La canonisation de Malo
Malo Latinois sort le premier d'une finale où il n'a jamais eu son mot à dire. Un dernier épisode frustrant, qui n'enlève rien à son exploit immense. Pour son premier Vegas, le jeune Breton aura poussé le rêve jusqu'en table finale de Main Event WSOP, dont il repart avec des souvenirs gravés à vie, et un million de dollars.
Une heure et demi. C’est le temps qu’auront duré Malo, et les espoirs français sur cette finale de Main Event. “C’est un peu court, jeune homme” aurait jugé Cyrano de Bergerac devant le manque de matière. Mais non, point de tirade ni de pamphlet pour évoquer la performance de Malo. Aujourd’hui, il n’y avait rien à faire.
Déjà peu muni en jetons, Malo Latinois a été dépourvu de cartes. Et contrairement à ce que dit Patrick ■■■■■, quand vous êtes shortstack en table finale, elles importent. Les deux seuls mains vues par Latinois, et les deux seuls qui ont fait hurler le clan bleu, n’auront apporté que des souffrances.
Sur la première, Malo se retrouve à tapis à tapis sur un flop A
8
9
avec A
J
contre… A
J
. On ne peut même pas gagner, juste se faire éliminer. Une situation infernale, causant bien des sueurs sur les visages français, essuyées heureusement par deux cartes rouges sur la turn et la river.
Sur le deuxième, rien de plus standard. Malo trouve enfin une main, une vraie. Un beau A
K
, mais qui n’aura même pas 50% face à au 3
3
de Jordan Griff. Le public tricolore devient fou sur le flop vient A
10
9
. Aurait-on finalement le droit au bonheur aujourd’hui ? La turn 3
répond par la négative. "Drawing dead", Malo Latinois termine 9e, bon dernier de la table finale.


Secrètement, les couvreurs français, toujours friands de jeux de mots vaseux, avaient envie de pouvoir caser à un moment de leur coverage “Malo bide”. Une place en mousse en demi-finale, voire même en finale aurait pu être le spot idéal. Pour ce faire, il eut fallut que ce titre soit pertinent ou justifié. Mais non, Malo n’a pas “bidé”. Il a fait ce qu’il a pu, c’est à dire pas grand-chose et la distribution des cartes a simplement décidé de son élimination. Pour le reste, il a tout gagné. Beaucoup d’argent d’abord, mais aussi des émotions incomparables, un soutien inestimable, la lumière médiatique, la reconnaissance du public français, et une expérience unique qui boulversera sa vie à jamais.
"J'ai l'impression que j'ai joué ce tournoi toute ma vie !"

