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Une journée avec… Reza, le cerveau des robots

[Note de la rédaction : vous ne rêvez pas, Harper est de retour dans la section reportages de Winamax ! Les lecteurs les plus fidèles se rappellent avec bonheur de ses chroniques hautes en couleur du circuit du poker pro entre 2009 et 2014. Après avoir lancé le compte Twitter @WinamaxSport avec le succès que l'on connaît, puis dirigé les équipes de Winamax TV, c'est désormais en "free agent" qu'Harper crée du contenu pour Winamax. Libre, mais toujours aussi passionné. En juillet, vous le retrouverez devant la caméra pour des Flashs vidéo très spéciaux en direct des WSOP. En attendant, découvrez sa nouvelle rubrique tout au long du mois de juin : "Une journée avec..." Car Las Vegas, ce n'est pas que les WSOP, Harper vous proposera des récits à la marge, des portraits des personnalités hors-normes qui peuplent la ville aux néons, et une chronique des petites et grandes histoires qui font battre le coeur de la capitale mondiale du jeu. On commence avec un entrepreneur français pas comme les autres. Enjoy ! - Benjo]

Reza - Une journée avec Winamax
« Ah, je vais le prendre lui. » Son téléphone sonne pour la quatrième fois en dix minutes d'entretien. Mais cette fois, Reza ne refuse pas l'appel. « Salut mon Fred, je suis avec un journaliste de Winamax, on peut faire vite ? » Barbe de trois jours parfaitement taillée, veste en jean Levi's cintrée retroussée jusqu'aux coudes, Reza fait en même temps un signe de tête complice à l'une des serveuses du bar - son bar - puis reprend sa conversation. « Cet après-midi ? Avec plaisir mon ami, je te rappelle. » Son regard vif vient appuyer son explication : « Fred a une concession de voitures de sport sur le Strip. Des Ferrari, Buggati, Lamborghini... Il m'en prête une cet après-midi, tu veux venir ? »

Work smart, not hard

Il est 9h30 dans le "concept bar" logé au sein du Planet Hollywood et Reza ne semble pas avoir une seconde de répit, entre des consignes à donner et des cartons à transporter. Parlant vite et avec assurance, cet entrepreneur français résidant à Las Vegas tempère néanmoins rapidement quand on lui dit être un bourreau de travail. « Je suis plutôt adepte du work smart, not hard... Travailler intelligemment plutôt que de façon permanente. J'aime aussi prendre du bon temps. »

Son histoire débute il y a cinquante ans, du côté de Grenoble. Son bac en poche, Reza se lance dans des études de commerce tout en créant parallèlement une société de distribution de flyers dans les discothèques. « J'ai toujours eu cette fibre entrepreneuriale » confirme-t-il avec assurance. Sa société prend rapidement des proportions gigantesques. « Au début, je faisais simplement des flyers pour la discothèque grenobloise où j'organisais des soirées. Toute la ville a fini par me solliciter, puis j'ai terminé par en distribuer dans près de la moitié des 3 500 discothèques que comptait la France à ce moment-là ! » Nous sommes en 2001 : Reza cherche alors à automatiser sa distribution grâce à Internet qui connait ses balbutiements. « C'était trop précurseur par rapport à la technologie à disposition et j'ai arrêté. »

Cependant, sa réussite dans le monde de la nuit se poursuit. Il crée dans la foulée le magazine LINK, photographiant les habitués des boites de nuit. Il occupe ensuite le poste de directeur artistique des Caves à Courchevel, et de directeur marketing du Loft à Méribel où il fréquente notamment un certain Michael Schumacher. Puis, en 2011, il fait son retour à Grenoble où il permet au club Le Phoenix de passer d’une fréquentation de 40 à 1200 personnes en seulement six mois. « Mes idées pour redresser l’endroit, ça a été de faire sentir à chaque client qu’il était unique et de créer un carré VIP » analyse-t-il à froid. Durant cette période de fêtes à Grenoble, Reza croise aussi régulièrement un certain Pierre Calamusa. « Je ne le connaissais que de vue mais il était très célèbre dans les soirées ! »

Un coup à 0,2 %

Puis, en 2014, c’est le coup de poker. « Je n’aimais plus la France dans laquelle j’étais. » Reza a une solution toute trouvée : rejoindre les États-Unis. Depuis 2006, il possède effectivement la double-nationalité américaine. « Un jour, ma mère m’a appelé pour me dire que j’avais gagné à la loterie. Je lui réponds : ‹ ‹ Quoi ? Combien ? › › Elle m’a alors dit qu’il ne s’agissait pas d’argent mais de la Green Card ! » Cette fameuse carte, c’est celle qui permet de résider de façon permanente aux États-Unis pour un non-citoyen. Les chances d’obtenir le Graal en s’inscrivant à la loterie ? Environ 0,2% chaque année. Néanmoins, avoir le précieux sésame ne suffit pas à réussir dans les affaires et les enjeux sont alors grands pour Reza. « Je suis parti avec ma femme et mes deux enfants en bas âge alors que j’avais seulement 25 000$ en poche ! »

Arrivé à Los Angeles, Reza enchaine les boulots dans le marketing et passe même derrière les platines lors de quelques soirées. Puis il découvre Las Vegas. « Ça a été la révélation. J’ai adoré la vie locale qu’on pouvait y retrouver et c’était largement moins cher que LA… Pour donner un ordre d’idée, un appartement de 90 mètres carrés à Los Angeles avec deux chambres et deux salles de bain nous coutaient 2700$ par mois. À Las Vegas, pour une maison de cinq chambres, trois salles de bain avec piscine et une vue incroyable, c’est 2200$ par mois ! » En 2016, c’est le déménagement dans la capitale du jeu. Après un an dans l’immobilier, Reza est contacté par Adrien, un ami de Grenoble venant d’investir sur Las Vegas. Le début de sa grande aventure.

We are the robots

Reza - Une journée avec Winamax
« Adrien m’a dit qu’il venait d’investir dans un bar où c’était des bras robotisés qui servaient les gens ! » Le concept ? Des tablettes tactiles à disposition des personnes entrant dans le bar, la possibilité de choisir un cocktail existant ou d’en créer un soi-même puis le spectacle des deux bras articulés d’un robot effectuant un ballet pour aller chercher les différentes strates du cocktail dans des bouteilles avant de shaker, puis de déposer le verre devant le client.

Un idée avant-gardiste à l’image de la bizzarerie propre à Sin City. Placé en plein cœur du Miracle Mile Shops du Planet Hollywood, un giga centre commercial luxueux sur le Strip, le bar peine pourtant à connaître le succès. « Quand Adrien m’a contacté, il m’a expliqué perdre 15 000$ par mois. Il s’en donnait quatre de plus avant de mettre la clé sous la porte et m’a demandé si je pouvais lui filer un coup de main. » Fort de son expérience dans les bars et restaurants, Reza arrive et applique sa stratégie de toujours : réduire les coûts, augmenter les revenus. Les résultats se font immédiatement sentir. « En remerciements, Adrien m’a alors offert 10% des parts de la société. Depuis, je suis chef de projet et general manager du Tipsy Robot. »

Alors que la discussion se poursuit, les deux employés présents ouvrent les portes à 10 heures pétantes. Moins d'une minute plus tard, les premiers client sont déjà présents. « Le meilleur endroit pour ouvrir un bar, c'est clairement Las Vegas ! » glisse Reza avec le sourire. « Les gens boivent à toute heure. Regarde, ils vont prendre leur petite vodka-cranberry et un whisky coca alors que c'est l'heure du petit déjeuner ! » Sa journée, Reza l'a lui commencée bien plus tôt. Un réveil à 5h30 du matin pour manger, faire un peu de sport à domicile puis emmener ses enfants Lucas et Sacha à l'école. Derrière, direction son bar pour faire un point avec ses équipes et dresser l'inventaire. « Il m'arrive aussi de devoir mettre la main à la patte pour réparer le robot » poursuit Reza. « La machine nous a coûté un million de dollars à l'achat. Mais le service après-vente est ridicule : je dois parfois regarder des tutos sur YouTube pour trouver d'où viennent les pannes ! »

Reza - Une journée avec Winamax
Petit à petit, le bar se remplit. Certains viennent juste observer de près cette étrange machine, d'autres se prennent au jeu en se laissant tenter par un cocktail. « En moyenne, nos clients dépensent 16,5 $ par verre » précise le Grenoblois. « Les personnes qui viennent ici sont avant tout des curieux qui n'ont pas l'argent pour aller dans les plus grands palaces mais qui ont quand même assez de revenus pour se faire plaisir en dépensant 20 balles dans un verre. De toute façon, c'est la magie de Las Vegas : c'est la seule ville où on dépense son argent en souriant ! » À tel point que les affaires deviennent particulièrement rentables. Selon Reza, le Tipsy Robot génère un chiffre d'affaires de 2 à 2,5 millions de dollars par an. De quoi voir plus grand ?

The sky is the limit

« Viens, je t'emmène » me dit Reza. Direction une porte de sécurité et un escalier de service pour quitter le Planet Hollywood. Quelques odeurs nauséabondes s'imposent à nous au milieu de déchets qui jonchent le sol. « Dis-toi que j'ai fait passer Alain Ducasse par ici, il voulait découvrir le bar ! » Son gros SUV est garé juste en bas avec, sur la plaque d'immatriculation, un logo de la police de Las Vegas. « Je donne un peu d'argent à leurs bonnes oeuvres... Ça aide en cas d'arrestation ! » confie Reza avec un clin d'oeil. Le Grenoblois s'est bien plié aux standards américains : un permis de port d'arme est glissé dans le portefeuille, la dite arme est dans la boite à gants. Elle n'aura heureusement pas besoin d'être sortie lors du trajet nous menant à l'hôtel-casino The Venetian.

Arrivé en haut du Canal Shoppes, pile à l’intersection entre l’escalator menant au casino et les magasins du canal vénitien artificiel, surprise : un « Tipsy Robot 2.0 » en construction. « L’objectif, c’est de devenir une franchise, et on commence par bâtir ce deuxième bar de notre côté. » Avec un emplacement rêvé. « Pourtant, on paye le loyer bien moins cher ici ! Le Venetian voulait absolument nous avoir, on paye donc seulement 13 000 $ par mois alors qu’on débourse 50 000$ au Planet Hollywood. » Ce deuxième bar sera un peu plus petit : 9 tablettes à disposition contre 22 dans la version originale. Mais ce qui inquiète Reza, c’est le retard pris dans les travaux. « On a mangé cinq mois dans la vue. Depuis la pandémie, c’est devenu n’importe quoi… Ca prend 7 mois pour se faire livrer un frigo ! »

Reza - Une journée avec Winamax
À l'intérieur, Brad, le directeur des travaux, s'affaire et fait le point. « J'ai de bonnes nouvelles, le sol va être posé demain, le bar commence à être construit et Coca-Cola a tiré ses câbles. » Car c'est aussi ça, la démesure américaine. Au sein du Venetian, le géant du soda possède une énorme cuve directement reliée à tous les bars de l'établissement qui n'ont qu'à installer une tireuse pour obtenir le nectar préféré des Américains. Reza mesure tout de même sa joie. « Il reste encore beaucoup de choses à faire et j'aimerais qu'on ouvre avant la fin du mois de juin. »

USA vs France : le match

L'heure du repas approche. Toujours à 100 à l'heure, Reza lève la tête de son téléphone. « Je t'emmène au Favorite, c'est sur la promenade qui mène à la grande roue, ce sont deux amis français qui le gèrent. » Sur place, Bruno et Seb nous accueillent. « C'est quoi ces pompes ? » lance Seb avec un accent chantant en découvrant le logo du Paris Saint-Germain sur les chaussures de Reza. « Allez, installez-vous. Un peu de vin ? » Reza décline, ce sera une eau gazeuse. « On a fêté mes 50 ans la semaine passée avec une douzaine d'amis. Le Planet Hollywood avait gentiment mis une incroyable suite à ma disposition, c'était dingue ! Mais là, il faut récupérer... »

