi, Akenhead étant relativement régulier sur le circuit européen, avec une préférence pour les tournois britanniques. Concernant le niveau de jeu, je fais totalement confiance à l’avis de Ludo, et à celui de nombre de mes confrères anglais, qui ne tarissent pas d’éloges à propos de James. Le fait qu’il soit encore là malgré tous les bad-beats et setups qu’il s’est pris témoigne de son énorme niveau – ce que n’a pas manqué de remarquer Phil Ivey en personne. C’est quelqu’un qui a énormément bossé son poker, et qui est très apprécié. Concernant ses chances, elles sont évidemment handicapées par la faiblesse de son tapis. Akenhead remarque que « la structure des prix est assez plate en début de finale », avec seulement 37,000$ de différence entre la neuvième et la huitième place, par exemple. Une remarque qui indique que l’anglais ne va pas attendre patiemment, préférant jouer ses chances à fond dès le début de la partie. En tout cas, pas question de sous-estimer un joueur financé par Neil Channing (qui recevra 25% des gains de James) : en général, cela leur porte bonheur. Demandez, entre autres, à Marty Smith ou à JP Kelly, qui portent désormais un ou plusieurs bracelets à leur poignet grâce au concours de Channing.

Sources
« Back to the real world », Inside Poker n°68, Septembre 2009
Card Player
Hendon Mob Database

Par Benjo

Siège 3 : Phil Ivey

Tapis : 9,765,000 (septième place)
Origine : Né à Riverside, en Californie, mais a immédiatement déménagé avec sa famille à Roselle, dans le New Jersey (Nord-Est des États-Unis) C’est le poker qui l’a fait revenir à l’ouest au début des années 2000, d’abord à Los Angeles, puis à Las Vegas, sa principale résidence actuelle.
Âge : 33 ans
Profession : Joueur de poker « depuis toujours, ou presque » : Ivey gagne sa vie avec les cartes depuis l’âge de 20 ans. Durant les deux années qui ont précédé, il a maintenu sa bankroll à flot avec un job payé au lance-pierres dans une boîte de télé-marketing. Sa première (et probablement la dernière) incursion dans le monde du travail salarié.
Statut : Dieu vivant
Gains en tournoi (avant le Main Event) : 10,832,700$

Profil : Prétendons un instant que vous n’ayez jamais entendu parler du meilleur joueur du monde, ce qui me semble tout de même improbable. Pour vous, je me contenterai d’une description statistique qui en dit déjà bien long. Phil Ivey, c’est plus de 10 millions de dollars de gains en tournoi. Aux WSOP, c’est 35 places payées, dont 19 finales et sept victoires – jamais en Hold’em ! Au WPT, c’est 11 places payées, dont 8 finales, et une victoire (admirez le retour sur investissement : quand Phil rentre dans l’argent, c’est pour aller au bout). A côté de cela, il y a une seconde place pour l’une de ses rares apparitions à l’EPT (Barcelone, 2006), une victoire dans le Monte Carlo millions (après avoir passé le bluff le plus célèbre de l’histoire du poker contre Paul Jackson), et des tas et des tas d’autres résultats un peu partout dans le monde, dans toutes les variantes. Au Main Event des WSOP, Phil Ivey s’est classé dans le top 25 pas moins de quatre fois en dix participations. Mais cela sera sa première apparition en finale, après une cruelle dixième place en 2003 (la bulle) après un bad-beat contre Chris Moneymaker.

Mais tout cela, cela ne représente rien, ou si peu, face aux accomplissements d’Ivey en cash-game, son gagne pain depuis l’adolescence, et sa façon favorite de pratiquer le poker. Ivey a monté les échelons patiemment, à force de travail et de discipline, pour disputer aujourd’hui les plus grosses parties live et online. Il n’y a pas de partie trop chère pour lui, même celle disputée contre le Andy Beal en 2006 aux blindes 50,000/100,000$ - c’était du Limit Hold’em, et Ivey a nettoyé le dangereux milliardaire de plus de quinze millions de dollars. En ligne, les bases de données montrent une domination écrasante. Sans compter qu’Ivey est l’un des investisseurs principaux de l’une des plus grosses salles de jeux en ligne du monde. On imagine le pactole que cela représente.

Tout cela, et bien plus encore, font d’Ivey le joueur de poker le plus charismatique de la planète. Et le plus mystérieux, aussi. Avant la parution du bouquin « Deal Me In », racontant les début de plusieurs célèbres pros, bien peu de fans connaissaient l’histoire des débuts d’Ivey dans le poker, qui se confond plus ou moins avec sa vie. Saviez-vous par exemple qu’à l’âge de seize ans, Ivey passait déjà sa vie dans les casinos d’Atlantic City, passant son premier gros bluff grâce à une fausse carte d’identité au nom de « Jerome Graham » ? « Le jour de mes 21 ans », explique t-il, « Je me suis simplement pointé au casino, et j’ai révélé mon vrai nom au responsable. Il m’a félicité pour la qualité de ma fausse carte, et m’a laissé continuer à jouer. J’étais l’un de leurs meilleurs clients, de toute façon. » Moins surprenant, on apprend aussi dans ce bouquin qu’Ivey a commencé par perdre avant de devenir le joueur qu’il est. « J’ai payé mes premières leçons, bien sur. Je faisais l’aller et retour entre le casino et un job de telemarketing. » Mais le potentiel était déjà là. Car Ivey est un bosseur. « J’observais mes adversaires, même quand je n’étais pas dans le coup. A la fin de chaque session, je prenais des notes, et analysais toutes les mains que j’avais joué, je restais éveillé tard dans la nuit. »

Le reste, c’est de l’histoire : les premiers trips à Las Vegas, les premiers WSOP (en 2000, avec déjà un bracelet à la clé), le déménagement vers la côte ouest pour jouer contre Stud (sa meilleure variante) contre Larry Flynt, et la Bobby’s Room : « J’ai longtemps perdu au Bellagio, mais beaucoup moins que ce que je gagnais à Los Angeles, c’est ce qui m’a permis de continuer à apprendre, puis finalement de gagner »

Comment fait-il ? Au delà de la compréhension naturelle des cartes et de longues années de dur labeur, Ivey attribue en grande partie son succès à son indifférence à l’argent : « Aucune somme d’argent que je suis amené à miser ne me rend nerveux, aussi grosse soit t-elle. Je suis parti de rien, après tout. »

Parcours dans le Main Event : Ivey est bien entendu le seul des November Nine a avoir été suivi par les caméras d’ESPN dès le début du tournoi. L’occasion d’observer deux aspects du joueur sur une longue durée : son style de jeu, et la fascination qu’il dégage. Durant les huit jours que dure l’épreuve Ivey aura droit à toutes sortes de réactions de la part de ses adversaires : respect, crainte, adulation, dévotion, et même plus encore, témoin cette joueuse qui lui déclare sa flamme en le voyant arriver à sa table ! Dès le début, le destin d’Ivey dans le Main Event semble être écrit, avec cette paire de Rois qui craque les As d’un infortuné adversaire. Le premier éliminé d’une longue série (incluant des joueurs comme Jonas Molander, Andy Bellin ou Ricky Forenbach) Ou encore cette paire de 6 à tapis contre QQ sur un flop 875 : le turn apporte directement un 4 pour lui donner la quinte.

Mais le talent d’Ivey ne se résume pas à quelques coups de chance, bien entendu. Le meilleur joueur du monde possède cette faculté magique à gagner le maximum avec le meilleur jeu, et perdre le minimum quand il est battu. Ivey saisit toutes les occasions qui se présentent : pas un value-bet n’est manqué, pas la moindre opportunité de bluff n’est mise à l’écart. Ivey opte généralement pour l’agression à tout va (des tonnes de coups sont joués sur ce modèle : raise, bet flop, bet turn, bet rivière) mais sait aussi ralentir, avec quelques belles mains jouées subtilement pour pousser ses adversaires à bluffer. Ivey semble ne se faire payer que lorsqu’il possède la main gagnante, jamais quand il bluffe, et les livraisons en sa faveur son légion. Cependant, on ne verra pas de gros bluffs spectaculaires lors des nombreux coups diffusés sur ESPN : ce n’est pas son style. Vous me demanderez : se fait-il parfois bluffer ? Parfois, mais jamais sur de gros pots. On le voit par exemple prudemment AQ à la bulle contre un joueur qui avait limp/reraise avec KJ. Mais cela n’avait aucune importance : Ivey a littéralement terrorisé ses adversaires lors du fatidique passage dans l’argent, triplant son tapis ce jour là pour dépasser le million. Seul moment de la retransmission où le génie nous aura fait douter : lorsqu’il jette la main gagnante… au showdown ! Il n’avait pas vu que sa paire de 8 venait de se transformer en couleur. Une simple défaillance passagère…

C’est seulement lors de la cinquième journée qu’Ivey va rencontrer ses premières difficultés, son gros tapis subissant plusieurs coups pour rétrécir de manière conséquente, tombant aussi bas que 285,000. Un coin-flip favorable, et une rencontre entre KK et 99 lui permettront notamment e retrouver les jetons perdus pour attaquer le Day 6 avec sérénité. La journée la plus tendue sera la dernière, le Day 8. C’est là qu’Ivey a perdu de nombreuses confrontations, et s’est placé parmi les petits tapis de la finale. Beaucoup d’observateurs craignaient qu’il ne soit éliminé avant la finale, mais Ivey n’a pas une seule risqué son tournoi durant cette période cruciale, ne se retrouvant jamais à tapis payé. « Beaucoup auraient sauté à ma place, mais j’ai tenu. »

Médiatisation : C’est bien sur Phil Ivey qui s’est taillé la part du lion en ce qui concerne la popularité des November Nine auprès des médias. Pas un magazine de poker qui se respecte n’a manqué de mettre son visage en « une ». Le résultat, ce sont des articles à l’intérêt variable : pas facile d’arracher de bonnes réponses à Ivey, qui s’est prêté à reculons au jeu des interviews, contraint et forcé par Full Tilt. Tous mes confrères qui ont pu l’approcher le jour de la conférence de presse organisée à Londres durant les WSOP-E ont reçu la même consigne de la part de la sévère attachée de presse : « Dix minutes, pas plus ! » Ils n’en demandaient pas tant : Ivey est notoirement connu pour refuser la plupart des demandes d’interview, et plante régulièrement les rares scribes à qui il accorde un rendez-vous. Le meilleur article, c’est dans la presse sportive qu’on le trouvera : Phil Ivey est cette semaine en couverture du prestigieux ESPN Magazine. Le journaliste Chad Millman a fait le tour du monde avec Ivey, de Foxwoods à Londres en passant par Amsterdam et Montréal. Un voyage orienté à la fois « business » et « plaisir », qui nous donne la chance rare de pouvoir observer le style de vie sur-réaliste de la légende, digne des vraies stars du show-biz : jets privés, limousines, parties de craps extravagantes, sessions de golf avec Michael Jordan, textos échangés avec Michael Phelps, et fêtes backstage avec Jaz-Z. Ils ne sont qu’une petite poignée de joueurs de cartes à avoir atteint le statut de star parmi les stars : Ivey plane au dessus du lot.