Après quelques calins et accolades avec son rail, à commencer par sa copine Pauline, son pote Ludovic Uzan, le mentor Clément Richez et tous les copains du poker qui étaient là pour le soutenir aujourd’hui, Malo s'extirpe quelques instants pour reprendre ses esprits… Puis revient nous voir pour débriefer l’aventure qui vient de se terminer. L’esprit encore un peu chaud, mais déjà assez lucide pour mettre des mots dessus.
“Je suis encore un peu dedans, je ne suis pas tout à fait sorti du tournoi. Mais en vrai, je suis très content, pose tout de suite Latinois. Je me rends compte que j’ai vécu une expérience de malade, je ressens beaucoup de gratitude. Evidemment, c’est décevant de perdre 9e. Quand t’arrives en table finale, tu veux faire mieux, mais je m’étais préparé à ça. Je n’avais pas un gros stack, il y avait pas mal de scénario où ça allait se passer. J’étais préparé”.
On ne peut qu’être impressionné par l'attitude avec laquelle le garçon sort de cette finale. Une poignée de main pleine de fair-play pour tous ses adversaires, mais surtout, une disponibilité et une dignité épatante, que ce soit pour se présenter devant la horde de journalistes qui l’assaillissent de leurs micros ou pour revenir à la réalité, avec ses potes, son clan, qui l’attend pour le serrer dans ses bras. Personne ne lui en voudrait de craquer, mais non. Malo encaisse avec beaucoup de force et de gratitude, alors même qu’il n’a jamais connu ce genre de plateau ou de pression auparavant.
"J’avais visualisé les différents scénarios, explique le joueur. Déjà la veille, je me disais que le but, c’est juste de jouer mon meilleur poker possible. Si on commence à s’imaginer qu’on va doubler, avoir un gros stack, on va déjouer. J’anticipais des scénarios où ça se passait mal, où les shorts doublais et je bustais (ce qui est arrivé). On est jamais préparé à 100% puisque personnellement, je n’avais jamais vécu ça. Tu ne sais pas comment tu vas réagir, d’autant que tout le monde est là pour te supporter et c’est dur pour tout le monde, donc tu prends aussi la déception des autres. Mais j’essaie de me rappeler que j’ai eu trop de chance. Je me souviens du run que j’ai eu pour arriver à cette table finale, c’est indécent. Et j’ai gagné plein d’argent en plus, je ne vais pas me plaindre ! »
Effectivement, ce dernier flip n’est que l’ultime épisode d’une série qui nous a fait vibrer pendant plus de dix jours. Un feuilleton palpitant, avec d’innombrables péripéties, qui a donné de la joie à tout le public français, et des émotions inoubliables à son acteur principal.
“J’ai l’impression que j’ai joué ce tournoi toute ma vie. C’es tellement long ! J’essaie de me rappeler du Day 1 j’ai l’impression que ça fait une éternité. En vérité, c’est de plus en plus intense donc tu te rappelles surtout des derniers moments, des derniers gros pots à plusieurs millions. Mais je me souviens du run, de tous les coups que j’ai gagnés. Quand j’y étais, je n’y croyais pas. Je gagnais tous les gros pots, tous mes bluffs passaient… C’était fou !”.
La zone en personne
Les afficionados de la série se remémoreront par exemple cet épisode de la post-bulle où Malo, déjà gros, enchainait une série de set-ups invraisemblables. Deux Dames contre deux As, deux Rois contre deux Dames et un énorme flip pour s’envoler dans la stratosphère du tournoi, où il planera toute la fin de tournoi.
“C’était tout droit, confirme Malo. Tout se passait bien. J’étais en confiance et en plus, je jouais bien. Je prenais les bonnes décisions et mes coups à tapis passaient poursuit le joueur, qui décrit cette sensation de bâtir des citadelles de jetons à des stades si avancées d’un Main Event WSOP. C’est hyper agréable. Et puis, tu sens que tu peux avoir l’ascendant sur tes adversaires. J’essayais d’avoir la bonne posture, de les fixer, de les mettre dans des spots compliqués et tu sens que tu leur fait un peu peur, que tu maitrises un peu la table. C’est hyper grisant. Et ça a duré assez longtemps. Ce sont des moments de poker incroyable, que je n’avais jamais vécu avant. Et ça, additionné à la fatigue, au stress, à tous les gens à côté de toi qui te soutiennent, ça fait un cocktail qui est juste fou”.
Installé dans sa zone, Latinois a déroulé son poker. Un jeu agressif, technique, précis, qui démontraient que le joueur avait toute sa place sur les dernières tables d’un si grand tournoi.
“J’essayais aussi de me calmer, nuance le grinder. Quand je sentais que j’étais dans l’euphorie, que je passais les gros coups… A un moment, j’avais 50 millions au Day 6, deux fois le tapis du deuxième. Il fallait revenir sur terre parce que tu peux vite déjouer ou être pris par les émotions. Globalement, je suis très content aussi pour ça. J’ai énormément progressé tout le long du tournoi. J’ai montré une bonne posture, une bonne concentration. J’ai l’impression d’être vraiment meilleur qu’avant en live et dans le poker en général”.

Malo souligne très justement cette “posture”, qu’il a adopté en table. A chaque coup, le joueur redressait son dos, le coup droit, le regard vissé sur son adversaire pour détecter le moindre indice, le moindre tell, et surtout, mettre de l’intensité dans le coup. “C’est un truc que j’avais mis en place dès mon deep run à l’EPT Paris, déclare le joueur, rappelant le tournoi sur lequel on le découvrait pour la première fois. Je me disais “il faut que j’ai une bonne posture, que je sois concentré, que je regarde mes adversaires”. T’essayes un peu de les intimider, de montrer que t’es sérieux, que t’es pas là en touriste. J’ai essayé de maintenir ça tout le Main, notamment sur l’observation et pour montrer que c’est intense. T’es dans le coup avec eux, et s’il faut le moindre faux pas, tu vas les écraser”.
Aim The (first) Million
Le rail français n’a pas eu vraiment le temps de déballer les chants qu’il avait en stock, ni même de se montrer. Sa présence a pourtant été déterminante pour accompagner notre héros français, qui a pu compter sur le soutien d’innombrables grinders français, à commencer par ses acolytes de la Team “Aim The Millions”.
“Ludo, je le connais depuis ATM, quand je suis arrivé en mars 2023, rembobine Latinois. On a fait toute l’académie ensemble, on est devenu potes et on a fini par intégrer la “Main Team”. C’était incroyable de l’avoir à mes cotés. Il m’a beaucoup aidé, c’était un peu mon “coach” pendant ce deep run. Il essayait de me “refocus” quand j’étais un peu moins motivé, il me donnait toujours des “guidelines” pour mon jeu. Et puis d’avoir Clément (Richez) qui était là tout en deep-runant à côté, c’est vraiment génial".