Reza - Une journée avec Winamax
Un toast à l'avocat avec un œuf poché arrive très rapidement. « Ici, les employés ne comptent pas leurs heures » se satisfait Reza, « c'est vraiment travailler plus pour gagner plus. Ils ont un salaire fixe mais ils gagnent aussi environ 80% de plus grâce aux pourboires. » L'entrepreneur poursuit alors sur la différence entre la France et les États-Unis. « En tant que gérant, il y aussi un grand décalage au niveau des charges sociales. En France, ça peut atteindre 85%. Ici, c'est seulement 12,5%. Et on a une autre chance dans le Nevada, c'est qu'il n'y a pas de taxe étatique alors qu'en Californie, elle est de 12,5% par exemple. À la fin de l'année, ça fait une grosse différence ! »

Vegas : magique mais dangereuse

Le repas nous est gentiment offert par les amis de Reza. Pour retrouver sa voiture garée un peu plus loin, l'entrepreneur déambule au milieu du Flamingo en regardant les machines à sous. « Las Vegas est une ville dangereuse, il faut avoir la tête sur les épaules et un mental d'acier car on tombe vite dans les péchés... On ne l'appelle pas Sin City pour rien. » Ses yeux se détournent des slots. « Par le passé, j'ai pas mal joué aux machines à sous et au blackjack mais désormais, c'est vraiment occasionnel, il faut être raisonnable et responsable, surtout quand on a une famille. Comme le dit Steve Wynn, ''la meilleure façon de gagner au casino, c'est de posséder un casino'' ! »

Son regard sur le poker est un peu différent. « J'ai toujours joué avec des amis à la maison mais je n'avais jamais osé aller jouer dans un casino jusqu'à peu. J'avais peur de faire une mauvaise manipulation ou de me tromper dans les règles... Ça va un peu mieux car j'ai un ami, Gilles, qui m'avait demandé de venir avec lui sur un tournoi à 150$ du Caesars Palace. J'y suis allé, c'était donc mon tour premier tournoi en casino... Et je l'ai gagné pour 1800$ ! La chance du débutant. »

Arrivé dans sa maison familiale, Reza se pose derrière l'ordinateur. « J'ai tout le temps énormément de paperasse… Aux États-Unis, la paie des salariés doit être faite tous les 15 jours et non chaque mois, ça demande pas mal de temps et d'énergie. » S'enchainent quelques coups de fil avec des fournisseurs et une célèbre marque de vodka avec laquelle il cherche à faire des soirées promotionnelles. Tout en suivant la livraison d'une machine que Reza attend impatiemment : « un robot qui permettra de distribuer de la bière en pression, une première mondiale ! » Des innovations en pagaille qu'il souhaite maintenir dans sa ville d'adoption. « Aux Etats-Unis, il est interdit de sortir une boisson alcoolisée d'un bar pour la consommer sur la voie publique. Sauf à Las Vegas, une des rares villes où c'est possible. Ça change tout le business. On préfère donc prendre notre temps pour affiner le concept avant de répondre éventuellement positivement aux nombreuses demandes de franchises. »

Reza - Une journée avec Winamax
Mais l'heure est désormais à la détente. Reza hésite encore entre aller tester l'une des voitures de course de son ami Fred ou bien d'aller louer un petit avion pour survoler le Red Rock Canyon. « J'ai passé le brevet de pilote de l'air et je m'éclate avec, même si c'est un peu cher » dit-il avec le sourire avant de poursuivre : « La vie est belle ici, c'est pour ça que je n'ai pas besoin de vacances... Je vis dans un lieu de vacances ! » Avec un côté lucratif loin d'être inintéressant. « Comme je dis toujours », et ça sera son mot de la fin, « les États-Unis, c'est une terre d'opportunités. Il y en a partout. Si tu es débrouillard, que tu les saisis et que tu tentes ta chance, tout est possible. »

Une journée avec… Salette, passionné parmi les passionnés

Il n'y a pas que les pros qui jouent les WSOP chaque année Rencontre avec un amateur généreux et activiste de l'ombre, dont le travail est apprécié de toute la communauté

Salette
Alors que notre rendez-vous est prévu à 7h30, Stéphane se sent obligé de justifier son infime retard - même pas cinq minutes. « Je suis dans le trafic, il y a des travaux » prévient-il par SMS. « Il a un côté psycho-rigide là-dessus » ajoutera dans un sourire Morgan, son partenaire de voyage. « Je ne suis pas chiant, mais j'ai horreur du retard » complète l'intéressé. « Quand on a rendez-vous à 7h30, on ne vient pas à 8h, sinon, c'est simple, on se donne rendez-vous à 8h. »

Une réflexion à l'image de ce que laisse transpirer le bonhomme : un caractère carré doublé d'une gentillesse et d'un grand sens du partage. Stéphane, c'est Salette sur le forum communautaire Club Poker. Un pseudonyme dont la familiarité ne vient pas nécessairement de ses résultats autour des tables live. Le natif de Savigny-sur-Orge y a accumulé 24 452 $ de gains - « avec trois places payées aux WSOP qui me font bien plaisir », tient-il à préciser - mais son approche reste celle d'un simple amateur passionné. Ce qui a mis son pseudo en exergue, ce sont toutes les données qu'il a pu compiler sur Las Vegas, et notamment un calendrier soigneusement compilé chaque année, regroupant l'ensemble des tournois de poker programmés à Sin City entre fin mai et mi-juillet. La capitale du jeu, Salette y vient tous les ans depuis 2013. Et il retrouve sur les forums une question récurrente chez les amateurs désireux de découvrir Sin City : quel budget faut-il avoir pour venir ?

Les bons plans de Las Vegas

« Je vais prendre deux œufs sur le plat, des galettes de pomme de terre et du bacon ». Alors que la serveuse du Mr. Mamas, un breakfast familial situé à l'écart du Strip, s'apprête à rejoindre les cuisines, Stéphane complète : « puis des pancakes aussi s'il vous plait ». Devant mon regard inquisiteur, il se reprend : « C'est trop ? Je sens que je vais regretter. » Mais la commande est passée. « On vient ici depuis de nombreuses années » ajoute-t-il avant de tourner la tête pour scanner la salle. « Avant, le patron venait passer du temps avec ses clients mais ça fait quelque temps qu'on ne le voit plus. » Ses petites habitudes locales, Salette les travaille depuis plusieurs années. Après un premier séjour en 2011 avec sa compagne à l'occasion d'un trip dans l'ouest américain, Stéphane chope définitivement le virus de la ville en 2013 lorsque son ami DonReg remporte un package et l'invite généreusement à partager sa chambre. « J'ai pris un billet en dernière minute et j'ai joué tous les jours, c'était un régal... Depuis, je viens tous les ans ».

Salette
Avec désormais des conseils pour tous les voyageurs souhaitant l'imiter. « Pour les avions, je dirais qu'il faut les réserver environ six à sept mois avant le voyage » précise-t-il. « D'une façon globale, c'est bien de regarder les prix toute l'année afin de connaître le marché. Comme ça, lorsqu'il y a un bon prix, il faut être prêt à cliquer instantanément, la pire erreur est de vouloir attendre ! » Cette année, il a pu trouver un vol Paris – Amsterdam – Las Vegas sur Air France/KLM pour un total de 600 euros aller-retour, « un très bon prix quand on voit les tarifs actuels qui dépassent régulièrement les quatre chiffres » continue-t-il. « Pour l'hôtel, si c'est une première, je ne peux que conseiller de rester sur le Strip. On peut imaginer aller au Horseshoe ou au Flamingo, qui sont des hôtels milieu de gamme bien centraux permettant d'accéder à pratiquement tout à pied. Avec l'inflation, il faut débourser environ 150 dollars par nuit donc le mieux est de partager la chambre avec un ami pour réduire les coûts ».

Il s’interrompt pour jeter un coup d’oeil à la demi-finale de Roland Garros entre Novak Djokovic et Carlos Alcaraz. Son sport, Stéphane l’a lui déjà fait bien plus tôt dans la matinée. « Avec le jetlag, je suis réveillé à 5h30 donc j’en profite ». Au programme, 45 minutes de cardio afin de parfaire sa condition en vue des compétitions à rollers qu’il souhaite prochainement faire : les 24 heures du Mans en relais et le marathon de Berlin. Là aussi en amateur éclairé. « J’ai subi un gros accident dans une course l’an passé qui m’a valu 18 points de suture et quelques opérations compliquées donc je reviens petit à petit » confie-t-il à l’aube de ses 55 ans, un âge loin de l’arrêter dans ses différents projets.

De Marseille Hold’em à Sin City

Son regard interroge régulièrement sa montre. « Il y a une nouvelle règle sur les WSOP » se justifie-t-il, « lorsque tu t’es inscrit en avance et que tu as récupéré ton ticket, tes blindes commencent à tourner dès le début du tournoi. Donc il ne faut pas que j’arrive en retard. » Au programme du jour : le Gladiators of Poker à 300$ qui débutera à 10 heures du matin. En homme organisé, son entrée est dans sa poche depuis la veille.

Salette
Le parcours de Salette dans le poker est celui d'un pur passionné. Sa première rencontre avec les cartes a lieu à l'âge de 13 ans lorsque son grand frère cherche à compléter une partie privée de poker fermé. Le petit Stéphane rase la table et n'est plus invité. C'est en voyant les émissions du World Poker Tour de Patrick ■■■■■, une vingtaine d'années plus tard, que sa passion prend une autre dimension. « Ça m'a fasciné » dit-il, « ce n'était pas pour l'argent, je voulais simplement savoir comment on pouvait battre ce jeu. »

Stéphane rejoint alors l’association Marseille Hold’em et participe à un tournoi caritatif. Cent personnes sont présentes et… le vainqueur, c’est lui. « Je faisais n’importe quoi, c’était clairement la chance du débutant ! » Médusés, les joueurs le voient filer avec l’écran d’ordinateur promis au vainqueur, et un cadeau collector : la veste personnalisée d’Eric Koskas, ancien membre aussi éphémère que fantasque du Team Winamax. « Je me suis alors mis à fond dans le poker associatif… J’étais très proche du bureau jusqu’à ce que ma rigidité ressorte et me mette en conflit avec certaines décisions » regrette-t-il. Après avoir travaillé son jeu durant quelques temps pour progresser, Stéphane vit désormais sa passion plus libéré. « Je ne me fais pas d’illusion sur mon niveau, je joue pour me faire plaisir et je sais où est ma place, ce qui ne m’empêche pas de vouloir gagner ! »

Centraliser Las Vegas

Dans la voiture le ramenant sur le Strip, Salette a la même habitude que de très nombreux joueurs français présents sur Las Vegas : jeter un œil à son calendrier pour connaître le reste du programme de tournois en cas d’élimination précoce. « En fait, je me suis aperçu après quelques voyages qu’il était très compliqué d’avoir un agenda complet des différents tournois à Las Vegas. Il fallait se faire tous les sites et tous les programmes de chaque casino pour parvenir à trouver. » Alors Stéphane crée un unique calendrier centralisant l’intégralité des tournois de la ville. Devenu incontournable, son outil est même de plus en plus élaboré avec un système de notation. « Cela s’appelle le S-point » éduque Stéphane, « selon les tapis de départ et la structure, chaque tournoi reçoit une notation afin qu’on sache si on va participer à une boucherie ou à un vrai tournoi deepstack » poursuit celui qui n’hésite désormais plus à directement contacter les casinos de Vegas pour avoir les programmes en avant-première. « Les structures baissent globalement en qualité sur Las Vegas. Il n’y a que les WSOP qui se maintiennent. Le Wynn, c’est devenu catastrophique et le Venetian a augmenté tous ses prix d’entrée. »

Salette
Sa rigueur, son sens de l'analyse et sa faculté à synthétiser des données, il la tient également de son travail. Après des études de mathématiques appliquées lui ayant permis de devenir ingénieur, Stéphane rejoint le Ministère de la Santé, un domaine qu'il ne quittera plus malgré son déménagement de Paris à Marseille, sa ville d'adoption depuis plus de vingt-cinq ans. Évoluant désormais à la Fédération Hospitalière de France, il travaille au sein du P.M.S.I., le programme de médicalisation des systèmes d'informations. Avec pour but de récupérer des données dans les hôpitaux et de les analyser afin de pouvoir planifier et organiser au mieux les soins hospitaliers sur le territoire français. « On ne va pas se mentir, en tant qu'hyper-spécialiste du domaine, je peux vous dire qu'on n'est pas au mieux sur le territoire » soupire-t-il.

Un record historique sur le Main Event ?