Quelques citations :

« Je ne déteste pas les interviews, c’est juste que cela ne m’intéresse pas. Je suis un joueur de poker : si une partie se monte, je préfère jouer que donner une interview. »
« Les deux dernières journées du Main Event étaient dures. Il y a quelques décisions que je regrette, mais c’est le poker, on ne peut pas jouer parfaitement 100% du temps. Seul Phil Hellmuth en est capable. »
« Je n’ai pas le plus gros tapis, mais cela reste encore confortable. Il va falloir que je gagne le premier gros coup que je joue, bien sur. Il me faut assez de jetons pour pouvoir jouer mon style favori il fois que l’on sera en short-handed. Le mieux, ce serait de doubler durant la première heure… Mais c’est le plan de chaque joueur à la table, bien sur. »
« Je veux gagner. Je ne serai satisfait d’aucun autre résultat. Cela serait le plus grand accomplissement de ma vie. La première fois que j’ai regardé du poker à la télé, c’est l’année où Scotty N’Guyen a gagné. J’ai pensé : « Je veux avoir la chance de gagner un jour cette épreuve. » Et maintenant, j’ai ma chance.»
« Non, je ne vais pas prendre ma retraite si je gagne le Main Event. Pourquoi je ferais ça ? J’aime jouer. Je jouerai peut-être un peu moins, mais je n’arrêterai jamais. »
« Le meilleur joueur du monde ? Pour pouvoir ne serait-ce que prétendre à ce titre, il faut être capable de bien jouer à toutes les variantes, en tournoi et en cash-games. Il n’y a pas plus de cinq joueurs dans le monde qui remplissent ces critères, et oui, il se trouve que je fais partie de ceux-là… »

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : Aux journalistes qui lui demandaient quels étaient ses projets pour l’interlude, Ivey répondait, sérieux comme le marbre : « Je vais changer de téléphone, et quitter le pays ». Promesse tenue. Ivey a jeté son ancien numéro, et a décampé de Las Vegas, loin de la Bobby’s Room et des solliciteurs de toute sorte. On l’a vu à Montréal, Foxwoods, Vienne et Amsterdam, à la fois pour prendre du bon temps et s’acquitter de ses obligations promotionnelles. A Londres, Ivey a participé à la Caesar’s Cup et aux WSOP-Europe (sans résultat), et s’est plié au jeu des interviews une journée durant. Puis il a plongé dans l’anonymat complet, s’exilant dans sa luxueuse résidence mexicaine de San Cabo, à l’extrême sud de la péninsule de Basse-Californie. C’est dans ce paradis terrestre que Barry Greenstein a rendu visite à Ivey, en profitant au passage pour tourner des images pour PokerRoad, le site web de son beau-fils. On y voit un Ivey décontracté faire le tour du propriétaire à Barry : terrain de golf, piscine infinie, et spectaculaire vue sur l’océan Pacifique. Entre deux mains de cash-game online, Ivey résume en quelques mots sa préparation pour le Main Event : « Cardio le matin, lever d’haltères, un peu de yoga, et du golf, surtout. »

L’avis de Ludovic Lacay : « Ce que j’ai pu voir concernant Phil Ivey, c’est qu’on le payait très souvent. Donc forcément, son approche en début de partie sera assez tight. Mon rêve, c’est de pouvoir le voir évoluer avec quatre ou cinq joueurs restants. C’est à ce moment là qu’on va se régaler devant son gros niveau. Parce qu’à neuf joueurs, son image et son aura lui suffisent : comme on l’a vu, il lui suffit de jouer tight, et il se fera payer presque systématiquement. Sur les retransmissions, on le voit jouer un nombre incalculable de coups sur le même mode : relance préflop, puis continuation-bet au flop, et si besoin, deuxième barrel turn et une dernière mise à la rivière. Je pense qu’il va continuer à jouer de cette manière, en faisant attention toutefois. Vers la fin du Main Event, il s’est parfois retrouvé short-stack, et on a vu qu’il avait longtemps attendu de recevoir une grosse main pour envoyer. Au final, Ivey fait partie des favoris, car c’est le joueur le plus à même de pouvoir passer à la vitesse supérieure une fois que la partie la partie sera short-handed. »

L’avis de Benjo : Alors que l’explosion de la participation au Main Event rend de plus en plus difficile l’accession en table finale des joueurs stars, noyés dans la masse d’anonymes, voilà que les Dieux du poker nous offrent une vraie légende du jeu parmi les November Nine. C’est mon confrère Paul McGuire qui résume le mieux le personnage : « Phil Ivey, c’est Michael Jordan, Albert Einstein, Pablo Picasso et Amadeus Mozart réunis dans le corps d’un joueur professionnel. » Car Phil Ivey est le joueur parfait par excellence, comme il n’en a que très peu existé dans l’histoire du poker. Une bête de travail, une machine programmée pour gagner, à toutes les variantes, dans tous les formats, en cash-game et en tournoi, en live et online. Phil Ivey a déjà tout prouvé dans presque tous les domaines : une victoire ne ferait que confirmer ce que tout le monde sait déjà, et serait aussi un énorme symbole pour tout ceux qui défendent le poker comme un jeu de hasard, et non de chance. Tous les gens intéressés de près ou de loin par le poker, médias, industriels, fans, joueurs occasionnels et joueurs pros ont envie de voir Phil Ivey gagner. Et au delà du talent naturel, il y a l’aura qui entoure le personnage. Aucun autre joueur qu’Ivey ne suscite autant de rumeurs et d’histoires folles en tout genre, toutes ayant trait au gambling. Pour employer une expression à la mode : Ivey est le « balla » ultime. Il joue à tout, et joue gros : craps, golf, paris sportifs, et poker – on murmure que les énormes paris qu’il accepte régulièrement sont pour lui le seul moyen de donner le meilleur de lui-même lors d’un tournoi : s’il remporte le Main Event, plusieurs joueurs très célèbres vont boire la tasse pour des sommes allant jusqu’à deux millions de dollars chacun ! Si le monde du poker est rempli de rock-stars, Phil Ivey en est bien la seule diva, menant un style de vie qui laisse rêveur, maintenant sa vie privée derrière un coffre-fort, et dont les interviews sont plus rares qu’un entretien avec le Pape. Son magnétisme n’a d’égal que le mystère qui l’entoure. Quid de ses chances en finale ? S’il réussit à doubler, alors oui, il ira probablement jusqu’au bout. Ivey m’a toujours semblé prendre les tournois par dessus la jambe, qui n’offrent que des récompenses « modestes » en comparaison des sommes mirobolantes qu’il joue quotidiennement en cash-game. Pas cette année. Motivé par les paris qui étaient en jeu durant les WSOP, Ivey a remporté presque facilement deux bracelets, et sa concentration lors du Main Event était maximum. Gare à celui qui se met en travers de son chemin le 7 novembre.

Sources
« Deal me In », par Stephen John et Marvin Karlins, aux éditions Phil’s House Publishing
« Ivey Uncovered », Inside Poker n°70, Novembre 2009
« Phil Ivey… What more can we say ? », Bluff Europe, Septembre 2009
« 4 days, 3 nights, and $1 millions », ESPN Magazine, 2 Novembre 2009
Poker Road – Life of Ivey
Hendon Mob Database
*
Par Benjo*

Siège 4 : Kevin Schaffel

Tapis : 12,390,000 (sixième place)
Origine : Coral Springs (Floride, côte sud-est des États-Unis)
Âge : 51 ans
Profession : Retraité après avoir fermé l’imprimerie qu’il avait dirigée durant trente ans
Statut : Semi-professionnel depuis deux ans

Gains en tournoi (avant le Main Event) : 168,661$

Profil : Kevin Schaffel a donné trente ans de sa vie à son entreprise d’imprimerie et d’expédition de prospectus publicitaires. L’âge, un divorce, et la santé déclinante de son affaire l’ont poussé à fermer boutique pour passer à autre chose. Pourquoi pas le poker ? Schaffel en était féru depuis son adolescence, et avait terminé en 42e place du Main Event lors de sa première participation en 2004. Il se rendit vite compte que la reconversion ne serait pas une partie de plaisir. « Je m’y suis mis à plein temps il y a un an et demi, et j’ai tout de suite commencer à run bad. Je ne pensais même pas que c’était possible d’être aussi malchanceux. » Durant cette période où il jouait en 10$/20$ No Limit, Schaffel trouva tout de même le temps de faire l’argent dans cinq des huit gros tournois auxquels il participa, aux Bahamas, à Los Angeles et à Las Vegas. Mais cela n’était que des places d’honneur, pas de vrais gains : « Je ne me considérais pas comme professionnel. » Quelques mois avant le départ du Main Event 2009, Schaffel était à deux doigts de laisser tomber. Probablement qu’il ne regrette pas sa décision, désormais. Schaffel crédite son succès de cette année à son extrême patience, qui l’a fait passer poubelle après poubelle sans jamais craquer.

Parcours dans le Main Event : Difficile de vous donner des détails sur les huit journées de poker qui ont permis à Schaffel d’accéder en table finale… Ses progrès n’ont quasiment pas été documentés sur ESPN, tout du moins à l’heure où j’écris ces lignes, c’est à dire avant la diffusion du Day 8 (le dernier jour avant la finale). Et le bougre n’a que peu vanté ses exploits durant les quelques interviews que j’ai consultées. Tout au plus peut-on mentionner que Kevin Schaffel fut l’un des artisans de la bulle, éliminant un joueur tout près de l’argent avec une couleur à l’As (pour l’anecdote, son adversaire a payé avec juste une paire sur ce board dangereux). Ensuite, Schaffel a eu l’occasion de jouer à la table du champion en titre Peter Eastgate, ce qui lui a donné l’occasion de sortir son portefeuille pour montrer au danois le montage Photoshop réalisé par son fils… La photo-souvenir d’Easgate brandissant les dollars après sa victoire en 2008, où son visage a été remplacé par celui de Schaffel ! « Un porte-bonheur qui m’a permis de garder confiance tout au long du Main Event », explique t-il. L’une des explications à cette discrétion réside peut-être dans le fait que Kevin Schaffel est le joueur le plus serré de la table, comme l’explique plus bas Ludovic.

Médiatisation : Kevin Schaffel n’a pas passionné les médias généralistes, la faute à un profil un peu fade en comparaison des centre d’attention que furent Moon et Ivey. Rien de notable à signaler, mis à part un portrait publié dans le Miami Herald, quotidien paraissant chez Schaffel (lien ci-dessous), qui est aussi passé dans Inside Deal, l’émission online d’ESPN consacrée au poker.