Des grinders, des potes du poker… Mais aussi des gens qui n’ont rien à voir avec les cartes, à commencer, par Pauline, sa copine, sa première supportrice, qui n’avait pourtant pas prévu de rester autant de temps dans les casinos. “On devait faire un road-trip tous les deux dans l’Ouest des Etats-Unis. Ça aurait du commencer il y a cinq jours… Et il s’avère qu’on est toujours pas parti, rigole Malo. C’était plutôt bon signe. Avant que je parte à Vegas, je l’avais prévenu très rapidement que si jamais je deep-runnais le Main, on repousserait un peu, mais que y’avait très peu de chance que je sois encore là après le 12. Et là, on est mardi 16, et on est encore là”.

Pauline n’en a pas voulu à Malo de retourner aux tables de poker chaque jour. Au contraire, elle est rentrée dans ce tournoi avec lui, en saisissant la magie si particulière qui entoure le Main Event, et l’exploit si rare que son copain était en train de réaliser. “Ça a été un énorme soutien, ça donne de la confiance. Elle me fait confiance et elle me suit dans cette aventure là. Maintenant on va pouvoir partir en vacances pour décompresser de toute cette folie”.
Malo a bien mérité son repos. Les paysages des canyons californiens permettront de s’aérer la tête pour mieux mettre en perspective l’exploit qu’il a réalisé. Et aussi, envisager l’après. Sa carrière de grinder et sa vie d’homme viennent de se transformer sur tous les plans. Financier bien entendu, mais pas seulement. Malo vient de vivre une expérience bouleversante, et en même temps, de se faire un nom. Il ne sera plus le bon grinder relativement lambda qu’on croise sur les festivals Winamax, mais bien Malo Latinois, le Français qui a atteint la finale du Main Event WSOP.
Sans anticiper le nouvel accueil qu’il aura sur ses prochains tournois live, Malo se dit conscient des opportunités que peuvent lui ouvrir son nouveau statut de finaliste Main Event. Mais en aucun, cas, cet accomplissement va le détourner de ses objectifs, et du chemin qu’il a commencé en progressant dans ce jeu, qu’il découvrait il y a seulement cinq ans. Aussi immense soit-elle, cette perf' n'est qu'un point de départ. Faut-il rappeler qu'il jouait son premier Main Event, sur son premier Vegas ?

“Mon but dans le poker, c’est devenir le meilleur possible. C’est un challenge personnel. Ça t’apporte tellement. J’ai arrêté de boire depuis que je fais du poker pour être plus performant. Je fais plus du sport depuis que je joue… C’est dingue, ça change ta vie ce jeu, sur plein d’aspect. Ça change ta vision du monde, ta relation à la variance, le fait qu’il y ait des choses qu’on ne peut pas maitriser, et que du coup ça ne sert à rien de te plaindre par rapport à ça. Mon objectif, ça va toujours être de progresser au maximum, avec ATM. D’aller jouer un peu plus cher, de faire un peu plus de tournois live. Je m’y sens très à l’aise et encore plus avec ce deep run”.
Et l’argent dans tout ça ? Malo vient quand même de gagner un million de dollars ! Sur le papier, mais dans le poker de 2024, seuls les récréatifs et les pros blindés gagnent la somme indiquée sur le pay-out. Malo va donc d’abord payer ses stackeurs, certainement très heureux de leur investissement, placer une partie de ses gains… Sans oublier d’en profiter. "Je vais peut être me faire quelques cadeaux, mais je ne sais pas encore quoi. Je ne suis pas trop matérialiste. Peut être des fringues… Mais je vais me faire plaisir et faire plaisir à mes proches, ça va être cool”. Le plaisir était aussi pour nous. Bravo Malo, et merci pour ces moments.