Mais l'heure est à la détente. Installé dans la salle principale du Paris en table 236, siège 1, Stéphane est là à temps pour le shuffle up and deal de son premier tournoi de l'année des WSOP. « Je n'aime pas ce siège » confie-t-il, mais cela ne semble pas l'atteindre à une table où de nombreux Américains ont le statut de pur débutant. « C'est le profil parfait de Vegas » analyse Salette, « ce sont des joueurs qui jouent serré durant de nombreuses heures puis, d'un coup, le craquage, ils s'envoient complètement en l'air sans qu'on comprenne pourquoi ! » Ce qui est loin d'être son cas. « Mon côté rigide se ressent également dans mon approche du poker... Par exemple, j'ai du mal à comprendre des gens qui vont rentrer avec des mains comme 73 offsuit dans un coup. Je ne peux pas faire ça moi, ça ne rentre pas dans mon logiciel. » Ce ne sera pas nécessaire en ce début de tournoi : Stéphane touche de bonnes mains, trouve des clients et son tapis passe de 30 000 à 84 000 jetons sans qu'il ne s'en rende compte.

La suite est moins idyllique : Stéphane fracasse deux Rois contre deux As, se fait sécher As-Roi par As-Dame, et voit ses derniers jetons s'envoler avec Dame-Cinq contre deux Rois. « La croupière était trop rapide, je n'ai même pas eu le temps de voir le déroulé du board, c'est dingue d'aller vite comme ça ! » se marre Salette à sa sortie tout en se dirigeant vers la salle principale du Horseshoe. Alexandre Réard y dispute une finale. « J'aime bien regarder où en sont les Français, c'est mon petit côté chauvin. Puis, à force de venir, on commence à connaître pas mal de monde. »

Salette
Sur ces paroles, Stéphane se fait intercepter par Grégory Chochon, l'un des directeurs des WSOP, et Fabien Richard, auteur du photo-reportage Au cœur de Vegas. « Les chiffres de participation aux tournois ont l'air bons, non ? » demande Stéphane à Grégory, qui ne peut qu’acquiescer avant de lancer un jeu : « On est en avance par rapport à l'an dernier oui... Combien d'entrants tu imagines pour le Main Event ? » Alors que Stéphane propose un ironique 1 200 joueurs « en pariant sur le fait qu'une guerre empêche les joueurs de venir », Grégory Chochon imagine de son côté le record historique de 8773 joueurs datant de 2006 être battu, tentant même le pari de 9222 joueurs.

Un budget de 3 800 $

Loin d'être sonné par son élimination, Stéphane rejoint la caisse pour s'inscrire sur un nouveau tournoi qui débutera le lendemain. « Les gens me demandent souvent si je n'ai pas peur de perdre de l'argent... Mais quand ils partent en vacances, ils gagnent de l'argent, eux ? J'ai simplement un budget et les gains, c'est du bonus ! » Et le membre du Club Poker bénéficie également de quelques coups de pouce : « Grâce au travail que je fais bénévolement sur le calendrier, certains joueurs acceptent de me staker pour me remercier » confie-t-il. « Je pense notamment à Julien Martini qui m'avait tout simplement demandé combien je voulais. J'avais répondu 500$ en accord avec les tournois que je voulais faire et il m'a dit... ''t'es sûr que tu ne veux pas plus ?''. Vraiment sympa ! »

Pour pouvoir pleinement profiter de son séjour en tant qu'amateur, Salette conseille une enveloppe de 150 à 200 dollars par jour pour jouer au poker. Et alors qu'il se dirige vers la chaine de fast food In-N-Out, il termine ses calculs : « pour la nourriture, je pense qu'il faut tabler sur 60$ quotidiennement mais, personnellement, je ne prends qu'un gros petit déjeuner et un diner. » Si on récapitule, cet habitué de la ville conseille donc un budget minimum de 3800$ pour un voyage de dix jours sur Las Vegas. « Après, je ne fais pas de folies » conclut Salette avec le sourire. « D'ailleurs, je rate sûrement des choses... »

Sa soirée se déroule du côté du Caesars Palace. « J'aurais préféré aller à un casino perdu du type Boulder Station mais j'ai choisi la facilité » confie Stéphane. Installé à une table de cash game aux blindes 1$/3$, il assiste à quelques coups typiques de Las Vegas comme cette ouverture à 50 $ en milieu de parole d'un joueur avec une paire de 9. « Je n'ai pas envie de voir le flop avec cette main ! » lance le joueur à ses partenaires de jeu. Salette a repéré sa cible et parvient à le dépouiller après quelques orbites. Un bilan positif de 120 dollars lui permet d'aborder le chemin retour avec sérénité. Face au Bellagio, il ne peut s'empêcher de faire quelques photos. « Cette vue-là, je ne m'en lasserai jamais. »

Harper

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Une journée avec… Bruno Riou, un Frenchie chef à Vegas

Une journée avec Bruno Riou
« Laisse-le ça, je m'en occupe. » Alors qu'un employé s'apprête à décharger une palette de denrées alimentaires, le chef Bruno Riou l'interrompt pour prendre les choses en main. « Il est tout le temps comme ça » confirme son associé Sébastien, « il est très rigoureux et a toujours les mains dedans, il n'y a jamais de mauvaises surprises avec lui. » Après vingt années passés dans les cuisines des restaurants d'Alain Ducasse, Bruno a rejoint la brasserie Favorite Bistro il y a deux ans. « J'avais envie d'un projet un peu plus humain » confie celui qui a établi une carte mêlant des produits français (escargots, soupe à l'oignon) avec des plats plus américanisés comme cet improbable bloody mary coiffé de mini burgers, chicken wings et bacon.

L'amour du produit

Il est 7h30 ce matin-là quand Bruno remonte la Linq Promenade, une rue où l'air est artificiellement rafraichi pour permettre aux touristes d’envahir les terrasses malgré la canicule estivale. Arrivé dans son Favorite Bistro, le chef commence sa journée par une revue d'effectifs. « Je m'assure que tout le monde est bien là puis ensuite on attaque. » Une dizaine de commis s'activent déjà en cuisine et Bruno n'est pas le dernier à mettre la main à la patte, s'occupant de tailler des courgettes en vue d'une ratatouille. « C'est une cuisine de brasserie simple mais efficace et bonne » résume celui qui a durant de longues années travaillé sur des plats gastronomiques beaucoup plus élaborés.

Une journée avec Bruno Riou
Sa passion pour la cuisine, elle vient d'abord de son amour pour les produits. « Petit, j'allais rendre visite à mes grands-parents en Corse. Je cuisinais avec ma grand-mère et je faisais le jardin avec mon grand-père. On plantait des haricots, des tomates... Il a toujours eu l'amour de la terre. » Bruno est déjà passionné mais ses parents souhaitent le voir suivre un cursus scolaire standard. Ce sera un bac général décroché en 1994, suivi d'une fac de droit où Bruno est plus assidu aux soirées étudiantes qu'aux cours de droit pénal. « J'en garde tout de même la méthodologie et une manière de penser » tempère-t-il. Il tente une seconde expérience sur une licence de géographie. « À ce moment-là, je voulais devenir prof mais je me suis rapidement rendu compte que ce n'était pas fait pour moi... J'ai arrêté les frais. »

À 23 ans, Bruno rejoint sur le tard un CFA (Centre de formation d'apprentissage) et fait ses premières armes dans la cuisine du chef Jean-Pierre Moggia au restaurant Au bon coin, situé dans sa ville natale de Marseille. « C'était une expérience très enrichissante, on changeait de menu en permanence. » Bruno interrompt son récit. « Georges, tu as un papier ou quelque chose pour caler la table qui est là ? Elle est bancale, c'est insupportable. » Un détail rapidement réglé.

Une journée avec Bruno Riou
S'il est méticuleux et rigoureux, celui qui était alors commis est également capable de coups de folie. En 2000, il part à Londres passer un weekend chez des amis et tombe amoureux de la ville. Il décide alors de tout plaquer et d'aller s'installer dans la capitale anglaise. « J'ai pris deux valises et j'ai emménagé chez mes potes qui vivaient à Chelsea » détaille-t-il, « je dormais par terre mais c'était incroyable, des années mémorables ! » En à peine deux jours, Bruno trouve un poste au restaurant français Le Suquet. « On travaillait les fruits de mer, on avait de supers produits et une belle clientèle, c'était un bel établissement. » Bruno est encore un jeune fêtard. Ses payes hebdomadaires ne font pas long feu. « À ce moment-là, je n'avais pas vraiment d'objectifs à long terme mais je sentais qu'il y avait moyen de faire quelque chose si je tapais à la bonne porte. »

Bruno grimpe les escaliers en rythme pour retrouver son bureau du Favorite Bistro. « Avec Seb, on gère cette affaire comme si c'était la nôtre » se satisfait-il en ouvrant son ordinateur pour voir le détail des commandes. « Mon rôle, c'est surtout de superviser désormais. Je m'assure que les flux que j'ai mis en place sont bien respectés. Dans l'idée, avant mon arrivée, quand ils faisaient 100 couverts en cuisine, ils avaient l'impression d'en faire 1000. Désormais, quand on en fait 1000, on a l'impression d'en faire 100. Il n'y a pas de secret, il faut être consistant et rigoureux sur tout. »

En cuisine chez Ducasse

C'est en 2002 que la vie professionnelle de Bruno bascule. « J'ai été contacté par les équipes de Monsieur Alain Ducasse pour travailler au Spoon, un restaurant londonien de son groupe dirigé par le chef Laurent André. » Il y entre en tant que commis et découvre un nouvel univers. « C'était vraiment le top niveau. Ce que j'ai adoré, c'est la rigueur et le fait qu'on était une équipe vraiment soudée. On bossait comme des chiens mais on savait qu'on pouvait compter les uns sur les autres en permanence. Tu te sens tout petit dans une cuisine comme ça... Et qu'est-ce que t'apprends ! » Robert De Niro, Kylie Minogue, Madonna, Pharrell Williams... Bruno cuisine pour le who's who du show-biz mondial. « Pour un minot de Marseille comme moi, c'était dingue ! » se souvient-il. Bruno gravit les échelons et devient numéro 2 de la cuisine.

Une journée avec Bruno Riou
Son nom revient aux oreilles d'Alain Ducasse qui souhaite le voir travailler sur un projet de nouveau restaurant à l'hôtel Dorchester. « Il n'avait que quelques minutes pour me présenter l'idée » se souvient Bruno qui a retrouvé le chef pour ce rendez-vous express sur le quai de l'Eurostar. « Il m'a fait comprendre qu'il voulait que l'établissement obtienne deux ou trois étoiles, il était très ambitieux. » Le Marseillais se lance dans l'aventure, il est envoyé en stage au Plaza Athénée à Paris et au Louis XV à Monaco. Durant quelques mois, en tant que numéro 2 de la cuisine, il met tout en place, supervise les commandes de vaisselle, déniche les fournisseurs et élabore le menu. Mais à quinze jours de l'ouverture, la catastrophe. « On a fait découvrir nos créations aux pontes du groupe de Monsieur Ducasse et la dégustation s'est mal passée. À tel point que le chef a été viré. Je pensais que j'allais aussi prendre la porte car j'avais également préparé ce menu mais non, ils m'ont gardé. Voir ce chef partir à deux semaines de l'ouverture alors qu'on avait tout monté ensemble, ça a vraiment été un choc. Un truc comme ça, ça te marque pour le reste de ta carrière. »

L’ouverture se fait devant les meilleurs chefs de la ville, parmi lesquels un certain Gordon Ramsey. C’est un succès. Bruno travaille d’arrache-pied et au bout de trois ans, la récompense est là : le restaurant obtient trois étoiles. « On était tellement heureux » se souvient Bruno, « on a débouché le champagne mais je me souviens de la réflexion de Monsieur Ducasse qui nous avait tous refroidi : ‹ ‹ si vous pensez que vous êtes arrivés quelque part avec cette troisième étoile, vous vous trompez › ›. Et il avait raison. Ducasse, c’est mon école, c’est celle de la remise en question permanente. C’était une vraie leçon. »