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : La promo 2009 des November Nine a été beaucoup plus active que celle de l’année dernière. Tenez Kevin Schaffel, par exemple, qui a failli remporter le premier tournoi qu’il a joué après la constitution de la table finale. C’était un WPT, rien que ça, joué à Los Angeles. Seul un joueur du calibre Phralad Friedman a pu arrêter Schaffel dans la course vers son premier titre, qui a donc du se contenter de la seconde place (et d’un chèque d’un demi-million de dollars, tout de même). Puis, envoyé à Londres par son sponsor pour disputer l’EPT, Schaffel a effectué un parcours plus qu’honorable, atteignant les trois dernières tables. A part ça, notre retraité a pas mal joué au golf, et en ligne, rapport au manque de casinos près de chez lui. Pas trop du genre dépensier, Schaffel considère juste l’achat d’une nouvelle voiture avec ses gains. Et, peut-être, une maison – il est pour le moment locataire. En guise de préparation, Schaffel se documente avec un peu de lecture, et joue des SNG short-handed, car, dit-il, « je suis plus un joueur de full ring. »

L’avis de Ludovic Lacay : « J’ai beaucoup joué avec Kevin Schaffel durant les deux derniers jours. Il ne sautera pas dans les premiers car c’est un joueur extrêmement tight. L’un des plus tight que j’ai pu rencontrer durant les WSOP, en fait. Vraiment. Alors avec cinquante blindes, tu peux être sur qu’il va attendre. Un joueur sans surprises, avec un mental à toue épreuve, il ne craque jamais. Il ne peut rien lui arriver jusqu’au top 5. En revanche, je suis à peu près sur qu’il ne peut pas jouer la gagne. Je pense qu’il n’a pas ce qu’il faut pour s’adapter en short-handed. Après, il y a toujours des surprises, mais je n’y crois pas trop. »

L’avis de Benjo : La table finale que nous allons observer cette année est extrêmement représentative de la population qui prend part chaque année au Main Event des WSOP. On y retrouve un jeune grinder du net, un amateur de la classe ouvrière, un riche jouant pour le fun, une légende, etc, etc. On peut ranger Kevin Schaffel dans la catégorie du retraité cherchant une reconversion pas trop crevante. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette reconversion a payé, avec 1,2 millions de dollars garantis, et probablement bien plus, si l’on se révère à l’avis de Ludovic. Schaffel ne sera probablement pas le joueur le plus passionnant à suivre lors de cette finale, mais on peut compter sur lui pour jouer un poker sérieux.

Sources

Q and A with Kevin Schaffer - Card Player
Kevin Schaffel’s new adventure pays off – Card Player
Broward Player finally gets dealt a good hand – Miami Herald, 24 juillet 2009
Hendon Mob Database

Par Benjo

Siège 5 : Steven Beigleter

Tapis : 29,885,000 (troisième place)
Origine : Chappaqua, état de New-York (nord-est des États-Unis)
Âge : 47 ans
Profession : Ancien cadre de la grosse banque d’affaires Bear Stearns, travaille maintenant chez Flexpoint Ford, une firme privée spécialisée en capital-investissement
Statut : Riche amateur
Gains en tournoi live (avant le Main Event) : rien !

Profil : Steven Begleiter est avec Darvin Moon le seul amateur pur de cette table finale 2009. Mais dans un style radicalement opposé : là où le « col-bleu » Moon est un travailleur manuel venu de l’Amérique rurale, Begleiter est un « col-blanc », catégorie « grosse légume », impliqué dans de maousses transactions sur les marchés financiers de New-York. On peut s’en douter au vu de la situation économique actuelle : Begleiter a traversé quelques passes difficiles ces deux dernières années. En avril 2008, il fut l’un des témoins principaux de la déchéance de Bear Stearns, la firme pour laquelle il travaillait depuis 25 ans, devenue durant la crise l’un des plus forts symboles de l’effondrement du système. C’est le cœur brisé qu’il dut orchestrer la liquidation judiciaire, puis la revente pour une bouchée de pain de la tentaculaire banque d’affaires. Begleiter travaille désormais pour une firme plus modeste spécialisée dans le capital-investissement. Ne me demandez pas ce que c’est, je n’en sais rien.

La route vers les World Series of Poker, Begleiter l’a trouvé via sa partie hebdomadaire entre amis. « Nous somme un groupe de 22 joueurs. On joue chaque semaine de septembre à juin, en suivant le calendrier scolaire. Une partie à 300 dollars. Le premier au classement annuel remporte une ticket pour le Main Event, et c’est tombé sur moi. » Les règles de cette ligue stipulent que le vainqueur devra reverser 20% de ses gains aux autres joueurs : Begleiter va donc quoi qu’il arrive faire 21 heureux dans quelques jours, qui seront tous au rendez-vous au Rio pour le soutenir, accompagné par de nombreux collègues de bureau. Des collègues qui d’ailleurs ignoraient tout de la participation de Begleiter au Main Event : persuadé qu’il allait sauter le Day 1, il n’avait même pas pris la peine de les prévenir qu’il partait en week-end à Las Vegas !

C’est rare, mais cela arrive : Begleiter s’est lié d’une vraie amitié avec l’un de ses adversaires en finale. « J’ai fait connaissance avec Kevin Schaffel à une table de cash-game durant la pause entre le Day 1 et le Day 2. On a le même âge, et un peu le même background. Par la suite, on s’est tenu au courant de nos progrès mutuels, et ce fut un véritable bonheur de finalement atteindre ensemble les dernières tables. » Autre chouchou à la table : James Akenhead. « Il joue vraiment très bien, ce petit. »

Parcours dans le Main Event : Si Begleiter gère ses portefeuilles d’actions comme il joue au poker, pas étonnant que l’économie mondiale se porte aussi mal ! On a en effet affaire là à un gambleur de première catégorie, si l’on en juge par les mains qui ont été montrées sur ESPN. Sa première apparition à la télé annonce la couleur : lors du Day 6, Belgeiter pédale contre Akenhead pour trouver deux paires miracles sur la rivière et prendre 75% du tapis de l’anglais. Après, il y a ce call pour 1,2 millions dans un pot de 2,2 millions avec rien de plus qu’un tirage de quinte : Belgleiter touche à nouveau sa rivière, et élimine son adversaire qui détenait top-paire. Le plus beau reste à venir : un pot de plus de 200 blindes joué à tapis avant le flop avec… As-Dame ! Et le pauvre Tommy Vedes ne peut que se lamenter en voyant un As apparaître au turn pour battre sa paire de Rois. Si la stratégie de Begleiter employée durant les huit journées préliminaires reste la même en finale, il devrait donc y avoir du sport le 7 novembre ! Et cela surement le cas, car quand demande à Begleiter s’il compte changer de tactique lors du dernier jour, il botte en touche en rigolant : « Cette question implique que j’avais une déjà une stratégie établie, ce qui n’est pas le cas ! »

Médiatisation : Hors presse poker, le profil de Begleiter a attiré l’attention de Pensions&Investments, un obscur canard financier américain. Sinon, le prestigieux New York Times a consacré l’un de ses rares articles poker à Begleiter, sans doute parce qu’il est originaire de la Grosse Pomme (Voir liens ci-dessous)

Edit 03/11 : Le tout autant prestigieux Time Magazine publie aujourd’hui un portrait de Begleiter. J’ai rajouté le lien dans les sources.

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : Comme son double en négatif Darvin Moon, Steven Begleiter s’est remis au travail aussitôt après la mise en pause du Main Event l’été dernier. « Retourner au boulot m’a aidé à penser à autre chose, à me calmer, car trois mois d’attente, c’est très long. », explique t-il. Cependant, Begleiter a repris quelques congés pour disputer le tournoi WPT des Legends of Poker à Los Angeles. Résultat : une neuvième place, aux portes de la table finale, donc. Un résultat de plus pour les November Nine durant l’interlude ! On a aussi vu Begleiter à Londres, pour les WSOP-Europe. Ce que n’a pas fait Begleiter, en revanche, c’est gâter sa famille : on peut l’entendre révéler dans Inside Deal qu’il a refusé d’offrir une voiture à son fils qui vient d’avoir le permis. Son futur n’est pas encore écrit : « Mon avenir dans le poker dépendra de mon résultat en finale. J’aimerais au moins pouvoir jouer le Main Event chaque année. Si je fais un très bon résultat, j’aurai probablement une décision à prendre côté professionnel.»

L’avis de Ludovic Lacay « Steven Begleiter est probablement le plus mauvais joueur de la table, et donc potentiellement celui qui aura la partie la plus aléatoire de la table. Parce qu’en plus d’être mauvais, il joue loose, ce qui maximise ses chances de sauter. Résultat : ce sera tout ou rien, il peut gagner tout comme il peut sortir le premier. A la table, il racontait à Esfandiari ses parties hebdomadaires à 300$. C’est un amateur, il joue pour le fun : il va flamber, et jouer le coup. Il n’aura pas peur en début de tournoi. Avec Saout, Ivey, Akenhead, Schaffel qui vont entamer en jouant tight, il pourrait avoir le contrôle jusqu’à sept joueurs restants. Après, la donne va changer, puisque surement au moins un des autres joueurs aura doublé. Son autre problème, c’est qu’il joue beaucoup en défense, donc hors de position, ce qui n’est jamais génial contre des bons joueurs.

L’avis de Benjo : Une bonne table finale rassemblera idéalement des bons joueurs, et/ou des fortes personnalités. Si Steven Beigleter ne fait probablement pas partie de la première catégorie, il a assurément sa place dans la seconde. Un requin de la finance qui gamble avec le sourire ses jetons, jouant plusieurs coups de poker audacieux pour se frayer un chemin jusqu’en table finale des championnats du monde : tout un symbole dans le contexte économique actuel. Une bonne table finale comporte aussi un peu de manichéisme, avec d’un côté les méchants, et de l’autre les gentils. Et du coup, j’ai bien envie de placer Begleiter dans le camp des bad guys… Imaginez un peu un tête à tête final entre le vilain capitaliste Begleiter et le gentil ouvrier Moon : ça aurait de la gueule, non ? La présence d’un joueur comme Begleiter en finale nous offre la garantie de voir du spectacle, un grain de folie, et surement plein de surprises. Parce que les finales composées uniquement de bons joueurs, c’est bien, mais c’est parfois monotone. Rajoutez un ou deux donks imprévisibles, et l’on obtient un cocktail détonnant. Je dis donc OUI à Belgeiter, au profil somme toute sympathique, en espérant qu’il nous sorte de nouveaux coups fumants de son chapeau.

Sources :
Inside Deal
Money Management - Pensions&Investments
Bullish on Steven Begleiter – ESPN
Ex-Corporate Wiz Is Playing His Cards Right - New York Times, 20 juillet 2009
Will a Wall Streeter win big at the World Series of Poker ?

