Rendez-vous en terre inconnue
Rozvadov. Rien que le nom sonne comme un appel à l'aventure. Mais pas forcément le genre dans laquelle vous avez envie de vous embarquer. Car ici, les sombres forêts de conifères remplacent la jungle luxuriante, les mornes plaines font office de vertes et vastes prairies, et la récompense finale prend la forme d'un hôtel/casino beige et bleu à l'aspect extérieur passablement daté et qui tranche radicalement avec le reste du paysage.
Mais avant de pouvoir découvrir de ses propres yeux ce petit coin de paradis perdu le long de la frontière germano-tchèque, il faut être prêt à faire un brin de voyage. En ce qui nous concerne, notre Frédéric Lopez de fortune Stéphane Matheu a opté pour un vol à destination de Nuremberg - un tantinet plus proche que Prague - avant de faire la liason en voiture. Grâce à la magie des autoroutes allemandes, où aucune limitation de vitesse n'est appliquée, il ne nous faut que 75 minutes pour faire le trajet, au milieu d'une campagne allemande rendue bien triste par la grisaille d'automne. On commence à se dire que le bandeau noir porté en début de chaque émission par les Bruno Solo, Adriana Karembeu, Édouard Baer et consorts aurait eu son utilité pour nous éviter de prendre peur et de faire demi-tour. À moins de cinq kilomètres de notre destination, aucun panneau flanqué du nom de la ville n'a encore été aperçu, et nous sommes toujours physiquement en Allemange. Mais le GPS de notre voiture de location est formel, Rozvadov n'est plus très loin. La confirmation ne se fait pas attendre.
Il ne faut parcourir que quelques dizaines de mètres en terre tchèque pour voir émerger un supermarché et les quelques boutiques Duty Free classiques de toute bonne zone frontalière. De l'autre côté de la route, des panneaux publicitaires nous invitent à venir passer un peu de bon temps du côté du NIght Club Venus, vieux bâtiment à la façade rouge criarde et aux néons fatigués, ou chez Chikkita Massage, cabane jaune engongée à côté d'un autre supermarché. On a sans doute déjà vu plus glauque, mais il va nous falloir un peu de temps pour trouver.
Le long de celle qui s'avère être la seule et unique route traversant ce village de 725 âmes - merci Wikipédia - les habitations traditionnelles, quand elles ne sont pas plutôt des maisons délabrées, côtoient quelques rares restaurants, une poignée de bicoques vendant des décorations de Noël et des immeubles bicolores semblant tout juste sortis de terre. Nous l'apprendrons plus tard, ces bâtiments tiennent lieu d'annexes à l'attraction numéro 1 (la seule ?) de la ville : le King's Casino.
Ouvert en 2003 par le sulfureux homme d'affaires tchèque Leon Tsoukernik, alors illustre inconnu, le lieu s'est fait une place dans le paysage du poker européen au tournant des années 2010, jusqu'à accueillir pour la première fois les WSOP Circuit en 2015. Depuis, le partenariat avec les World Series of Poker n'a cessé de se développer, pour nous amener aujourd'hui à ce pourquoi nous sommes ici : les WSOP Europe. Un privilège qui n'avait été accordé depuis 2007 qu'à quatre villes : Londres, Cannes, Enghien-les-Bains et Berlin.
"C'est pire que le parking du Rio ici !," s'exclame, une fois garé, le coach du Team Stéphane Matheu, face au nombre assez impressonnant de voitures stationnées aux abords du casino. Et il faut bien dire que, sans le gravier épars sous nos pieds, les champs entourés de forêts derrière nous, et une température avoisinant les cinq degrés, on s'y croirait. C'est un euphémisme, le cadre est assez déconcertant pour un festival de poker, d'autant plus lorsque ce dernier porte le nom de l'une, sinon la marque la plus reconnue et prestigieuse du monde. Le message a au moins le mérite d'être clair, on est là pour le poker, et rien d'autre.
Pour ce que nous en avons vu depuis notre arrivée mardi après-midi, tout semble effectivement réuni à l'intérieur du casino pour offrir aux joueurs, dont certains des plus grands high-stakeurs de la planète, de très bonnes conditions de jeu aux tables. Difficile d'en dire autant du reste de l'organisation, qui semblait hier dépassée par l'affluence, en grande partie à cause des deux derniers Day 1 du Colossus, qui ont rassemblé chacun plus de 1 000 entrées... sans pour autant lui éviter l'overlay. En l'absence de plan, d'indications claires de la part du personnel, de noms sur les bâtiments et de 3G, il nous a ainsi fallu plusieurs allers-retours pour dénicher nos lieux d'hébergement. Je vous fait gré de la vue depuis la fenêtre de ma chambre pour ne pas faire tâche à côté des clichés de notre photographe de talent Caroline Darcourt, mais sachez que le décor est on ne peut plus bucolique.
En face du King's trône un autre tout petit casino, l'Admiral. Sauf accident, nous ne devrions pas y mettre les pieds dans les jours à venir.Comme le veut la formule consacré, le cadre est désormais posé. Premier des quatre tournois qui vont attirer notre attention jusqu'au 10 novembre, le High Roller à 25 000 € a démarré sur les coups de 15 heures, et s'apprête à accueillir graduellement nos quatre W rouges à avoir fait le déplacement, Davidi Kitai, Sylvain Loosli, Adrián Mateos et Mustapha Kanit. Jouer aux cartes ou en parler : un excellent moyen pour oublier. Oublier Rozvadov.