Une journée avec Bruno Riou
Bruno traverse la cuisine du Favorite Bistro pour retrouver la chambre froide. À l’intérieur, un rangement militaire couplé à un étiquetage de chaque récipient permet d’identifier instantanément le saumon, le poulet ou les quiches. « La première chose que j’ai faite en arrivant ici, c’est de tout briquer et nettoyer. On se doit d’être absolument irréprochable. » Au plus grand plaisir de son associé Sébastien. « Lors du premier contrôle d’hygiène ayant eu lieu après son arrivée, on a terminé avec zéro remarque, c’était la première fois que ça m’arrivait dans la restauration ! »

Cap sur Sin City

C’est en 2010 que Bruno finit par traverser l’Atlantique. « Monsieur Ducasse m’a proposé de travailler au Mix, le restaurant panoramique du 64ème étage du Delano. » Le Marseillais vient passer un weekend à Las Vegas et découvre un restaurant immense. 500 couverts alors que son restaurant londonien ne dépasse pas les 100. « Tout était immense, il fallait faire énormément de volume mais c’était une première expérience en tant que chef principal qu’on m’a proposée, je ne pouvais pas refuser. » Sa femme enceinte déménage avec lui dans la capitale du jeu et Bruno découvre la pression associée à son nouveau rôle. « J’étais un tampon entre Monsieur Ducasse pour qui je devais maintenir des standards culinaires et cet énorme groupe qu’est le MGM qui surveillait chaque centime que je dépensais. » Avec également une adaptation à effectuer dans sa cuisine pour coller aux standards américains. « Ici, par exemple, on sucre un peu plus les vinaigrettes… Mais la différence principale, c’est ce qu’on met dans les assiettes. De véritables portions de mammouth. C’est dingue ! »

Une journée avec Bruno Riou
Au Favorite Bistro, Bruno est de retour en cuisine pour assister au ballet des assiettes. « Il est midi mais les clients continuent de commander de la nourriture type breakfast comme des œufs bénédicte. Ça marche très fort ça » La chorégraphie est bien rodée et une sensation de sérénité émane des lieux. Le fameux bloody mary est en préparation. « On a une clientèle qui est forcément assez touristique ici et ça, c’est un plat qui a été fait pour Instagram. J’ai bien conscience que pour un restaurant de ce type, l’objectif est d’être rentable. J’ai dû m’adapter. »

Les standards diffèrent effectivement de ceux qu’il a connus au Mix, bien que ce ne soit pas quantifiable en étoiles. « Le guide Michelin a quitté Las Vegas, il n’y a donc plus d’étoiles distribuées dans la ville. Ceux qui les affichent sont ceux qui en ont eu avant le départ du groupe » explique Bruno, « mais il n’y a pas de vérification annuelle permettant de savoir si elles auraient été maintenues ou pas. » Après quelques années, le Mix change d’identité pour devenir le Rivea, un restaurant méditerranéen où Bruno est à nouveau nommé chef. « Monsieur Ducasse m’a envoyé à Saint-Tropez et Monaco afin que je reprenne les bons standards pour la cuisine qu’on souhaitait faire. C’est ce que j’aime aussi chez lui, il fait tout pour qu’on soit dans les meilleures conditions possible. »

Le renouveau post-pandémie

Puis arrive le cataclysme de la pandémie du COVID-19. En mars 2020, le gouverneur du Nevada prend les premières mesures de confinement. « C’était dingue » se remémore Bruno, « tous les hôtels et restaurants ont été fermés et la plupart des cuisiniers ont été virés. Moi, ils m’ont gardé. » Il faut effectivement continuer de faire tourner les hôtels, ce qui nécessite du staff et de la sécurité. Et donc des personnes à nourrir. « On s’est retrouvé à 15 chefs, dont celui de Robuchon, à faire des milliers de sandwiches par jour pour alimenter tout le monde. Mais à ce moment-là, je n’allais sûrement pas me plaindre, j’étais bien content d’avoir encore un boulot et d’être en bonne santé. » Les restaurants rouvrent petit à petit, mais pas le Rivea de Bruno Riou qui est d’abord envoyé faire le snacking de la piscine avant de retrouver un poste dans la steakhouse de Michael Mina.

Une journée avec Bruno Riou
« À ce moment-là, Seb m’a contacté pour Favorite » poursuit Bruno. « J’en avais un peu marre d’être baladé et j’avais envie de retrouver un projet humain, hors d’un grand groupe. Mais on ne quitte pas Ducasse comme ça… C’était une grande décision et aujourd’hui, je suis heureux de mon choix. » Alors qu’il fait 36 degrés dans tout Las Vegas, Bruno sort profiter de la rue climatisée de la Linq Promenade. Il marche sur 200 mètres, croisant un groupe de jeunes allemands alcoolisés, des femmes en tenue légère cherchant à faire des selfies contre tips en cash ou encore un groupe célébrant un enterrement de vie de jeune fille. Sans que ça le perturbe. « La vie est facile et relax à Las Vegas » analyse Bruno. Il arrive au niveau du Sweet Sin, un magasin proposant des glaces, des pâtisseries ou encore des crêpes. « C’est aussi chez nous ici » dit-il avec le sourire. « On supervise et j’aide pour les différentes préparations comme ces croissants à la pâte à tartiner ou ceux aux amandes. » Un temple du sucre aux couleurs vives taillé sur-mesure pour les Américains.

Les chiffres sont bons et Bruno quitte son lieu de travail l'esprit léger. Au programme : un footing, emmener son fils au football et sa fille à la gymnastique tout en laissant les distractions de Las Vegas de côté. « J'ai un papa joueur de poker mais je ne joue jamais » confie Bruno. « Allez, parfois un petit billet dans une roulette ou aux machines à sous mais c'est vraiment rare. » Et ce ne sera pas pour ce soir.

Harper

Une journée avec… Truiton31, un flambeur à Las Vegas

Une journée avec... Truiton31, un flambeur à Las Vegas
« Vous allez voir ce que vous allez voir ! » Il est 10 heures du matin et Grégory Caubet annonce la couleur. À Las Vegas, cet épicurien notoire est venu s'adonner à ce qui est devenu le moteur de sa vie : des journées festives à l'excès. Ou plutôt, « des moments de partage entre amis » comme il aime à les définir avec un sens aigü de la litote. Dernières chaussures AirJordan aux pieds - « je suis allé les acheter spécialement pour l'occasion ! », jean cintré et chemise à fleur entrouverte, il arrive sur la Linq Promenade en affichant un grand sourire. Sur une terrasse de restaurant, il sort fièrement un ticket gagnant de paris sportifs, 5 000 $ transformés en 17 000 grâce aux victoires combinées de Novak Djokovic, des Denver Nuggets et des Vegas Golden Knights. Il prévient : « Je vais tout remiser sur le hockey sur glace cet après-midi ! » OK, allons-y.

Ça aurait dû se finir au GIGN

La modération, ce n'est pas dans les gênes de Grégory. « Avec moi, ça a toujours été tout ou rien » précise celui qui s'est fait connaître sous le pseudo de Truiton31 en transformant 500 € en 400 000 balles sur Winamax, à l'aube du premier confinement. Tout en commandant une première tournée de bières (« pour moi ça sera deux »), Greg revient sur l'évènement qui a changé sa vie. « C'était le 26 décembre 1994, on regardait la télé en famille et on est tombé sur l'intervention du GIGN qui a débusqué les preneurs d'otage du vol Air France à Marignane. Ça m'a marqué pour le restant de mes jours. » Alors qu'il a seulement 14 ans, cette démo d'héroïsme vécue en live le décide de dévouer sa vie à intégrer ce groupe d'intervention. « Je me suis mis à faire du krav maga, du parachutisme, j'ai passé mes brevets de moniteur de secourisme, de moniteur de plongée... Je ne pensais qu'à ça. » Ce qui n'est pas pour véritablement faire plaisir à une maman qui préférerait voir son fils devenir pilote de ligne.

Les rêves du Toulousain sont néanmoins trop forts. Il poursuit sa quête en intégrant STAPS pour gagner en rigueur et en condition physique. « Le problème, c'est que j'organisais des soirées débiles » se souvient Greg, « j'ai fini par être viré six mois de la fac et je suis entré à l'école de gendarmerie. » Après deux ans, Greg atteint la dixième place de sa promo et est autorisé à tenter les sélections pour le GIGN. Mais à l'aube d'un stage d'un mois pouvant le mener au graal, il se fait diagnostiquer une épitrochléite. « C'est une tendinite du coude particulièrement douloureuse » explique-t-il avant d'interrompre son récit pour haranguer un serveur : « On va vous prendre des calamars, des escargots et des chicken wings s'il vous plait. Avec une bouteille de vin rouge. Que la fête commence ! »

Des infiltrations lui permettent de suffisamment endormir la douleur pour rejoindre le stage. Un ami l'ayant déjà effectué le prévient : la dernière semaine sera la plus intense de sa vie. « C'était en mode Guantanamo » détaille Greg. « Le mec me raconte avoir été pendu par les pieds dans une chambre froide, avant de se faire frapper durant 24 heures consécutives pour voir comment il pouvait réagir… » Décourageant ? Que nenni. « Franchement, je me sentais prêt à vivre ça, je le voulais même. » Un soir, Greg est mis à l'épreuve en se retrouvant enfermé dans une pièce qui a été blindée de gaz lacrymogène. Il doit retrouver une arme, ouvrir les yeux pour lire son numéro de série et s'extirper tout en retenant l'information. Il y parvient.

Le lendemain, le maitre de stage convoque les aspirants encore dans la course. Et leur pose une question : « La douleur est-elle un frein à l’action ? » En habitué des bancs de la fac, Greg commence à écrire une dissertation à base de thèse, antithèse et synthèse. Le maitre bazarde le monologue et lui tend un tout petit bout de papier en échange. « Il m’a demandé de simplement répondre oui ou non. J’ai dit non. » S’ensuit un footing de dix kilomètres avec comme équipement un sac à dos lesté et un fustil d’assault. « Là, les officiers arrêtent six mecs en leur disant que ‹ ‹ c’est terminé › ›. Nous, on se dit qu’ils ont dû répondre ‹ ‹ oui › › à la question, que ce sont des faibles, et qu’ils sont éliminés. » Mais arrivés sur la place d’armes, le groupe voit les six recalés tranquillement installés sur des chaises.

Une journée avec... Truiton31, un flambeur à Las Vegas
« Ils nous ont demandé de les rejoindre en rampant… Il y avait soixante mètres à faire sur un terrain stabilisé. » L’égo prend le dessus et Greg accélère le plus vite possible. Arrivé au bout, l’officier lui demande : « La douleur est-elle un frein à l’action ? » Greg persiste en répondant non. « Il m’a alors demandé de faire un nouvel aller-retour ! 120 mètres en rampant sur le stabilisé ! » Au prix d’un énorme effort, Greg est de retour pour subir une nouvelle question de l’officier. « La douleur est-elle un frein à l’action ?! » Même son de cloche chez Greg : « Non ! ». « Alors rampez ! » reprend l’officier. « À ce moment-là, je savais que j’avais mal répondu à la question… mais je voulais être le dernier à tenir sur le terrain » se souvient-il. Les aspirants abandonnent un à un et ils ne sont plus que trois, chacun avec un officier se tenant à côté d’eux pour leur poser la question en boucle. Les bras tétanisés et ensanglantés, tremblant de partout, Greg finit par s’effondrer.

Et il va en payer le prix. « Mon épitrochléite a explosé, je ne pouvais plus rien faire et j'ai dû abandonner le stage… » se souvient Greg. « Des Cuba libre s'il vous plait ! » lance-t-il en même temps à un serveur qui s’exécute avec le sourire. « C'est dommage… » reprend Greg avec plus de sérieux. « Je pense qu'ils poussent trop loin la sélection naturelle et qu'ils passent à côté de potentiels bons éléments à cause de ça. » Nous sommes en 2009. Alors qu'il lui est encore possible de retenter le stage dans les années à venir, Greg fait un pas de côté et ouvre la première salle de Krav Maga de Toulouse. Le succès est immédiat : 1000 adhérents dès la première année. Mais dans le même temps, il ne parvient pas à proprement guérir son coude et doit se rendre à l'évidence. Il ne pourra jamais intégrer le GIGN.