Siège 6 : Eric Buchman

Tapis : 34,800,000 (seconde place)
Origine : Valley Stream, état de New-York (nord-est des États-Unis)
Âge : 29 ans
Profession : Joueur de poker
Statut : Professionnel depuis 2001
Gains en tournoi (avant le Main Event) : 958,622$

Profil : Son coquet palmarès annonce tout de suite la couleur : avec Phil Ivey et Jeff Schulman, Joe Buchman est le finaliste possédant le plus d’expérience en tournoi live. Les premiers résultats du new-yorkais remontent a décembre 2002, avec deux finales lors de l’US Poker Championship organisé à Atlantic City. Suivent une longue liste de places payées comprenant une victoire lors de la New England Poker Classic (sa plus belle performance pré-Main Event, avec 275,000 dollars de gains), deux finales lors de tournois WSOP (Limit Hold’em en 2006, et Omaha/Stud High-Low cette année), et une seconde place lors d’une épreuve du WSOP Circuit, encore à Atlantic City (208,000 dollars de gains). Ce qui nous donne un total de gains de carrière avoisinant le million de dollars : pas mal pour quelqu’un se définissant comme un joueur de cash-game avant tout, ayant graduellement grimpé de limite ces dix dernières années, depuis les parties de Stud à cinq dollars la mise dans les casinos des réserves indiennes du New-Jersey et les parties illégales de New York, jusqu’aux tables à 600$/1,200$ en format « Mixed Games » d’Atlantic City. Bref, un pur joueur professionnel, motivé par l’argent plus que par la gloire, ayant consacré l’ensemble de sa vie adulte au poker depuis l’obtention de son diplôme universitaire. « Il faut trois choses pour devenir un bon joueur de cash-games », explique Buchman : « Un petit peu de talent à la base, un petit peu d’argent pour débuter, et beaucoup, beaucoup de travail. » Buchman ajoute que son expérience des parties high-stakes lui a donné un avantage certain lors du Main Event : « J’ai l’habitude de gérer la pression amenée par de gros enjeux. »

Parcours dans le Main Event : ESPN ayant presque complètement ignoré Buchman, il est difficile de retracer son cheminement durant l’épreuve, même sommairement. Mis à part une courte apparition après la bulle lors d’une main contre Dan Harrington (Buchman sur-relance [As][Qs] mais ne peut payer la mise à tapis d’Action Dan), notre finaliste est complètement absent des retransmissions jusqu’à l’avant-dernier jour du tournoi (le Day 7). Il ne reste alors plus que 64 joueurs en course, et c’est à ce moment là que l’on peut assister au plus gros coup de chance de Buchman, quand il met son tournoi en jeu avec une paire de 8 contre une paire de Rois, dans un pot de quatre millions. Le board lui apporte une quinte miraculeuse pour survivre, et lui permettre de tripler son stack lors de la journée qui va suivre, et ainsi arriver en table finale avec le second tapis. « J’ai été à tapis trois fois en étant derrière, et je m’en suis sorti trois fois », avoue Buchman. « Et bien sur, il y a eu toutes les autres fois où j’étais à tapis avec la meilleure main sans qu’il n’y ait eu de bad-beat. »

Médiatisation : R.A.S. Après d’intensives recherches, je n’ai rien trouvé de véritablement consistant concernant Eric Buchman dans la presse généraliste. Sans doute la faute à la présence en table finale de joueurs aux profils autrement plus intéressants occupant tout l’espace médiatique disponible, comme Darvin Moon (l’ouvrier), Joe Cada (le jeunot), ou Phil Ivey (la légende). Buchman, lui, est juste un joueur de poker. Un bon joueur, certes, mais juste un joueur. Même les sites et publications orientées poker n’ont fait que peu de cas du bonhomme, si ce n’est les habituels profils et interviews publiés dans les jours qui ont suivi la constitution de la table finale. Son apparition dans l’excellent Inside Deal d’ESPN révèle un personnage au charisme peu évident, répondant aux questions des animateurs avec une poignée de phrases monosyllabiques. On y apprend tout de même que Buchman aime sa position à la table, et qu’il se verrait bien arriver en tête à tête contre Darvin Moon.

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : Eric Buchman fut l’un des November Nine les plus calmes durant l’interlude. Mis à part une participation à l’EPT de Londres, Buchman fut complètement absent du circuit des tournois live ces trois derniers mois, préférant prendre du bon temps avec la famille et les amis, et aller voir les matchs des Mets, son équipe de base-ball favorite. Ce qui n’est guère étonnant, finalement : avant le Main Event, le cash-game occupait la majorité du programme de Buchman, avec peut-être un quart de son temps dédié aux tournois, joués principalement dans sa zone géographique, l’est des États-Unis. Cela pourrait changer après novembre : en cas de victoire, le new-yorkais prévoit de voyager un peu plus. A noter que Buchman a changé de sponsor depuis la constitution de la table finale, passant d’un gros site acceptant les américains à… un autre gros site acceptant les américains.

L’avis de Ludovic Lacay : « Je n’ai en fait pas grand chose à dire sur Eric Buchman : je n’ai jamais été une seule fois à la table avec lui, si mes souvenirs sont bons. En regardant sa position à la table et son gros tapis, je vois qu’il est très bien placé. Si c’est un joueur actif préflop, il pourra vraiment prendre le contrôle en début de partie, et ça en fera un des favoris pour le top 3. Ses stats en live me font suspecter un joueur de l’ancienne école. Probablement pas le genre à « blow-up ». Mais il reste un point d’interrogation pour moi. »

L’avis de Benjo : Son absence sur le circuit depuis juillet, son profil un peu trop lisse et banal, et la présence en finale de fortes personnalités ont fait d’Eric Buchman le grand laissé pour compte des November Nine. Pourtant, si l’on factorise son expérience, sa position à la table, et la hauteur de son tapis, on se rend compte que Buchman est tout simplement l’un des grands favoris pour devenir le prochain champion du monde. Un joueur à ne pas mettre de côté, donc, et qui devrait développer un jeu complet en finale, à la fois solide et agressif. Buchman a déjà participé à de nombreuses tables finales, possède quelques victoires à son palmarès, et sait gérer la pression générée par les grosses sommes d’argent : ne pas parier sur lui serait une sérieuse erreur.

Sources

Profil – Poker News
Profil – Bluff Magazine
Profil – Card Player
How the 2009 WSOP November Nine are preparing for the final table – Card Player
Hendon Mob Database
Inside Deal – ESPN

Siège 7 : Joseph Cada

Tapis : 13,215,000 (cinquième place)
Origine : Shelby Township, état du Michigan (centre-nord des États-Unis)
Âge : 21 ans
Profession : Joueur de poker
Statut : Professionnel depuis déjà quatre ans
Gains en tournoi live (avant le Main Event) : 28,414$

Profil : Habitués que nous sommes à voir débarquer à chaque tournoi ou presque d’extraordinaires talents à peine sortis du berceau, on ne sera pas tant étonné que cela d’apprendre que malgré son jeu âge (21 ans, l’âge minimum pour participer aux WSOP), Joe Cada joue au poker depuis déjà six ans, dont quatre en tant que professionnel. « J’étais un lycéen moyen, pas très appliqué, qui ne faisait pas ses devoirs », explique le natif du Michigan. « Je me suis inscrit en fac de commerce, principalement pour faire plaisir à ma mère. Je n’ai pas été plus loin que le second semestre. » C’était en 2006 : à ce moment là, le poker l’avait déjà happé depuis un moment, et c’est avec ses gains qu’il s’apprêtait à payer cash une maison de trois étages à Chesterfield. Et ainsi, comme d’autres avant lui, Cada venait de passer directement de la case « université » à la case « poker », sans diplôme ni métier. Une décision risquée que même sa maman n’aura probablement jamais à regretter, maintenant que Cada a un chèque de plus d’un million de dollars garanti à son nom, et peut-être bien plus encore.

En véritable « grinder » typique d’Internet, Cada a accumulé en relativement peu de temps une expérience remarquable, enchaînant les succès en tournoi tout en travaillant des heures durant le jeu en tête à tête, sa spécialité. « Je suis avant tout un joueur de cash-game, en 10$/20$. », dit-il. « C’est une très bonne formation à la discipline. En heads-up, il est facile de boire la tasse et de tilter sa bankroll après un ou deux bad-beats. » Depuis le début de l’année 2009, Cada a quelque peu ralenti son volume de jeu en ligne, préférant tabler sur la qualité plutôt que la quantité. Un emploi du temps un poil plus relax qui n’a en rien affaibli ses talents, pourrait-on dire.

Cada avait débarqué l’été dernier à Vegas pour disputer ses premiers World Series of Poker… Un peu short en monnaie sonnante et trébuchante après un downswing de 130,000$ survenu juste avant le départ des WSOP, Cada a eu recours au financement de deux des plus gros stakers du circuit : Cliff « JohnnyBax » Josephy et Eric « sheets » Haber. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’auront pas à regretter leur investissement, puisqu’ils recevront quoi qu’il arrive 50% des gains de Cada au Main Event. Avant de disputer le Big One, Cada s’était mis en bouche avec deux solides résultats : 64ème dans l’épreuve de No-Limit à 2,500$, et 17ème dans un autre tournoi de NL (1,500$). C’est ElkY qui avait éliminé Cada de cette dernière épreuve en demi-finales, après un vilain 2-outer sur la rivière.

Parcours dans le Main Event : Alors que certains de ses camarades finalistes ont gardé un profil bas durant la première semaine du tournoi pour ne se faire remarquer que durant les deux dernières journées, Joe Cada faisait déjà parler de lui dès le Day 1C, en terminant au poste de chip-leader. Ce n’est pourtant que pour la retransmission du Day 4 que l’on apercevra le jeune loup pour la première fois devant les caméras d’ESPN, et encore : c’était seulement en tant que spectateur d’une main jouée par l’un des célébrités en lice dans le tournoi. Deux jours plus tard, on verra enfin Cada jouer au poker, éliminant JC Tran en 86ème place avec 88 contre [Ad][5d] à tapis avant le flop. Le lendemain, Cada débarque en table télévisée, mais ne fait pas de vagues. Au milieu du dernier jour des phases préliminaires du Main Event, la situation est tendue : Cada possède l’un des cinq plus petits tapis avec 23 joueurs restants. Il parvient à reprendre quelques jetons en éliminant Marco Mattes avec 88 contre 55, mais reste assez short. Plus tard, quand Jeff Schulman le sur-relancera avec un maigre [Ac][7h], Cada n’hésitera pas une seconde avant de faire tapis avec [Ad][Qc]. Shulman ne peut payer, et Cada continue sa remontée. Même chose quand le Shulman sus-cité mise avec hauteur As sur un board K-5-2 : Cada ne lâche pas ses Dames, et prend même l’initiative quand le Roi double sur la rivière – Shulman fait d’ailleurs un bon fold à cette occasion. Cada sait jouer finement, et ne s’engouffre pas dans les pièges tendus par ses adversaires, comme le montre cette paire de Valets jetée en grinçant des dents après une relance et une sur-relance préflop. (Pour l’anecdote, le relanceur avait 99, le sur-relanceur KK. Cada passe, et derrière Akenhead jette [Ad][Kd] - Buchman fait de même avec [Ts][Tc] !!!) Cette dernière journée du Main Event verra Cada s’affronter plusieurs fois à Ivey, ce dernier remportant deux des trois confrontations montrées à la télévision, quasiment les seules où le meilleur joueur du monde s’est essayé au Big Bluff devant les caméras : d’abord un move préflop avec [6c][2s] (Cada passe son [Th][7h]) puis une hauteur Roi où Ivey investit 40% de son tapis. Cada jette ses cartes : de toute façon, Ivey bluffait avec la meilleure main. Le troisième duel contre Ivey sera le bon : Cada check/raise avec une paire de 7 sur un board 2-2-4, et Ivey est obligé de jeter son [Jd][9d]. Le jeune grinder arrivera en table finale avec le cinquième tapis : il aurait pu avoir plus si sa paire d’As avait réussi à tenir à tapis avant le flop contre la paire de Dix de Jamie Robbins en demi-finales (ce dernier sera finalement éliminé en onzième place.)

Médiatisation : Comme pour presque tous les autres November Nine, c’est dans la presse locale que Joe Cada a fait parler de lui. En l’occurrence The Detroit News, qui a consacré pas moins de trois articles au jeune prodige, le premier publié avant même que la table finale soit constituée, alors qu’il restait 64 joueurs en course. Malheureusement, les deux premiers articles ne sont plus disponibles en consultation gratuite, mais je vous invite chaudement à consulter le dernier en date, publié cette semaine. Sinon, à l’instar de la plupart de ses confrères finalistes, Cada fut invité autour de la table d’Inside Deal.

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : Si Joe Cada a disputé quelques grosses compétitions live durant les trois mois de délai entre les phases préliminaires du Main Event et la finale (WPT à Los Angeles, EPT à Barcelone et Londres, WSOP-Europe), c’est surtout en ligne qu’il s’est distingué. Confortablement installé dans son canapé, « jcada99 » a - d’après la base de données Official Poker Rankings - engrangé 200,000$ de profits entre juillet et novembre (principalement le samedi et le dimanche) sur les deux plus grosses plate-formes acceptant les joueurs américains. Avec ses gains, Cada prévoit de s’offrir une résidence secondaire à Las Vegas et de se lancer dans les affaires… en ouvrant un bar.

L’avis de Ludovic Lacay : « D’après le peu que j’ai pu voir, Joe Cada joue très bien. Techniquement le meilleur de la table avec Akenhead. Après, niveau mental, je ne sais pas ce qu’il en est, mais il a eu trois mois pour se préparer, donc il ne devrait pas avoir de problèmes. On ne tilte pas quand on joue pour huit millions de dollars ! Cada connaît tous les moves, et avec 54 blindes, il pourra jouer vraiment longtemps sans jeu. Il peut relancer, 3-bet à répétition, envoyer plusieurs barrels, et contre les finalistes qui ont peur, ça va marcher. Et sa position à la table est très intéressante. A droite, Ivey ne va pas l’attaquer énormément, surtout à cause du levier que Cada a sur lui : chaque fois qu’il va le 3-bet, Ivey sera en mode push ou fold. Schaffel n’attaque pas, Akenhead n’a pas trop la place, Moon est tight. Il ne reste plus que Begleiter, qui jouera loose et en position, mais Cada aura l’avantage de plus souvent avoir la meilleure main préflop quand il le paie. En fait, Cada a pas mal de chances de doubler sur Begleiter. A droite, il va pouvoir jouer en position contre Schulman et Moon, qui vont surement pas mal défendre leurs blindes : le rêve, car c’est Moon qui va le plus se faire avoir post-flop, sur des deux-barrel, des trois-barrel, etc. »

L’avis de Benjo : En 1989, Phil Hellmuth était devenu le plus jeune champion du monde de l’histoire des WSOP à l’âge de 24 ans. Il aura fallu attendre presque vingt ans pour voir ce record battu, avec le sacre d’un danois de 22 ans nommé Peter Eastgate. Signe des temps et de l’accélération de la courbe d’apprentissage dans le poker moderne : ce record pourrait être battu à nouveau, alors qu’Eastgate est en train de profiter de ses dernières journées en tant que champion du monde en titre. A 21 ans, Joe Cada est le favori naturel de la génération Internet, des grinders de 2+2, des afficionados du MTT, et une inspiration pour tous ceux qui n’ont pas encore l’âge de disputer les World Series of Poker. Je me range derrière l’avis de Ludo : on peut s’attendre à une très belle prestation de Cada en table finale, et sa position idéale à la table fait de lui un concurrent sérieux au titre, malgré un tapis bien inférieur à ceux de Moon, Buchman et Begleiter.

Sources

Official Poker Rankings
Poker News Blog
Profil – Poker News Daily
Profil – Card Player
Metro Detroit’s ace poker player closes in on World Series title – The Detroit News, 4 novembre 2009

Flashback

Prenons une petite pause dans notre descriptif des neuf finalistes du Main Event… Toute cette lecture, ça devient un peu indigeste, pas vrai ?

J’ai ressorti du placard quelques vidéo maison des WSOP qui n’avaient jamais été publiées (sauf la dernière). La qualité n’est pas géniale, mais qu’importe. Enjoy !

14 juin 2009, 14 heures. Phil Ivey reçoit des mains de Jeffrey Pollack son deuxième bracelet de l’été. Son septième en dix ans. L’hymne américain envahit l’Amazon Room remplie à craquer : 1,500 joueurs de poker réservent au meilleur joueur du monde une standing ovation.

[video]https://www.winamax.com/img/coverage/WSOP2009/MEFinale/ivey_bracelet.flv[/video]

13 juillet 2009, 21 heures. C’est la sixième journée du Main Event. Il ne reste plus que cent joueurs en course. Ludovic trouve une paire de Rois, et après une guerre de relance, se retrouve à tapis. En face : deux As. J’appuie sur le bouton « record » de mon appareil photo juste au moment où le croupier retourne la rivière. Le clan français exulte, sous le regard amusé d’Antoine Saout. Julien Brécard vient donner l’accolade à Cuts. Quelques secondes plus tard, Yuestud se retrouvera à tapis dans des conditions en tout points identiques. L’issue sera malheureusement différente…

[video]https://www.winamax.com/img/coverage/WSOP2009/MEFinale/cuts.flv[/video]

14 juillet 2009, 16 heures. Avant-dernier jour. Il ne reste plus qu’une poignée de tables encore actives. Semble t-il peu impressionné par l’enjeu, Steve Begleiter trouve le moyen d’engager plus de cent blindes préflop avec As-Dame. En face, Tommy Vedes est armé avec deux Rois…

[video]https://www.winamax.com/img/coverage/WSOP2009/MEFinale/beg.flv[/video]

15 juillet 2009, 22 heures 30. Jordan Smith est à tapis après le flop contre Darvin Moon. Des centaines de spectateurs observent la scène. Sur l’écran suspendu au dessus de la table, on peut voir une paire d’As et une paire de huit. La plus haute carte du flop est un huit. Nous ne savons pas encore qui possède quoi. Les caméras d’ESPN interrompent l’action pendant ce qui semblent être des heures. Puis, finalement, le superviseur donne l’ordre au croupier de donner les deux dernières cartes.

[video]https://www.winamax.com/img/coverage/WSOP2009/MEFinale/final_hand.flv[/video]

15 juillet 2009, 22 heures 40. C’est fini : la table finale du Main Event est prête. Un par un, le directeur du tournoi Jack Effel présente les November Nine. Il va en oublier un…

[video]https://www.winamax.com/img/coverage/WSOP2009/MEFinale/finalistes.flv[/video]

15 juillet 2009, 23 heures 15. Encore sonné par un événement qui vient de changer sa vie, Antoine Saout donne sa toute première interview en exclusivité pour Winamax…

[video]https://media.winamax.com/coverage/2009_WSOP_LasVegas/Saout.flv[/video]

Siège 8 : Antoine Saout

Tapis : 9,500,000 (huitième place)
Origine : Morlaix, Finistère (Bretagne, France)
Âge : 25 ans
Profession : Joueur de poker depuis la fin de ses études d’ingénieur
Statut : Professionnel, sponsorisé depuis la fin de l’été
Gains en tournoi live (avant le Main Event) : 8,372$

Profil : Le parcours du joueur français le plus discuté de ces trois derniers mois est un véritable compte de fées qui n’est pas sans rappeler celui d’un des deux autres jeunots de la table finale des WSOP 2009, Joe Cada. Tout comme l’américain, c’est avant tout pour échapper à des études qui ne l’intéressaient pas qu’Antoine Saout s’est tourné vers le poker. En l’occurrence une formation d’ingénieur suivie dans la région parisienne. Une fois retourné dans la résidence familiale bretonne, Antoine a eu tout loisir de se consacrer au poker après avoir observé sa grande sœur taper le carton en play-money sur Internet. La sauce prend : Antoine se spécialise dans les Sit’n’go, puis les tournois multi-tables, tout en s’essayant au cash-game live dans les casinos du coin. « Le truc » explique t-il à MadeInPoker, « c’est que j’ai gagné tout de suite. » Un gain de 7,000$ durant son premier mois de poker intensif, puis une qualification online pour le Spanish Poker Tour de Marbella en novembre 2008 sont tout ce qu’il fallait pour le convaincre de poursuivre. Il se qualifie pour d’autre épreuves, atteint deux tables finales en Espagne, et joue l’European Deep Stack de Dublin. Un an après avoir décidé de faire du poker son métier, les craintes de sa maman (qui aurait préféré que son fiston trouve un vrai job) se sont envolées : à 25 ans, Antoine est en finale du plus gros tournoi du monde, assuré de remporter au moins 1,2 millions de dollars.