« C’est la plus grosse déception de ma vie » confie treize ans plus tard celui qui vient de franchir les 43 printemps. « J’aurais préféré faire ça plutôt que d’être Kylian Mbappé ou n’importe quel sportif connu. Pour moi, ça représente tellement de belles valeurs : l’unité d’un groupe, l’anonymat, risquer sa vie pour autrui… » Et un sens du partage qui l’accompagne désormais tous les jours de sa vie. « Depuis mes 15 ans et mon envie de rejoindre le GIGN, j’ai intégré l’idée de pouvoir mourir du jour au lendemain. Tu es obligé de l’avoir en tête pour espérer faire ce type de missions. Et cette idée, elle est gravée en moi, encore à l’heure actuelle. J’ai le sens du sacrifice ultime pour les autres. »

50 000 $ sur du hockey

Une journée avec... Truiton31, un flambeur à Las Vegas
Un sexagénaire arborant un maillot des Vegas Golden Knights passe dans le coin. « Vous les voyez gagner facilement ? » lui lance Greg. « Assurément ! » réplique le local. Depuis 2017, la folie du hockey sur glace s’est emparée de Las Vegas avec l’arrivée de la franchise des Knights à la T-Mobile Arena, une salle flambant neuve. Cette année, le club vit déjà la deuxième Stanley Cup de son histoire, l’équivalent des finales NBA pour le hockey. Et après quatre rencontres, ils mènent 3 victoires à 1. « Ils ne leur manque qu’un match pour remporter le trophée » précise Greg, Et cela se passe ici-même à Vegas : let’s go.

Après avoir réglé l’addition, Greg fonce à travers le Strip d’un pas décidé. Premier arrêt : le Caesars Palace afin de récupérer les 17 000 $ de son ticket gagnant de la veille. Mais le Toulousain a oublié de prendre sur lui son ITIN, ce numéro de taxe international permettant aux ressortissants d’éviter les taxes américaines sur les bénéfices réalisés dans les casinos. Les locaux doivent effectivement payer 30,5% de taxes sur les gains dépassant 5 000 $ nets (seulement si le gain est plus de trois fois supérieur à la mise initiale, pour ce qui est des paris sportifs). « Tant pis, on règlera ça plus tard, je passe à la chambre récupérer du cash et on file au match » lance-t-il alors tout en pressant un peu plus le pas.

Arrivés aux abords de l’esplanade de la T-Mobile Arena, Greg se sent dans son élément. « On est même mieux que dans le stade, on va rester ici plutôt que de chercher des billets ! » Plusieurs centaines de personnes sont réunies pour regarder la rencontre sur des écrans géants, des danseurs livrent des animations et des groupes de musique donnent le tempo à la batterie. « Par contre, il faut que je mise avant le coup d’envoi » s’inquiète Greg tout en filant au New-York New-York, le casino le plus proche du stade. « Vegas Golden Knights, cote à 1,50. »

« Combien ? » demande l'employée au guichet sans même lever la tête. « 50 000 $ », répond Greg en poussant une enveloppe dans sa direction. Les yeux de l'employée sont désormais grands ouverts. « Heu, je vais demander… » glisse-t-elle avant qu'un responsable ne vienne rapidement prendre le relais. « Soyez le bienvenu Monsieur, nous allons prendre votre pari. Et tenez, nous vous offrons ces quelques tickets pour que vous puissiez consommer gratuitement au bar. » Greg range précieusement le reçu du pari. « J'avoue que j'ai un peu peur de le perdre celui-là ! » se marre-t-il tout en retournant sur l'esplanade. Lorsqu'on lui demande si ses fonds pour financer un tel rythme de vie viennent uniquement de ses salles de sport et des paris sportifs, Greg élude la question. « Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat » lance-t-il avec un sourire espiègle.

Après l'ouverture de sa première salle de combat à Toulouse, Greg a rapidement lancé une seconde salle de sport. « Puis trois, puis quatre ! » poursuit-il, « mais pour celles-ci, je dois remercier mon ami Morgan qui m'a aidé. De mon côté, j'avais décidé de prendre quatre années sabbatiques en Thaïlande et je gérais donc les affaires à distance. » Encore marqué par l'épisode du GIGN et ses années passées en gendarmerie, Greg a changé son fusil d'épaule : « J'ai connu un monde tellement autoritaire que je vis désormais ma vie comme du bonus. » À l'heure actuelle, Greg a limité son nombre de salles et n'en possède plus que deux, dont le réputé Toulouse Fight Club. « J'ai la chance d'avoir réussi professionnellement donc j'en profite. »

Une journée avec... Truiton31, un flambeur à Las Vegas
De retour devant le match, Greg sympathise avec les touristes et locaux et achète quelques bières à la sauvette, aussitôt distribuées aux badauds. Malgré l'énorme enjeu financier, le stress ne semble pas l'atteindre. « Go Knights Go ! » crie-t-il tout en dansant avec les attroupements se formant devant les écrans géants. Mark Stone, le capitaine de l'équipe jouant à domicile, vient rapidement libérer toute l'esplanade en inscrivant un premier but. Greg chante, danse, est en liesse et vient faire des photos avec tous les fans des Knights. Deuxième but de Vegas. Greg explose tout en filmant les scènes de liesse avec son téléphone portable collé sur le menton. « Je suis très actif sur Instagram, je mets des stories tout le temps » (pseudo : le même que sur Winamax, Truiton31. « Mais ce n'est pas pour montrer que je flambe, c'est vraiment pour partager des moments de kif à des potes. Je ne me prends pas du tout au sérieux avec ça. »

Bientôt les planches de l'Olympia ?

Le match s'avèrera être une formalité pour les Vegas Golden Knights, qui s'imposent 9-3. La légendaire Stanley Cup est pour eux. Greg, lui, vient de gagner 75 000 $. « On va faire la bringue ! » Retour sur le Strip. Le pas toujours déterminé et le sourire aux lèvres, Greg profite en regardant autour de lui : « elle est dingue cette ville, on ne peut pas s'ennuyer ici ! » Tout le monde profite de sa bonne humeur post-pari gagnant, y compris les sans-abris, refaits à coup de billets de cent. Notre destination finale sera le Piano Bar du casino Harrah's. « C'est mon QG de Las Vegas ! » Le concept est simple : les clients peuvent choisir ce que les deux pianistes vont jouer en échange d'un petit pourboire.

Une journée avec... Truiton31, un flambeur à Las Vegas
La musique, Greg baigne dedans depuis tout petit. « J'ai la chance d'avoir un grand frère qui a de très bons goûts musicaux. » À la maison, les Toulousains écoutent The Cure en boucle et grandissent dans un univers rock. Depuis, Greg écume les bars où des musiciens semi-amateurs donnent des concerts live. Il se saisit d'une feuille et envoie une première demande aux pianistes en incluant Radiohead, Guns N' Roses ou encore Journey, tout en glissant un billet de 100 $ aux artistes de la soirée avec qui il trinque à la bière. « L'alcool, je l'associe avec la fête et des moments de partage avec des potes. Je n'ai jamais bu un verre seul de toute ma vie » précise-t-il alors que les cerveaux commencent à s'embrumer.

En regardant son ticket gagnant, Greg envisage ce que pourrait être ses futurs faits d'armes. « J'ai un objectif en paris sportifs » confie-t-il, « j'aimerais refaire un gain net d'au moins 70 000 € sur Winamax. Si c'est le cas, je loue l'Olympia pour faire venir Sumenta Nova, un groupe corse génial capable de faire un concert de reprises durant trois heures sans s'arrêter une seconde. Ce sont des monstres ! » Toujours avec le sourire, Greg quitte le bar pour retrouver sa chambre et rêver à de nouveaux succès. Le lendemain, il enfilera son costume de joueur de poker, lui qui compte tout de même 243 000 $ de gains sur le circuit live. La nuit sera courte mais cela ne l'inquiète pas. « Je fais toujours tout à l'excès et je ne compte pas changer ! »

Harper

Une journée avec… Danny, cash-gamer français à Vegas

Danny WSOP
« Il faut m'imaginer, moi, soudeur, entrant dans ce bar perdu en Australie afin de jouer au poker pour la première fois... J'étais à des années-lumières de me dire que vie était en train de basculer. » Installé à la table d'un fast food du Wynn, Danny a les yeux qui pétillent. Dans quelques minutes, il s'apprête à aller jouer sur les tables de cash game du casino. Section "low stakes", aux blindes 1 $ /3 $, son nouveau gagne-pain depuis un an. Avec son hoodie et sa casquette vissée sur la tête, Danny a tout du grinder modèle. Pourtant, ce Lyonnais garde les pieds sur terre, lui qui s'est trop souvent brûlé les ailes. « Etre pro, ça me paraissait tellement impossible... Alors je vis tout étape par étape. »

Viré de l'école en cinquième

Sa séance de sport terminée (« Je m'entraîne une heure et demie par jour »), Danny rejoint l'un des plus luxueux de Las Vegas. Le décor du Wynn tranche avec l'appartement de son enfance. « J'ai grandi seul avec ma mère. C'était la galère, on n'avait pas du tout d'argent. » À tel point qu'il veut le plus rapidement possible aider son foyer, intégrant l'idée qu'il faut travailler jeune afin de gagner sa vie. « En cinquième, j'ai été viré du collège car j'étais trop turbulent... Ma mère était en pleurs mais moi, je me suis dit que j'allais pouvoir travailler pour monter de l'argent ! »

Danny est envoyé en centre d'insertion et a le choix entre quatre professions - il n'a que 13 ans. Cuisinier ? Ouvrier dans le bâtiment ? Horticulteur ? Soudeur. Il choisit la dernière option. Et là, quelque chose se passe. « À l'école, j'étais le clown de la classe car je détestais ce qu'on faisait. Mais là, j'étais vraiment intéressé. Je restais même pendant les récréations pour me perfectionner. » Son maitre de stage est impressionné : il lui obtient une dérogation pour qu'il puisse travailler en entreprise malgré son jeune âge. « C'était génial de pouvoir acquérir autant d'expérience si jeune. » En quelques années, il obtient des diplômes spécialisés afin de pouvoir définitivement se lancer en entreprise.

« Vous mangez quelque chose ? » La serveuse du Wynn sort son calepin pour noter la commande de Danny. Mais elle sera succincte : « An expresso, please. » Soucieux de ses dépenses, le Lyonnais précise : « Je prépare mes sandwiches avant de venir, comme ça je mange directement à table et j'économise un peu. » Son rapport à l'argent guidait également ses choix au début de sa carrière de soudeur. « J'étais dans une entreprise qui me payait 8 € de l'heure. Je leur demande de me passer à 8,5 €. Ils refusent. J'ai directement démissionné et je suis allé voir une autre entreprise qui était prête de me payer à ce prix-là. » Ce petit manège, Danny le fait jusqu'à ses 26 ans. « En tout, j'ai fait 50 entreprises jusqu'à être payé 13 € de l'heure ! »

Le grand saut à l'étranger

La serveuse arrive avec le café. « Merci », se contente de répondre Danny. Il fait pourtant les gros yeux. « Ce n'est pas du tout un expresso ça, il y a un litre de café, c'est toujours plus avec ces Américains ! » Ce « toujours plus » lui correspond également bien. Alors qu'il parvient à gagner 2 000 euros par mois en France, il se sent à l'étroit. « J'en avais marre, je voulais gagner plus, je me suis dit qu'il fallait que je trouve une solution. » Danny en parle à des amis qui lui conseillent de partir à l'étranger. Pourquoi pas en Australie ?

« Sur le papier, je n'étais pas contre... » confie Danny, « mais je rappelle que je ne suis pas allé à l'école, je ne parle pas un mot d'anglais ! Même ''what's your name?'', je ne sais pas ce que ça voulait dire ! » La réflexion dure un temps. « Un jour, je pète un cable. Je me pointe dans une agence. J'achète un billet. Dix jours plus tard, j'étais parti. » Avec 10 000 euros en poche, le Lyonnais débarque à Sydney, doudoune sur les épaules et deux valises sous les bras. « Il faisait 35 degrés. J'avais tellement chaud... Autour de moi, des buildings de partout. Je ne savais pas où aller. Je me suis demandé ce que je foutais là. »

Danny claque la moitié de ses économies dans l'achat d'un van et fait deux jours de route pour se retrouver dans la ville de Stanthorpe. « On m'avait dit que je pourrais y trouver du travail afin de prolonger mon visa. Mais l'endroit, c'était 5000 habitants perdus au bord du désert ! » Danny ne parle pas plus anglais qu'une semaine plus tôt et ne se déplace qu'avec son téléphone connecté à un site de traduction. Dans un bar, il fait la connaissance de John, un quinqua qui annonce vouloir l'aider. « Je me suis méfié, car personne ne m'avait jamais aidé jusque-là. » Mais le local est sincère, il lui présente la ville et lui offre même de quoi dormir. « Le lendemain, il m'a apporté mon petit déjeuner et m'a dit que j'avais un entretien dans l'entreprise de soudure de la ville. Incroyable ! » Sans parler anglais, Danny réussit à obtenir le poste. « C'était payé 27 $ de l'heure. Dingue. »

Quand soudain, le poker

Danny WSOP
« Je ne vais pas tarder à aller m'assoir en cash » précise Danny en regardant sa montre. Il est 13 h 45. Autour de nous des groupes de jeunes filles vêtues de maillots de bain légers traversent le casino en direction de l'Encore beach club, une des pool parties les plus réputées de la ville. « C'est le weekend, ça veut dire que les tables vont être encore plus belles ! » dit-il sans perdre de vue son objectif. Sa première rencontre avec les cartes, c'était justement à Stanthorpe, son premier point de chute en Australie. Nous sommes en 2013. « J'avais rencontré ce gars, Dennis, et il me saoulait pour que j'aille jouer avec lui un tournoi de poker à 5 $ dans un bar. Mais je n'y connaissais rien moi ! » À force de négociations, Denis finit par convaincre Danny. « J'ai passé la port. Sans le savoir, ma vie venait de basculer » se souvient-il avec nostalgie.

Pendant cette première partie, Danny regarde l'ordre des mains sur une antisèche avant de miser et, logiquement, se fait rapidement plumer. Le jeu lui plait et, de retour à la maison, le Lyonnais regarde des épisodes de High Stakes Poker. Il découvre les Tom Dwan, les Phil Ivey et autres Patrik Antonius. « J'ai tout de suite compris qu'il y avait une stratégie derrière le jeu, ça m'a intéressé mais je ne me suis pas plongé dedans à 100% pour autant. » Un mois plus tard, Danny est de retour au tournoi du bar. Il fait mieu que faire bonne figure : il gagne. « La récompense, c'était 75 $ en tickets conso ! » se marre-t-il.

Danny poursuit son aventure australienne à Sydney. Il trouve un poste dans l'une des meilleures boites de soudure de la ville. Son salaire atteint les 8 000 $ mensuels (5 500 €). « À ce moment-là, tout est parfait. Je kiffe ma vie. » Mais durant des vacances en Thaïlande, c'est le drame : Danny se fait percuter par un pickup truck. Hémorragie interne, double fracture de la jambe et... perte de l'usage de sa main, son instrument de travail. Il a frôlé la mort. De retour en Australie après diverses opérations, son patron lui fait comprendre qu'il n'est plus utile. Danny est dans un fauteuil roulant : il lui faudra de longs mois pour se remettre de l'accident. « Il me manque toujours une partie des facultés de mon coude » regrette Danny, « mais heureusement le reste est totalement revenu. »

Le revers de la victoire

Danny passe à la caisse du Wynn et sort de sa pochette trois jetons noirs de 100 $ qu'il échange contre des piles de 5$. « C'est parti » lance-t-il avant de s'assoir à une table. Ses adversaires ? Uniquement des Américains, entre la quarantaine et la cinquantaine, semblant profiter de leur weekend de vacances à Las Vegas pour jouer aux cartes. « Des baleines », comme aime à les appeler Danny avec assurance. Un statut qu'il a longtemps eu. Après son accident, il quitte l'Australie pour rejoindre la Nouvelle-Calédonie. « Il me restait 500 $ sur mon compte et je vois un satellite à 50$ pour un gros tournoi... Je le tente et je ne sais pas par quel miracle, je gagne mon ticket. Dans la foulée, je fais le tournoi et incroyable, je finis deuxième et remporte 13 500 € ! »

Danny WSOP
Ce qu'il ne sait pas encore, c'est qu'il a été particulièrement chanceux pour en arriver là. « Dans ma tête, je me suis directement dit que j'étais une star du poker et que je pouvais en vivre. » Danny prend la direction de la Nouvelle-Zélande sans aucune notion de gestion de bankroll et s'inscrit à un tournoi à 2 500 $. Qu'il perd. Rebelote en cash game où il perd près de 5 000 $. « Je ne comprenais pas, j'étais anéanti » se souvient Danny. Son compte en banque au plus bas, il se résout à rentrer en Europe, d'abord pour un passage éphémère à Londres où il laisse encore quelques plumes en cash game, puis en France. On est maintenant en 2018. « Je me suis dit qu'il fallait que je change mon approche du poker. »

Danny se met à regarder des contenus stratégiques, comme les vidéos d’Alex Luneau sur la Poker School de Winamax ou encore celles de Kill Tilt disponibles sur YouTube. « Je n’ai pas touché à une carte pendant plus de six mois » précise-t-il. En parallèle de sa vie d’auto-entrepreneur dans la soudure, Danny se donne alors les moyens pour réussir dans le poker. « J’ai acheté un ordinateur et j’ai uniquement regardé des vidéos de cash game en micro-limites, toujours sans jouer. » Puis arrive le jour où il décide de se remettre dans le bain. « J’ai créé un compte sur Winamax sous le pseudo AlaLyonnaise. J’ai attendu que minuit passe dans la nuit de dimanche à lundi, et je me suis lancé dans le challenge micro-limites en NL2. » Après une semaine de compétition, Danny termine troisième devant des milliers de joueurs.

Le rêve américain

Derrière suivent deux années de rêve où Danny, profitant également du boum du confinement, passe de la NL2 à la NL200, tout en se faisant plaisir sur les tournois MTT de Wina. A la clé : des victoires sur le Magnum, le Tea Time, le Starter, ou encore une seconde place sur un Winamax Series. L’envie de revenir en live est trop forte : il tente sa chance en janvier 2022 à Annecy. Dès son premier essai, il termine deuxième d’un APO 500 pour 11 500 €. « Derrière, c’est le rush de folie. En tout, je prends près de 40 000 € en trois mois de live. »

Sur la table 1 $/3 $ du Wynn, Danny joue un premier pot d’importance. Derrière une relance à 15 $, il paye avec une paire de huit. Le flop tombe QQ4 : mise à 25 $ de son adversaire, payé. Sur un J au turn, Danny voit son adversaire check et il en profite pour miser 20 $. Il est payé et, surprise, sur un 7, l’Américain fait tapis pour 160 $. Danny prend le temps d’analyser son adversaire et finir par engager la somme… Révélation : 10 de pique chez son adversaire qui ne peut que s’incliner. « Et c’est tous les jours comme ça », chuchote Danny tout en postant la main sur son compte Instagram.

Danny WSOP
C’est en août 2022 qu’il met les pieds pour la première fois à Las Vegas. « Ça se passait tellement bien pour moi que j’ai eu envie de revenir sur les tables de cash game où j’étais si mauvais autrefois » analyse Danny, « je me suis dit que j’avais désormais le niveau. » Il choisit le Wynn et prend un appartement à 700 mètres. « En arrivant le premier jour, j’ai halluciné sur le niveau des tables, j’avais l’impression d’être dans un rêve » confie celui qui est désormais ex-soudeur. « Je n’arrivais pas à y croire, je dormais deux heures par nuit et je revenais en me pinçant. » Au bout de dix jours, il ne connait rien d’autre que le trajet entre sa piaule et le Wynn. Mais une floor du Wynn lui fait de l’oeil. « Ah, Sigaey…. » lance-t-il avec des étoiles dans les yeux. « On a tout de suite accroché, je suis allé dormir chez elle le soir de notre rencontre et je ne suis plus jamais retourné dans mon AirBnB » se marre-t-il.

Un emploi du temps carré

Depuis, Danny ne veut plus quitter le Wynn et il s’astreint à un agenda précis. « Je suis autour des tables de cash game du mercredi au dimanche, de 14h à 22h. » Depuis son arrivée sur les tables de Las Vegas, son taux horaire tourne autour de 38 $ par heure, avec des pointes récentes à 50 $. Mais il n’oublie pas les épreuves par lesquelles il est passé. « Le niveau pour monter de limites et aller jouer en 2 $/5 $, je l’ai peut-être… mais je ne suis pas prêt dans ma tête. Non, je ne suis pas prêt à perdre 3 ou 4 000 $ par jour comme ça peut arriver quand on joue ces montants. Je suis bien où je suis. »

Sa journée, Danny l'arrête exceptionnellement à 19h avec un bénéfice de 575 $. Il décide de traverser le Strip pour aller s'inscrire à l'épreuve Monster Stack à 1 500 $ des Championnats du Monde. « C'est clairement un plaisir » confesse Danny, « mais désormais je sais ce que je fais ». « Pendant longtemps, j'ai simplement cru qu'il fallait être bon avec les cartes » poursuit-il. « Mais pour réussir, la gestion de bankroll est primordiale, tout comme le fait d'avoir une attitude irréprochable et un mental solide. Tant que je réunirai tout ça, je serai fier de ce que je fais. »

Harper

Une journée avec… Yuri Szarzewski, des cuisines aux cages MMA

Yuri Szarzewski
« L'idée aujourd'hui, c'est de ne pas finir KO. » Dans une arrière-salle intimiste du Syndicate, centre de combat réputé de Las Vegas, Yuri Szarzewski s'équipe. Straps aux pieds, protège-tibias, gants... Et de la vaseline sur le visage. « C'est le seul jour de la semaine où j'en mets, ça risque d'être nécessaire. » Le silence se fait dans la salle. « Sparring pro ! » hurle alors à gorge déployée un golgoth, provoquant l'évacuation des novices encore présents dans l'immense cage. Le visage de Yuri se ferme. Aujourd'hui, c'est un entrainement de MMA pas comme les autres qui attend le Français : il est le seul amateur au milieu d'une trentaine de professionnels. « Vous êtes livrés à vous-même ! » prévient l'instructeur.

La bagarre dans les veines

Il est 11h30 et Yuri salue la plupart des combattants. « Hello, Chef ! » lui répond-on. Car quand il n'est pas en train d'essayer d'étouffer ses adversaires dans une cage, le Narbonnais fait dans la finesse : il est chef exécutif du restaurant gastronomique Partage, situé dans le quartier chinois de Las Vegas. Rien de moins que l'un des établissements de cuisine française les plus populaires de la ville. « J'ai toujours été manuel, débrouillard et autonome » précise Yuri. « Pour aller à l'école, je devais marcher quatre kilomètres tout seul. Et pareil au retour ! » Son grand frère et lui se retrouvent souvent seuls à la maison le soir, ses parents tenant un bar festif ouvert jusqu'à part d'heure. « On était déjà un peu livrés à nous-mêmes » reprend-il avec le sourire. C'est néanmoins bien avec sa maman qu'il découvre les bases de la cuisine : « à mes 13 ans, je me suis mis à faire des gâteaux, des crêpes, je savais faire quelques sauces... » Alors quand l'école ne fonctionne pas, c'est logiquement vers la restauration qu'il se tourne. « Mais j'ai prévenu mes parents : je visais déjà l'élite de la cuisine, je ne voulais pas faire de la popote. »

L'élite, il la fréquente aussi dans la séance de Mixed Martial Arts qui nous occupe aujourd'hui. Un sport si violent qu'on peut apparenter au free fight, avec son mélange d'affrontement à distance pieds-genoux-poings mais aussi la possibilité de lutte au sol. Pour résumer les règles : à peu de choses près, tout est permis. Dans la salle sont présents Merab Dvalishvili, Alex Perez, Khalil Rountree ou encore Jamal Pogues. Des pontes de l'UFC, la ligue mondiale la plus reconnue de ce sport. « Je suis ici grâce à mes connexions » reconnaît Yuri, « mais je n'aime pas rester à la traine et maintenant il m'arrive de titiller tous ces pros. » Jeune, le petit Yuri est déjà bagarreur. « Avec mon frère, on regardait Rocky et après on mettait les gants pour se taper » se souvient-il avec nostalgie. Son frère quitte le giron familial alors que Yuri a 13 ans, pour vivre une brillante carrière de rugbyman : 83 caps pour Dimitri Szarzewski et une finale de la Coupe du Monde en 2011 au sein de l'équipe de France. Yuri, lui, navigue entre le rugby et le handball. Mais à niveau amateur.