A la table, Saout est plutôt du genre serré, solide et agressif, ne jouant que peu de coups, mais mettant généralement une pression maximum quand il se décide à faire bouger les jetons. La première chose que l’on remarquera chez Antoine en le rencontrant, que ce soit au poker ou en dehors, c’est son calme impressionnant. Rarement je n’ai eu l’occasion de voir un joueur aussi peu émotif. Rien ne le remue, ni les bad-beats, ni une réussite insolente. Il suffit de voir sa réaction peu loquace quelques minutes après l’obtention de la table finale, après que je lui ai demandé de me raconter son Main Event : « Bof, pas grand chose. Je pense avoir joué un bon tournoi… » Mais le personnage est comme cela : stoïque et pas remué par l’enjeu. Définitivement un atout au poker. Et je suis prêt à parier cher que si d’aventure Saout devait se retrouver en heads-up contre Phil Ivey, il n’est pas certain que ce soit le coeur du français qui battrait le plus fort…

Parcours dans le Main Event : Comme lors de chaque tournoi que nous couvrons, le tapis de tous les français ayant participé aux championnats du monde a été suivi de près durant l’ensemble de l’épreuve. L’étude de l’évolution du tapis d’Antoine Saout au début de chaque journée révèle une épatante régularité dans sa progression. Jugez plutôt :

Day 1 : 30,000
Day 2 : 89,425
Day 3 : 178,500
Day 4 : 452,500
Day 5 : 589,000
Day 6 : 893,000
Day 7 : 5,195,000
Day 8 : 11,135,000
Finale : 9,500,000

Antoine a ainsi progressé à bon rythme durant les cinq premières journées du Main Event, parvenant toujours à augmenter son tapis de manière significative, mis à part une légère stagnation durant le Day 4. Après un petit passage à vide durant le Day 5, où Antoine verra pour la première fois son tapis passer en dessous de la moyenne, c’est lors du Day 6 qu’il prendra véritablement son envol, lancé par une coin-flip à 1,5 millions remportée avec As-Roi contre deux Valets. Un peu plus tard, une heureuse confrontation AA/KK fait doubler Antoine à nouveau, avant de rafler un gros pot à Ludovic Lacay avec une quinte runner-runner contre les deux paires max du joueur du Team Winamax. La seule journée qu’Antoine terminera avec moins de jetons qu’au commencement sera la dernière, avec un Day 8 difficile où le français ne passe d’ailleurs pas très loin de l’élimination, possédant le plus petit tapis à 14 joueurs restants. Un joli bluff contre Steven Begleiter (le flop est 883 : le new-yorkais a relancé pour info avec 77 – Antoine 4-bet à tapis avec AQ, et Begleiter jette ses cartes, ne voyant pas d’autre solution) et une cruciale confrontation avec 88 contre le As-Roi de James Akenhead vont lui permettre de reprendre assez de jetons pour ensuite rester patient jusqu’en table finale.

Ah, et sinon, carton rouge à ESPN, qui à fait d’Antoine Saout l’homme invisible de ce Main Event, ne lui accordant qu’un « temps de parole » minimal lors des vingt heures consacrées à l’épreuve à la télévision. Pour apercevoir Antoine avant le Day 8, il fallait avoir de bon yeux : le français n’était là qu’en position de spectateur des coups joués par ses adversaires. Antoine n’aura même pas eu droit à l’interview sur le fauteuil rouge, sur lequel sont pourtant passés tous les autres November Nine. Peut-être la faute à un niveau d’anglais bien trop faible ? Ceci dit, les rares coups qu’on l’aura vu jouer à la télé valent tout de même coup, tel cette jolie relance avec AQ sur un baby flop. Bien vu : Antonio Esfandiari avait donk-bet avec hauteur Roi.

Médiatisation : A l’étranger, l’effacé Antoine Saout est une énigme, le grand inconnu de cette table finale. Nombre de mes confrères m’ont contacté pour en savoir plus à son sujet : « Mais qui est ce mec ? On a rien sur lui ! » Combiné à la faible hauteur de son tapis, pas étonnant donc que la poignée d’articles qui lui ont été consacrés hors de nos frontières se content d’insister sur le mystère du personnage, et rien de plus. Chez nous, c’est une autre histoire, bien entendu. Mis à part Patrick Bruel, dont la notoriété s’est à l’origine construite dans d’autres domaines, jamais dans l’histoire du poker français un joueur de cartes n’avait autant fait parler de lui dans la presse généraliste. Pas même ElkY. C’est qu’on a pas tous les jours un tricolore en table finale du plus gros tournoi du monde. TF1, Le Journal du Dimanche, 20 minutes, Metro, Le Parisien, et j’en passe : Antoine Saout n’a pas chômé durant ces trois derniers mois, et les journalistes ne se sont pas privés de profiter du caractère un poil désinvolte du breton pour titrer quelques phrases choc. Exemple avec Métro : « Je n’ai peur de personne. »

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : Il avait prévenu dès le 15 juillet au soir : « Je compte jouer beaucoup de tournois dès mon retour en Europe, pour prendre de l’expérience. » Promesse tenue : aussitôt après avoir signé l’un des plus gros contrats de sponsoring du marché français, Antoine Saout s’est mis en route, passant virtuellement l’ensemble de l’interlude d’aéroport en aéroport, disputant les plus gros tournois de la rentrée du Vieux Continent, tout en se prêtant de bonne grâce à l’incessant ballet des interviews. Un changement de vie radical pour celui qui jouait encore de petits Sit’n’go il y a dix-huit mois à peine. Sur les forums, tout le monde l’attendait au tournant : avait-on affaire à une vraie révélation, ou a une étoile filante ? Force est de constater que Saout : on pourrait argumenter qu’Antoine est le November Nine ayant le mieux rempli son emploi du temps ces trois derniers mois. En tournoi live, tout du moins. On l’a d’abord vu à La Baule, pour un étape du Barrière Poker Tour. 56 joueurs sont présents, et Antoine se hisse en table finale, terminant en quatrième place. Un petit gain, et un résultat avant tout symbolique : Saout veut prouver qu’il est là pour rester. Puis vient le Partouche Poker Tour, la grand-messe de rentrée des joueurs français. Bilan : chip-leader tout au long de l’épreuve, jusqu’à son crash en trentième place, après un call (perdant) des plus couillus contre Michael Tureniec. Un autre symbole : Antoine Saout est bien décidé à ouvrir son jeu, et à s’amuser un peu, maintenant que la pression financière a disparu. Une semaine plus tard, Antoine se rend au Portugal pour disputer une étape du (mal nommé) Spanish Poker Tour. Là encore, le deep-run est au rendez-vous, avec une treizième place. Après l’EPT de Barcelone, cap sur Londres, pour son plus beau résultat post Main-Event. En compagnie de son collègue James Akenhead, Antoine va naviguer à travers l’un des fields les plus relevés de l’année pour atteindre la table finale des World Series of Poker Europe. Une fois assis autour de l’ultime table, le breton ne parviendra pas à faire mieux qu’une septième place, mais aura définitivement prouvé aux observateurs que son résultat à Vegas n’était pas seulement du à une réussite exceptionnelle. Et ce n’était d’ailleurs pas fini : Antoine allait ensuite atteindre les places payés au WPT de Marrakech, puis conclure son entraînement de trois mois à Enghien, en terminant en troisième place du Sit’n’go High-Roller à 10,000 euros. Bref, un interlude bien rempli, partagé entre une médiatisation sans précédent, un emploi du temps de stakhanoviste, et quelques fêtes bien arrosées. Il y en aura surement d’autres. En attendant, il faudra tout de même penser à profiter un jour de ses gains : occupé qu’il était, Antoine avoue qu’il n’a guère eu le temps de commencer à dépenser le chèque de 1,2 millions de dollars qui lui a été remis en juillet.

L’avis de Ludovic Lacay : « Quand nous avons joué ensemble, Antoine avait toujours beaucoup de jetons, et ce que je peux lui reprocher, c’est de ne pas les avoir utilisés : durant la journée et demi qu’on a passée tous les deux, il n’a pas joué un coup, ou presque, alors que la table était facile. Mais Antoine a joué beaucoup de tournois depuis le Main Event, il a été loin à de nombreuses reprises : il a ouvert son jeu et pris pas mal d’expérience. Par exemple, ce call de fou contre Tureniec au PPT de Cannes, il ne l’aurait jamais fait à Vegas.

Je n’aime pas du tout sa place à la table. Avec son tapis, il peut encore jouer small-ball. Trente blindes, c’est encore assez pour relancer beaucoup de mains contre des joueurs faibles. Mais là, Antoine a derrière lui des joueurs qui défendent, comme Shulman et Moon, et qui « repush », comme Akenhead et Ivey, et de toute manière je ne pense pas qu’il aura le courage de s’attaquer à Ivey. C’est con, mais il faut en avoir pour voler la blinde d’Ivey. Quand il se met à te fixer avec ses gros yeux de fou, au secours ! Et après, pour voler la blinde de Schaffel, même topo, avec tous les joueurs au milieu qui peuvent squeeze. Les situations potentiellement exploitables pour Antoine se trouvent en repush, par exemple quand Cada va ouvrir, mais seulement si ce dernier décide d’ouvrir de petite blinde, ce qui n’est pas garanti. Son meilleur spot est peut-être Begleiter, qui devrait ouvrir un peu plus que les autres, et donc peut-être laisser la voie à Antoine pour sur-relancer à tapis. Mais attention, Begleiter est bête : il peut relancer, et payer un tapis avec en main une merguez ! Antoine ne pourra donc pas envoyer avec une mauvaise main, il se retrouve un peu dépendant du jeu qu’il recevra. Grosso modo, Antoine va devoir doubler rapidement, et quand bien même, sa position à la table reste très mauvaise. Ceci dit, s’il arrive à s’en sortir, il pourra ensuite jouer beaucoup de coups sur les blindes de Shulman et Moon, et sur-relancer Cada et Begleiter en position. Mais au vu de la configuration à la table, le scénario le plus probable reste une lente descente suivie d’un double-up, ou de l’élimination. »

L’avis de Benjo : Si je veux parler d’Antoine Saout, il me faut parler un peu de moi. Parce que pour mon seul tournoi sérieux de l’année disputé en tant que joueur, j’étais assis en face d’Antoine tout au long du Day 1. C’était à Dublin pour l’European Deepstack Championship, cinq fois avant que le breton ne crée la sensation. Je n’avais jamais croisé Antoine auparavant, et dès la première demi-heure, il avait essayé de me bluffer. Son bluff était bon, mais il avait choisi la mauvaise cible : en bonne calling station, je n’allais pas jeter ma paire de Dix face à son « 3-barrel », malgré la présence d’un Valet sur le flop et d’un Roi sur la rivière (sans compter les trois trèfles). Je me rappelle m’être dit : « Merde, si ce mec est prêt à investir 5,000 aux blindes à 25/50 sur un bluff complet, il sera rudement chiant à jouer quand les blindes seront à 500/1,000. » J’ai donc essayé d’éviter Antoine autant que possible. Il a ensuite joué un bon poker le reste de la journée, solide et relativement indéchiffrable, et a été éliminé à peu près en même temps que moi, vers la fin du Day 2. Tout ça pour vous dire que j’étais déjà convaincu de son talent avant même qu’il n’arrive à Vegas.