Yuri Szarzewski
C'est en cuisine qu'il trouve sa vraie vocation en rejoignant L'Ambassade, un gastro à Béziers. « Je passais alors mon BEP en alternance » précise Yuri, « trois semaines dans l'établissement, une semaine à l'école. » Il est immédiatement plongé dans l'ambiance des grands restaurants : costume-cravate et rasage de près obligatoires. « J'aime la discipline et la hiérarchie » confie Yuri. « Je suis toujours à l'écoute de quelqu'un qui a quelque chose à m'apprendre. Aux États-Unis, c'est différent, il faut une approche plus amicale, sinon ça ne fonctionne pas... » Yuri, lui, vit l'expérience à 100% : les journées débutent dès 8h et se terminent rarement avant minuit. Au bout d'un an, c'est la surprise. Vieux de vingt ans, le restaurant obtient sa toute première étoile Michelin. À l'école, âgé de quelques années de plus que ses camarades et fort de son expérience, Yuri fait le papa. « J'arrivais dans une voiture cabriolet alors que les autres n'avaient pas l'âge d'avoir le permis, c'était drôle » se souvient-il. Son aisance est telle que le prof de sport lui laisse choisir la discipline qu'il préfère. « On a ouvert un club de boxe avec un pote ! C'était complètement Fight Club, le prof était mort de rire » se marre-t-il.

Les mains dans les étoiles

Dans la salle du Syndicate de Las Vegas, l'ambiance est également digne du film de David Fincher. « Mettez-vous en un contre un, vous donnez 20% maximum » ordonne l'instructeur. Yuri affronte un adversaire dont les oreilles semblent avoir fait connaissance avec une moissonneuse-batteuse. Les premiers coups pleuvent et Yuri se retrouve à terre, immobilisé. Après une minute de souffrance, il parvient à retourner la situation en se remettant sur ses appuis. Sa force de caractère, il l'a aussi utilisée en cuisine. Après son expérience bitteroise, Yuri vit quatre ans entre les Baux-de-Provence et Courchevel où il travaille pour le chef Sylvestre Wahid dans la prestigieuse maison L'Oustau de Baumanière. « J'ai passé un cap, car c'était à l'époque un restaurant doublement étoilé » se souvient Yuri. Mais arrivé en tant que commis, il n'arrive pas à monter les échelons. « Je demandais à être chef de partie [sous les ordres du chef de cuisine et du sous-chef, NDLR] mais ils ont fait trainer le truc pendant deux ans, me laissant à chaque fois miroiter que j'allais prendre du grade. » Un jour, il prend son destin en main et s'en va. Direction Paris.

Yuri intègre alors... Le Bristol. Une étape supplémentaire : l'établissement ne possède pas deux, mais trois étoiles. Le chef Éric Fréchon s'y montre intransigeant. « C'était militaire, la pression était énorme » reconnaît Yuri, « j'avais parfois la boule au ventre d'aller travailler. » Mais son talent ne laisse pas insensible la cuisine. Logiquement, Yuri demande alors à monter en grade et à ne pas rester commis. Mais le son de cloche est le même : patience, patience. Sentant qu'il va à nouveau devoir poireauter trop longtemps, Yuri prend une décision radicale : il claque la porte. « C'est là que j'ai découvert ma première salle de MMA » se souvient-il. Yuri se prend d'amour pour ce sport qu'il suit depuis de longues années. « Avec mon frère, on regardait ça depuis mes 13 ans » précise-t-il, « on louait les cassettes à Vidéo Futur, j'adorais le spectacle et j’étais attiré par le côté interdit de la violence. »

En pleine recherche professionnelle, Yuri crée en parallèle Cuisine Lib', un concept de restauration à domicile, en compagnie de son ami Alexis Braconnier, ancien candidat de Top Chef. « On s'est beaucoup amusés, mais ça n'a pas pris » résume Yuri. Obligé de faire des extras pour gagner sa vie, il finit par se faire repérer au restaurant étoilé Jean, où il obtient son premier rôle de sous-chef. « Enfin, j'ai pu apprendre un poste que j'ai longtemps attendu » se souvient-il avec joie. « Je créais les menus, je sortais rencontrer les gens, c'était parfait pour moi. » Mais les horaires sont une nouvelle fois crevants. En 2014, l'entrepreneur Nicolas Kalpokdjian se rapproche alors de lui : « Tu n'en as pas marre de la vie parisienne ? » Yuri ne peut qu’acquiescer. Lorsque Nicolas lui parle de Las Vegas, ses yeux se mettent à briller. « J'ai juste demandé à visiter la ville avant d'accepter. Il m'a emmené deux semaines et m'a montré tout ce qu'on pouvait voir à Vegas, les casinos, les bons restaurants, les pool parties... Et aussi le poker. J'adore, j'y joue à niveau amateur depuis mes 18 ans. Résultat : on est jamais repartis de Vegas... »

Partage de passion

Yuri Szarzewski
Au Syndicate, l'intensité grimpe. À tel point que l'instructeur interrompt la séance. « Vous n'êtes pas ici pour vous mettre KO ! Soyez respectueux envers vos sparrings ! » Les rounds de trois minutes s'enchainent, le bruit des coups de pieds est d'une violence inouïe et plusieurs se retrouvent à terre, un pied autour du cou prêt à les étrangler. La scène ressemble furieusement à celle d'un python préparant son goûter. Pour l'heure, le rôle que Yuri semble jouer est celui de prochain repas. « Heureusement, je suis très résistant à la douleur, c'est un de mes points forts. » La fin du round est sonnée et Yuri s'approche, dégoulinant de sueur : « Ce qui m'inquiète, c'est qu'on est qu'à la moitié de l'entrainement ! »

À son arrivée à Las Vegas avec Nicolas et Vincent, chef pâtissier, la bande ouvre d'abord EATT, un restaurant healthy food dont la carte change tous les jours. Repérés par des investisseurs américains, ils créent ensuite leur bébé : Partage, un restaurant de cuisine française proposant un menu gastronomique changeant tous les mois. « Pour la belle histoire, on a fini de payer nos dettes le mois dernier » confie Yuri avec un grand sourire, « c'est désormais le vrai rêve américain ! » L'arrivée sur ces terres est forcément un tournant pour sa passion du MMA. Las Vegas est connue pour être la maison spirituelle de l'UFC. D'abord parce que l'entreprise y a ses bases, et également parce que la ville partage une valeur semblable à ce sport : tout y semble permis. Durant ses six premiers mois aux USA, Yuri s'entraîne presque quotidiennement. Puis un jour, lors d'un banal foot en salle, son genou lâche. « Comme un grand, sur un bête changement d'appui » regrette encore le Narbonnais. Éloigné de tout sport durant six mois, il laisse le MMA de côté à l'heure de lancer Partage.

Puis, il y a trois ans, la carrure hors-normes d'un de ses serveurs l'interpelle. Il apprend qu'il s'agit d'Arthur Dufloo, combattant MMA amateur. C'est le déclic. « Je suis allé voir tous ses combats » confesse Yuri. « Je me suis rendu compte que je critiquais souvent. Je me suis donc dit que je devais m'y mettre à fond, et me donner une chance de combattre à mon tour, pour voir ce que c'était vraiment. » Rapidement, Yuri est de retour à la salle six jours sur sept. Les entrainements sont intensifs mais tout le monde s'accorde à dire que le Frenchie a du talent et qu'il est costaud : clairement, il doit pousser dans cette direction. Yuri est sur un nuage et intègre la ligue Tuff'n'Uff, le tremplin vers l'UFC.

L'heure du premier combat

Yuri Szarzewski
Son premier combat est acté. « Je devais affronter un mec 1-4 » raconte Yuri. Soit : une victoire pour quatre défaites. « Parfait pour se lancer ». Il choisit son identité de scène et trouve rapidement « The Chef », un surnom qui ne le quitte plus dans les salles de la ville. Les semaines avant le combat sont intenses : Yuri doit perdre du poids, gagner en vivacité et se préparer mentalement à sa première entrée dans la cage. « Je n'avais pas peur » confie Yuri sans sourciller. « L'inconnu ne m'inquiète pas, au contraire... Par exemple, j'ai déjà sauté d'un pont de 18 mètres parce que je ne me rendais pas compte de la hauteur. Si aujourd'hui tu me demandes de recommencer, pas sûr que j'y aille... »

La peur va en revanche gagner son adversaire. Au lendemain de la pesée ayant donné lieu à un intense jeu de regards, il ne se présente même pas au combat. « Il s'est chié dessus » résume impitoyablement Yuri. « Mais à ce moment-là, mon monde s'écroule » poursuit-il. « C'est violent une préparation pour un combat, on sait qu'on peut en avoir un au maximum tous les six mois et je voulais connaître ce frisson... » Yuri se demande s'il va poursuivre. Puis vient l'opportunité d'affronter Jacob Vasquez, un excellent kick boxeur débutant également dans le monde amateur du MMA. Au Circa, deux mille personnes sont présentes pour assister à l'évènement qui est également diffusé en pay-per-view sur Internet. « J'ai déjà fait de nombreux concours de cuisine télévisés », compare Yuri, « le public et les caméras, ça me galvanise plus qu'autre chose. »

Yuri débarque dans la salle vétu d'une veste de l'équipe de France. À l'entrée dans la cage, ses yeux se froncent : le voilà transformé en « The Chef », le cuistot bagarreur. « J'étais dans un monde parallèle » confie Yuri. À tel point qu'il se met en danger, voulant terminer son adversaire trop tôt. Après deux rounds sur les trois prévus, les deux combattants sont à 1-1. Tous les espoirs de Yuri reposent sur les deux prochaines minutes. « Là, je me sens vraiment bien » se souvient Yuri, « je le mets au sol, j'ai le contrôle et c'est un sentiment incroyable : je gagne à la décision. » C'est fait : The Chef est désormais officiellement un "1-0". Une victoire, zéro défaite dans le monde du MMA. « À ce moment-là, toute l'adrénaline redescend. Je me demande ce que je vais faire. »

De retour dans la cage le 14 juillet

Dans la cage d'entrainement du Syndicate, Yury fait désormais face à Darryll, un colosse d'1 mètre 91. « Là, je vais morfler... Mais c'est bien, parce qu'il a le même gabarit que mon futur adversaire » confesse Yuri. Son choix a effectivement été fait : il va retourner dans l'arène le 14 juillet prochain à l'occasion d'un combat organisé à l'hôtel-casino Sahara. « Au début, je ne voulais faire qu'un unique combat » dit Yuri avec le sourire, « pour comprendre ce qu'il se passe dans une cage... Mais j'ai envie de connaître ça à nouveau. » Il y affrontera Bobby Newmann, un californien 2-2-0, deux victoires, deux matches nuls, zéro défaite. « Les combats, c'est un peu comme les étoiles en cuisine » poursuit Yuri, « entre zéro et une étoile, il y a un monde, entre une et deux, tu as un super monde, puis entre deux et trois, c'est simplement du peaufinage. Donc si je gagne, il est possible que je m'en satisfasse. En revanche, si je perds, je me connais, il y a peu de chances que je m'arrête là... »

« Time ! » hurle l'entraineur du Syndicate. La session est terminée. « Je ne suis pas trop marqué ? » demande Yuri. « La semaine dernière, je suis reparti avec un cocard ! » Le rythme de ses journées est effréné. « J'ai pris le petit déjeuner avec mon fils puis je l'ai déposé à l'école » raconte Yuri, « c'est le seul moment de la journée où je peux le voir. » L'entraînement terminé, il a tout juste le temps de reprendre une douche avant de rejoindre son retaurant sur Spring Mountain Road. Sur place, Yuri y retrouve ses équipes déjà aux fourneaux et notamment Aymeric, son sous-chef, aux commandes pour la mise en place. Le restaurant est ouvert du mardi au samedi, uniquerment. « Ici, je suis un peu un couteau-suisse » confie Yuri, « c'est notamment moi qui recrute les gens... et qui les vire aussi. » Cet après-midi, la balance penche du bon côté, Yuri donnant des entretiens à de futurs plongeurs en puissance.