L’année 2009 rentrera quoi qu’il arrive dans les annales du poker français, avec des performances tellement nombreuses que, de notre position de spectateurs, on avait parfois du mal à tenir la cadence. Il y a eu ElkY et ses deux victoires lors des WCOOP, un titre EPT avec Christophe Benzimra, deux titres WPT avec Thomas Bichon et Christophe Savary, les quasi exploits de nombre de nos compatriotes aux WSOP (Fabrice Soulier, Gabriel Nassif, Jean-Philippe Léandri, et j’en passe), les deep-run à répétition du Team Winamax (Ludovic Lacay à Monte Carlo et Marrakech, Tallix et Almira aux WSOP, la liste est longue), et des finales en pagaille. C’est plus nombreux que jamais que les hexagonaux ont participé aux étapes du circuit européen et américain, et les résultats se font sentir. La France Une victoire d’Antoine Saout viendrait fermer définitivement le ban, et placer le poker français sur le devant de la scène internationale, après plusieurs années où le niveau de nos joueurs fut sujet de débat hors de nos frontières (et pas qu’en dehors, d’ailleurs)

N’empêche, la situation va être compliquée. Comme l’explique Ludo, la position d’Antoine à la table ne lui laisse que peu de marge de manœuvre, au vu de la taille de son tapis. En finale des WSOP-Europe, les paramètres étaient similaires : petit tapis de trente blindes, et placement peu avantageux. Le résultat : cinq heures de mort lente se concluant par un coin-flip contre Daniel Negreanu. Espérons qu’Antoine pourra cette fois se sortir du guêpier, et peut-être ajuster son jeu après l’expérience londonienne. C’est tout le mal que je lui souhaite : rien ne me ferait plus plaisir qu’être témoin de la victoire d’Antoine lundi.

Sources

Made In Poker
Le Parisien
Metro
Card Player

Siège 9 : Jeff Shulman

Tapis : 19,580,000 (quatrième place)
Origine : Seattle, état de Washington (Nord-ouest des États-Unis)
Âge : 34 ans
Profession : Président du groupe de presse Card Player. Son père Barry en est le propriétaire.
Statut : Membre de l’industrie du poker, et amateur expérimenté
Gains en tournoi (avant le Main Event) : 1,304,015$

Profil : Jeff Shulman est le seul des neuf finalistes du Main Event à pouvoir citer IAM : « Quand tu allais, on revenait. » En effet, la première percée de Shulman sur le circuit des tournois live s’est faite lors des WSOP 2000, quand les championnats du monde se tenaient encore au Binion’s Horseshoe. Jeff (25 ans à l’époque) était arrivé en table finale du Main Event en position de chip-leader. Hélas, deux gros setups contre Chris Ferguson (77 contre 66, puis KK contre AA, tous deux à tapis avant le flop) ont résulté en une brutale élimination en septième place, et ont grandement favorisé l’accession au titre de Jésus. « Si Chris n’avait pas floppé ce brelan de 6, c’est moi qu’on verrait à la télé trancher des bananes avec des cartes à jouer », plaisante Jeff, qui baigne dans l’industrie du poker depuis plus le rachat par son père du magazine Card Player en 1998.

Partageant son temps entre la direction du magazine (et de ses nombreuses déclinaisons locales à travers le monde, en France, en Italie, en Pologne, etc) et les tournois pros de Los Angeles et Las Vegas, Shulman a accumulé en dix ans une jolie liste de résultats, comprenant treize places payées aux WSOP (dont trois finales), neuf ITM au World Poker Tour (dont deux demi-finales), et plusieurs cash importants dans des side-events. Bref, un joueur d’expérience, côtoyant au quotidien les plus grands pros du circuit américain.

Parcours dans le Main Event : Jeff Shulman est avec Phil Ivey le seul November Nine qui était un tant soit peu connu du public américain avant le Main Event. Le patron de Card Player a donc été suivi de près par les caméras d’ESPN, et les retransmissions télévisées des WSOP nous ont permis de suivre ses progrès dès le Day 5, jour où il apparait pour la première fois en table télévisée en compagnie d’Andy Black, ElkY, François Balmigère et Rolf Slotboom. On peut y découvrir un joueur solide, sérieux, mais plutôt créatif. Par exemple avec deux bluffs réussis contre ElkY : le premier avec Roi-Dame sur un board contenant un As : le français passe sans hésiter deux Dames. Le second avec [9d][4d], qu’il mise sur le flop [Jc][Th][Jh], puis sur le turn [Kc], et la rivière [8h]. ElkY abandonne son [As][3s] sur le dernier tour d’enchères. On voit aussi Shulman éliminer Andy Black avec un brelan de 8 floppé. L’irlandais « blow-up » pour la centième fois de sa carrière en payant son tapis sur la rivière avec une simple paire de 4.

Shulman parvient à doubler son stack durant le Day 5. La journée du demain lui sera tout aussi profitable, avec notamment un full trouvé sur la rivière lui permettant de passer à 4,7 millions. Il déserrera son jeu durant le Day 7, choisissant de relancer avec [7c][3d]. Son bluff rate, cependant : Shulman est payé à la rivière par un joueur détenant top paire. Son jeu par ailleurs globalement solide l’amènera à jeter [Ah][Kh] face à une relance à tapis : Shulman refuse d’investir la moitié de son tapis, une décision plutôt bonne car il aurait fait face à deux Dames. En demi-finales, Shulman éliminera le joueur du Team Winamax Ludovic Lacay avec As-Roi contre une paire de 7, laissant Antoine Saout seul pour représenter les espoirs français en finale.

« Je suis le premier surpris de ce résultat », a commenté Shulman. « Avant de m’envoler pour Vegas, j’avais dit à ma femme : « Bon, on se voit demain ! Je vais jouer à fond ! » » Lucide, Shulman explique qu’il pourrait avoir plus de jetons en finale : « J’ai manqué des tas de value-bets. Je suis plutôt réputé pour mes check/calls [rires] ! »

Médiatisation : Avant même que la table finale ne soit déterminée en juillet dernier, Jeff Shulman faisait déjà parler de lui, et pas en bien. Au beau milieu du Day 8, alors qu’il restait encore trois tables actives, le patron de presse déclarait à Wicked Chops : « Si je remporte le Main Event, mon bracelet ira directement à la poubelle. » Hein ? Quoi ? Ça va pas ? Officiellement, Shulman justifie cette phrase choc par son mécontentement envers la façon dont Harrah’s a dirigé les WSOP depuis leur rachat de la marque en 2004. Shulman est un vieux de la vieille dans l’industrie, et regrette la bonne époque du Binion’s Horseshoe, pointant du doigt le traitement ingrat que subissent les joueurs depuis quelques années, avec un rake élevé, des structures médiocres, et une organisation pas toujours au top (souvenez-vous, la cohue lors du Day 1D du Main Event). Soit, Harrah’s n’est absolument pas exempt de tout reproche. Mais ils sont beaucoup dans l’industrie à voir une autre raison à la colère de Shulman, moins avouable. Son magazine Card Player disposait en effet des droits de couverture exclusive des WSOP en 2005 et 2006, mais a perdu ces droits l’année suivante en faveur du grand concurrent Bluff Magazine. Une perte de pouvoir qui est toujours restée en travers de la gorge de Shulman, dont le magazine est désormais loin derrière Bluff en terme de qualité et d’influence. Dans ce contexte, on comprend qu’il l’aie mauvaise.

Ces déclarations ont fait grand bruit, et ils furent nombreux dans l’ensemble des médias à vivement critiquer Shulman, arguant qu’un personnage aussi important que lui dans l’industrie devrait utiliser la chance inouïe de médiatisation qui lui est offerte pour promouvoir le poker, et non le ternir en jouant les aigris. Du reste, si il est si mécontent que ça envers les WSOP, pourquoi les joue t-il ?

Cependant, Shulman est resté discret sur le sujet depuis juillet, et l’affaire est désormais plus ou moins enterrée, ce qui n’est pas plus mal.

Ce qu’il a fait ces trois derniers mois : Jeff Shulman fut le plus discret des November Nine durant l’interlude, voulant peut-être se faire quelque peu oublier après avoir crée la controverse. Complètement absent du circuit live, Shulman s’est préparé dans l’anonymat, jouant quelques Sit-n-go en ligne pour travailler son jeu en short-handed, et demandant conseil à ses amis pros, en premier lieu Phil Hellmuth, son coach officiel pour la table finale. En septembre, le nom de famille Shulman a de nouveau fait parler de lui, avec la victoire du papa Barry aux World Series of Poker Europe à l’issue d’une des finales les plus relevées de l’histoire du poker de tournoi (Daniel Negreanu, Jason Mercier, Praz Bansi, James Akenhead, Antoine Saout…) Si le fiston parvenait à sortir vainqueur ce week-end, le symbole serait historique, et la performance probablement jamais répétée à nouveau.

L’avis de Ludovic Lacay : « Jeff Schulman est un joueur de l’ancienne école possédant beaucoup de défauts techniques. Il défend trop ses blindes, par exemple. Aussi, dans sa lecture adverse, il ne considère pas un éventail de mains, mais une seule main. Ce qui peut le conduire à faire des choses très bizarres, comme par exemple réfléchir à passer As-Roi quand j’ai sur-relancé à tapis avec 77 sur ma dernière main. C’est le genre de joueur qui pense les coups de la manière suivante : « Tiens, mon adversaire a fait tapis, je sens qu’il n’a pas envie d’être payé, il doit avoir As-Roi, donc je vais le payer avec paire de 4. » Alors que les joueurs de la nouvelle génération, ils ont un « range » de main pour faire tapis qui est très balancée : ils peuvent aussi bien avoir As-Roi que 55 ou les As, les Rois, les Dames, etc. Je pense que Shulman va se comporter comme Belgeiter : il n’aura pas peur de jouer. Et comme pour Belgeiter, cela va l’amener à faire de grosses erreurs, et occulter tout un pan de la stratégie : l’ICM [NDLR : « Independant Chip Model », un concept hautement important en Sit-n-go, basé sur l’augmentation croissante de la valeur individuelle de chaque jeton à mesure que l’on grimpe dans l’échelle des prix]. Par exemple, il pourra tout à fait 3-bet As-Valet depuis la grosse blinde contre un joueur au tapis équivalent, sans se soucier du fait que le prochain « prize jump » est d’un million de dollars. Non, franchement, je ne le vois pas gagner. Il y a beaucoup de joueurs à la table qui sont meilleurs que lui. Je pense qu’il ne saura pas d’adapter au jeu contre les short-stacks. Des mecs comme Akenhead, Cada, Ivey ou Saout, il ne saura pas utiliser correctement ses jetons contre eux, c’est à dire leur faire des petits 3-bet, relancer souvent leurs blindes, etc. Au contraire, les choses qu’il sait faire, comme jouer post-flop, ne lui seront d’aucune utilité contre les shorts : contre eux, il n’y a pas de jeu post-flop ! Concernant l’embauche de Phil Hellmuth en tant que coach, je m’interroge, avec tout le respect que je dois à Hellmuth. Que va t-il lui expliquer ? Comment jouer contre les petits tapis ? C’est le plus gros défaut d’Hellmuth ! On l’a vu faire n’importe quoi à la Caesar’s Cup, un tournoi super short-stack : passer Roi-Valet en bataille de blindes, limp-fold avec huit blindes, etc. A la limite, ils vont peut-être passer au crible les tells des joueurs en regardant les retransmission. Pour le reste, Hellmuth va probablement conseiller à Shulman de jouer tight, et le transformer en joueur timide. »

L’avis de Benjo : Autant être honnête, Jeff Shulman possède plus de détracteurs que de supporters parmi les médias, et ses déclarations de juillet n’ont rien fait pour arranger les choses. Dans l’industrie, Card Player est un peu l’ennemi public numéro 1. En 2006, lorsqu’ils avaient l’exclusivité des droits de couverture des WSOP, il était quasiment impossible aux médias non-officiels de faire leur travail correctement, la faute à des contraintes à dormir debout qui avaient crée un climat très désagréable en salle de presse. D’autant que la couverture du festival par Card Player fut des plus médiocres. La décision d’Harrah’s de vendre l’exclusivité médiatique au plus offrant avait été ressentie comme une trahison par tous les médias qui avaient travaillé dur dans le passé. Quand en 2007, Shulman a perdu les droits en faveur de Bluff, le soulagement fut général, et l’ambiance aux WSOP s’est nettement améliorée depuis, avec des règles un tantinet plus cool.

Bref, Shulman n’est pas « l’un des nôtres » dans la joyeuse famille des médias, et, vu la concurrence féroce qui fait de plus en plus rage dans le secteur, ne vous attendez pas à lire des articles sympathiques le concernant chez Bluff Magazine ou PokerNews, les grands concurrents. Mais il faut rendre à César ce qui est à César : Card Player est, et restera le pionnier des médias poker. Les Shulman faisaient la promotion du jeu quand personne d’autre n’était là pour le faire. Si leur magazine n’est plus de nos jours le leader de l’industrie, il convient de respecter le travail qu’ils ont accompli pour rendre notre jeu favori accessible et populaire bien avant qu’il ne devienne à la mode.

Concernant le rôle de coach d’Hellmuth : je suis convaincu qu’il s’agit avant tout d’un coup de pub garantissant à l’homme aux onze bracelets de passer sur ESPN durant toute la retransmission, sans pour autant avoir un siège en table finale. Je ne suis même pas certain que Shulman reversera à Hellmuth un pourcentage de ses gains en échange de ses conseils, car les deux hommes sont de proches amis depuis des années. C’est à mon sens une opération promotionnelle – assez futée, d’ailleurs - qui bénéficiera aux deux joueurs.

Sources

Profil – Card Player
How the 2009 WSOP November Nine are preparing for the final table – Card Player
Hendon Mob Database
Wikipedia

Tonight’s gonna be a good night

Nous y sommes ! Trois mois d’une interminable attente sont sur le point de s’achever: la table finale du plus gros tournoi de poker a monde va débuter dans quelques instants. Je ne vais pas vous mentir : après tant d’années passées à parcourir le circuit professionnel de fond en comble, il m’arrive parfois d’être blasé. Pas cette fois-ci ! Le moment est véritablement excitant. Je trépigne littéralement d’impatience en attendant le départ.

Je suis arrivé au Rio ce matin à dix heures, et déjà des centaines de spectateurs formaient une file d’attente interminable dans les couloirs du centre de convention. J’ai récupéré mon badge média auprès des organisateurs. J’ai retrouvé mes confrères de la presse américaine, et nous avons échangé nos pronostics.

Puis un type tout vêtu de noir a fendu la foule, passant complètement inaperçu. Antoine Saout ! Aussi décontracté que peut l’être quelqu’un s’apprêtant à jouer le tournoi le plus important de toute sa vie. Antoine m’a serré la main avec le sourire, et nous nous sommes dirigés vers une petite salle où le petit déjeuner était servi pour tous les supporters français venus soutenir le héros du jour. Une cinquantaine au total, tous vêtus de maillots et d’écharpes tricolores fournies par le sponsor d’Antoine. Sur l’épaule de sa veste, deux écussons ont été cousus. Deux drapeaux, deux appartenances : France, et Bretagne.

A onze heures, j’ai pris place dans le gigantesque auditorium qui accueillera la finale aujourd’hui. Capacité : 1,500 sièges. Impressionnant ! Harrah’s a mis les petits plats dans les grands : c’est tout simplement la plus grosse affluence jamais observée pour un tournoi de poker. L’ambiance sera folle. Chacun des neuf finalistes a droit à cent invités. Pour les autres, il faudra patienter dehors : les premiers arrivés seront les premiers servis.

J’ai eu droit à un fauteuil « orchestre », au milieu de la salle, à peu près au quinzième rang. Je serai donc entouré aux quatre côtés par un public enthousiaste. La section de supporters de Steven Begleiter se trouve par exemple juste derrière moi.

La salle se remplit peu à peu tandis que j’écris ces lignes. Les journalistes s’installent, les jetons sont sur la table. L’équipe télé s’affaire. Tout est prêt, ou presque. Nous allons vivre un grand moment de poker !

Où on en était ?

C’est après presque 66 heures de partie que Jordan Smith fut éliminé par Darvin Moon en dixième place le 15 juillet dernier, peu avant minuit, durant les dernières minutes du niveau 33.

On aura donc à peine le temps de jouer trois ou quatre mains aujourd’hui avant de voir les blindes passer de 120,000/240,000 à 150,000/300,000, avec une ante de 40,000. C’est Darvin Moon qui aura le bouton lors du premier coup, avec dans les blindes les short-stacks Akenhead et Ivey.

Les niveaux dureront deux heures et seront entrecoupés par des pauses de vingt minutes. Un dinner-break est programmé quelque part en début de soirée, durant lequel se déroulera la cérémonie d’intronisation de Mike Sexton au Hall of Fame du poker.

Une finale qui manque d’intérêt ?

Les organisateurs des WSOP en avaient fait grand cas en 2008 : en faisant dormir les 25 millions de dollars de prize-pool de la finale Main Event dans le coffre d’une banque durant trois mois, les November Nine allaient recevoir plus d’argent grâce aux intérêts ! Et effectivement, la manœuvre avait permis l’année dernière de faire gonfler la cagnotte de 98,000 dollars.

Un an plus tard, la crise est passée par là, et l’épargne n’est plus à la monde. Les taux d’intérêts des grandes banques ont drastiquement baissé pour tomber à presque rien. Résultat, le placement par Harrah’s du prize-pool de la finale (15,847,250$) dans des bons du trésor américain à risque zéro ont généré en trois mois un intérêt de… 1,321 dollars seulement ! Allez, juste pour rigoler, voici comment sera répartie cette somme :

Vainqueur : +607$
2e : +327$
3e : +185$
4e : +103$
5e : +57$
6e : +27$
7e : +12$
8e : +3$
9e : rien

La structure des prix : un facteur crucial

Il est primordial de considérer de considérer la finale du Main Event comme un Sit-n-go à part entière, détaché du reste du tournoi, pour comprendre comment les joueurs vont l’aborder. Nous savons déjà que chacun des neuf finalistes à reçu dès le 15 juillet dernière un chèque correspondant à une élimination en neuvième place (1,263,602$). Le premier sortant aujourd’hui repartira les mains vides.

En 2008, la différence de prix entre le premier et le second sortant représentant plus de 400,000 dollars. Cette année, l’échelle de répartition des gains a été modifiée, et les « jumps » dans la distribution des prix sont bien différents. Regardez plutôt les gains effectifs que recevront les finalistes ce week-end – j’ai soustrait la somme qui leur a déjà été remise il y a trois mois :

Vainqueur : 7,283,440$
2e : 3,919,326$
3e : 2,216,068$
4e : 1,239,288$
5e : 689,850$
6e : 323,558$
7e : 140,412$
8e : 36,629$
9e : rien

Comme on le voit, la différence de prix entre les huitième et neuvième place a été divisée par dix entre 2008 et 2009.

« C’est une structure de prix assez folle », commente Ludovic Lacay. « On va jouer un Sit-n-go où le deuxième sortant recevra 40,000$, et le vainqueur 7,3 millions. Dans ce contexte, personne ne veut sauter au début et repartir les mains vides ! Je pense que ce n’est qu’une fois arrivé à quatre que les joueurs vont se lâcher : avec plus d’un million supplémentaires garantis, leur vie est garantie de changer, et la pression financière sera moins importante. Avant cela, tout le monde va s’accrocher. Pour des gens qui ont déjà gagné 1,2 millions et signé des contrats de sponsoring, terminer cinquième et remporter 690,000 de plus ne représente pas un bouleversement tellement important. Ce serait plutôt une grosse déception. »

« Avec cette structure », poursuit Cuts, « Darvin Moon possède un levier extraordinaire avec son énorme tapis. Il peut véritablement mettre faire jouer la pression financière sur ses adversaires. Excepté Phil Ivey, qui sera le gros favori s’il parvient à doubler. Car c’est le joueur qui a le moins besoin d’argent : c’est donc lui qui aura le meilleur levier pour 3-bet ou 4-bet à tapis, relancer, c-bet, relancer les c-bet, etc, etc : toute sa puissance est là, dans la pression qu’il sait mettre sur ses adversaires. »

En images

Le héros français du jour en compagnie de ses supporters

Joe Akenhead prend la pose

Le chip-leader est venu accompagné de cent supporters : familles, amis, et voisins

Le point de rassemblement des supporters de Joe Cada : T-Shirts et casquettes aux couleurs du Michigan sont distribués.

Le theâtre Penn & Tyler, hôte de la table finale des WSOP

Hurry up and wait

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La star

[video]https://www.winamax.com/img/coverage/WSOP2009/MEFinale/saout.flv[/video]

The Big Circus

12 heures 30 : après avoir expédié les présentations, rendu hommage à Hans « Tuna » Lund (champion WSOP qui nous a quittés il y a deux jours), et remis à Barry Shulman son bracelet remporté aux WSOP Europe, le silence est demandé par Jeffrey Pollak. La salle est entièrement remplie. Chaque camp de supporters dispose de sa propre section. Les VIP, comme Phil Hellmuth, Chris Ferguson ou Neil Channing on droit à une des cent places disponibles tout près de la table.

Quelle ambiance ! Les supporters de Cada, en particulier, sont surexcités. Ceux de Begleiter sont pour l’instant calmes. A ma droite, derrière, j’entends les français. C’est parti en querelle de clocher tout à l’heure, entre les français et les américains. « USA ! USA ! USA », criait-on à gauche. Les tricolores ont répliqué avec la Marseillaise.

Je n’ai pas pu monter sur le podium pour prendre en photo les finalistes. Les agents de sécurité ont catégoriquement refusé de me laisser rentrer, me disant que je ne disposais pas du bon badge. Des conneries : chacun des médias avait en théorie droit à dix minutes pour shooter. J’ai du me contenter de quelques clichés capturés de loin.

Darvin Moon (de dos), James Akenhead (à gauche), et Phil Ivey

Antoine Saout discute avec un ami, quelques minutes avant le départ

Jeffrey Pollack, commisionnaire des WSOP