Yuri Szarzewski
Avant de voir Aymeric accompagné du chef pâtissier Vincent et de Ludo, autre préposé aux desserts, le rejoindre pour un repas d'équipe pris à 15h30. Au menu : bifteck, pâtes, melon et comté. Un repas de combattant ? « Je peux manger ce que je veux » avoue Yuri, « on brûle tellement de calories à l'entrainement que je n'arrive même pas à consommer chaque jour assez pour être à l'équilibre. » Alors il mange dès qu'il peut. Les préparations se terminent en cuisine et Yuri intercepte quelques mini-pissaladières. Il est 17h30 et les portes du restaurant ouvrent. Comme souvent, Partage affiche complet pour la soirée. Les clients choisissent entre une formule à 5, 7 ou 9 services, arrosés de bons vins français accordés aux plats. En fin de service, Yuri s'autorisera d'ailleurs un verre avec des habitués des lieux. Il est 22h : il s'apprête enfin à retrouver sa maison. Dans quelques heures, il sera de retour à l'entrainement, puis en cuisine. Et dans trois semaines, il sera de retour dans la cage, en quête de sa deuxième étoile.

Harper

Une journée avec… les Poker Dompé, du KING5 à Ocean’s 5

Poker Dompé
Face aux fontaines du Bellagio, les membres de l'équipe des Poker Dompé sont comme des enfants au pied d'un sapin de Noël. « C'est dingue de se dire qu'on est ici grâce au KING5 ! » lance Arnaud. Voilà à peine douze heures qu'ils sont sur le sol américain. Un célèbre air de Franck Sinatra vient rythmer le ballet des 1 200 jets formant l'une des plus célèbres attractions de Las Vegas. Pourtant, malgré leur deuxième place sur la plus grande compétition de poker par équipes au monde, ils ne sont pas venus pour faire du tourisme. Leur objectif est clair : braquer le Bellagio.

Le KING5, c'est de l'eau

4 797 équipes ont pris part à l'édition 2023 du KING5, le championnat par équipes gratuit proposé chaque année par Winamax. Quatre mois après avoir cliqué sur le bouton « confirmer l'inscription de mon équipe », les Poker Dompé profitent du lot de leur seconde place : un séjour à Las Vegas comprenant, pour chacun, 2 100 € en cash et surtout l'inscription à deux énormes tournois des World Series of Poker : le Millionaire Maker à 1 500$, et le Mini Main Event à 1 000$. C'est dans une villa située à l'ouest de Las Vegas qu'ils ont décidé de s'installer. Ce matin, ils doivent décider de l'attribution des chambres. « On peut faire un Omaha 6 triple board ! » lance Lucas avant de distribuer des cartes dans tous les sens. Arnaud est le mieux loti, emmenant le plus vite possible sa valise dans la luxueuse suite parentale. Daniel, lui, sent que son séjour vient de prendre un tout autre tournant. « Je me tape la chambre à deux et en plus avec le ronfleur... Dites, on change toutes les semaines, hein ? »

Poker Dompé
Pour Lucas, Arnaud et Daniel, il s'agit d'une grande première à Las Vegas. « C'est la ville du poker ! » s'enthousiasme Arnaud, « celle qu'on voit dans Dans la tête d'un Pro depuis tant d'années ! Je suis trop pressé d'être aux tables. » Pour Victor et Maxime, l'expérience est différente. L'an dernier, ils ont effectivement... remporté le KING5, déjà, au sein d'une autre équipe (La Singerie). Un (presque) doublé évidemment exceptionnel. « Il n'y a pas de variance dans cette compétition » plaisante Victor. Arnaud donne le guide pour vivre un KING5 optimal. « Déjà, le Stade 1, il suffit de monter trois ou quatre tapis de départ. Ensuite, à chaque main, tu laisses tourner tout ton chrono disponible avant de passer ! » Une méthode résolument peu franc-jeu, mais qui permet de gratter un maximum de points et de paliers. « Je me souviens avoir relancé une paire de 10 avec dix-sept blindes » relaie Lucas, « le reste de l'équipe m'a insulté à la pause, me disant qu'il me suffisait de passer toutes les mains pour qu'on soit qualifiés. Ils avaient raison ! »

« Avec ça, déjà, c'est direction la deuxième étape et il ne reste plus que 2 000 équipes sur les 5 000 présentes au départ » reprend Arnaud en bon porte-parole de la bande. « Le Stade 2 fonctionne de la même façon, mais il faut monter au moins cinq ou six tapis de départ. » Tout n'est néanmoins pas toujours rose, comme le relève Daniel : « Au Stade 3, il y a énormément de variance et il ne faut pas oublier qu'au Stade 4, il n'y avait plus qu'Arnaud en course à 22 joueurs restants... Il devait faire au moins deuxième pour qu'on évite l'élimination. Il a réussi ! » Joueur de cash game high stakes, Lucas vit la discussion avec un grand sourire : « Un soir, je me souviens avoir quitté une table de NL 10 000 afin de me concentrer sur le freeroll... C'est clairement le tournoi gratuit qui est joué le plus sérieusement au monde ! » Pendant les heads up finaux, la bande se retrouve à l'hôtel. « On était chacun dans une chambre » précise Arnaud. « Il y avait interdiction totale de crier ou de communiquer entre nous, on ne voulait absolument pas savoir ce que faisaient les autres afin de rester concentré au maximum et de ne pas se mettre la pression en se disant qu'on jouait un match décisif. » Au terme d'un final épique perdu 3 manches à 2, les Poker Dompé s'inclinent en deuxième place. Qu'importe : ils ont tout de même gagné le droit de se faire Vegas.

Objectif : 1 mois, 100 000 $

Poker Dompé
« Il fonctionne comment ce robinet ?! » Depuis sa suite, Arnaud découvre les spécificités de la tuyauterie américaine. « Bon, ce sera douche froide, comme François Pirault ! » se marre-t-il. Devant la cuisine immaculée, la bande se décide à faire quelques courses en ligne, ne disposant pas de voiture pour se rendre au magasin. « Prends des fruits » demande Victor. « Non mais c'est une dinguerie » se marre Maxime, « quand je tape "fruit" dans le moteur de recherche, il n'y a que des bonbons qui sortent ! » Bienvenue aux États-Unis. Très rapidement, les discussions tournent à nouveau autour du poker. C'est que cette équipe n'a rien de joueurs du dimanche : Victor et Maxime sont des spécialistes du jeu en tournois, étant multiples vainqueurs sur Winamax, Daniel joue en NL200, Arnaud en NL400 et Lucas jusqu'en NL10 000.

Victor, Arnaud et Lucas ont d'ailleurs monté un compte Instagram @Poker_Dompe et une chaine Twitch @PokerDompe sur lesquels ils ont lancé un défi : remporter un minimum de 100 000 $ à eux durant leur expédition à Las Vegas. Deadline : un mois ! « Comme notre nom l'indique, c'est poker champagne » précise Arnaud, « donc sur le compte, on n'est pas là pour poster des études de solvers... On est plutôt dans le poker festif, on voit par exemple Lucas aller profiter d'un restaurant étoilé juste après avoir rasé un Russe ! »

Poker Dompé
« C'est parti ? » lance Victor pour motiver les troupes. La bande saute dans un Uber. Direction le Horseshoe, temple des World Series of Poker. Sur place, ils retrouvent Desiree. L'employée du casino veille sur les (nombreux) qualifiés Winamax, leur fournissant les précieux sésames pour participer aux épreuves. « C'est 10 $ le café ! » hallucine Daniel en se posant au comptoir d'un des bars du Horseshoe. Mais les compères ont le sourire. « On peut vraiment dire que Winamax a changé notre vie » lâche Arnaud contemplatif. « On s'est tous rencontrés via les tournois live organisés par la room... Le groupe s'est formé petit à petit lors de soirées mythiques à Bratislava ou encore Madrid. Se retrouver tous ensemble à Las Vegas, c'est vraiment l'apogée de notre histoire ! »

À l'assaut du Bellagio

Soudain, alors qu'ils se lèvent pour se promener sur le Strip, une apparition. Phil Ivey. « Comment tu peux être aussi riche et aussi mal habillé ? » lance Arnaud en se marrant. « Je crois qu'il est à un tel point de fraicheur qu'il n'a plus besoin de réfléchir à ça » reprend Daniel, admiratif. Dans les rues de Las Vegas, les Poker Dompé ont les yeux qui pétillent. « Souvent, quand t'arrives dans une ville, tu es déçu par rapport à ce que tu as vu à la télé ou en photos » lance Lucas, « ici, c'est vraiment fidèle et magique ! » Avec aussi son lot de folie. Alors qu'ils empruntent un escalator pour atteindre le Flamingo, une Américaine jette un verre d'eau dans leur direction en hurlant : « ne me regardez pas ! » On les rassure : oui, parfois ça se passe comme ça à Sin City.

Poker Dompé
La bande déambule au milieu des machines à sous du Flamingo, avant d’atterrir sur la promenade du Linq pour y découvrir ses magasins, ses tables de beer pong et ses terrasses. « On va pouvoir manger dehors » lance Daniel. « Je n'ai pas traversé l'Atlantique pour prendre des plats français » prévient Lucas tout en commandant un burger à deux étages. Arnaud en profite pour se lancer avec nostalgie sur ses premières anecdotes poker. « J'étais caviste et j'avais un patron également joueur amateur... » raconte-t-il. « Un jour, on lance des tables de Go Fast depuis le bureau et j'entends des clients entrer. Je sit out très rapidement et j'arrive pour les servir. C'était un charmant couple de personnes âgées venu récupérer un carton de champagne. C'est alors que j'entends mon patron hurler : ''ARNAUD ! Mail ! Mail très très important !'' J'abandonne les clients et je cours dans le bureau... C'était du Go Fast Hold'Up et il venait de tomber sur le plus gros bonus possible : la table est devenue rouge, avec cent blindes dans le pot ! Il part à tapis et gagne avec 10-4 ! On s'est mis à hurler comme jamais, les clients sont entrés dans le bureau, se demandant ce qu'on foutait... ''Désolé, c'était un mail vraiment important ! Mais il est bien parti !'' Ils ont pris leur champagne et ils ne sont jamais revenus au magasin ! »

Lucas se marre, mais l'appel des cartes commence à sérieusement se faire sentir. Pour la troupe, c'est l'heure d'aller réaliser le rêve de leur vie : jouer au Bellagio. « Ou plutôt aller le braquer ! » rectifie un Arnaud se muant en Danny Ocean. « On a vraiment prévu de faire énormément de volume en cash game » confie Lucas, « l'idée va être de s'asseoir en début d'après-midi et de rester jusqu'à ce que le cerveau déconnecte dans la nuit. » Arrivés au Bellagio, les Poker Dompé ont un grand sourire en découvrant la salle de cash game et la mythique Bobby's room. Mais, celui-ci va vite s'estomper lorsque le temps d'attente pour s'asseoir leur est annoncé : un minimum de deux heures.

Poker Dompé
La soif de cartes est trop grande, le Bellagio attendra. « On va au Wings sinon ? » propose Lucas. « Tu veux dire le Wynn ? », se marrent les autres. Mais, après renseignements, l'attente semble être du même ordre. C'est finalement au Caesars Palace que la bande parvient à s'installer à des tables offrant des blindes 1 / 3 $ ou encore 2 /5 $. « C'est fou de voir toutes ces tables » s'extasie Arnaud, confiant sur l'issue positive du défi. « On a beaucoup joué en cash game à Londres et le profil des Américains est similaire » précise Lucas. Arrivés à 17h, ils ne quitteront pas la table avant 3h du matin. Avec un bilan positif... mais néanmoins mitigé par rapport à leur objectif. Arnaud perd 514 $, Victor 76 $ tandis que Lucas fait le boulot en gagnant 1 267 $. Les Poker Dompé sont donc positifs de 677 $. Allez, plus que 99 323 !

Une journée avec… YoH Viral, le degen apaisé

Yoh Viral
« Alexa, ouvre les rideaux. » Dans sa suite de l'hôtel Encore, Johan Guilbert commande son enceinte connectée. Il est 5 heures du matin et, depuis l'un des étages les plus hauts de la tour, le joueur de poker français le plus populaire de ces dernières années observe Las Vegas qui fourmille à ses pieds sur toute la longueur du Strip, depuis le Wynn jusqu'au Mandalay Bay. « Je ne me lasserai jamais de cette ville » confie-t-i, tout sourire. Pour son pèlerinage annuel, YoH Viral compte jouer une dizaine de tournois et saupoudrer le tout de quelques sessions de cash game high stakes. Tout en gardant un œil sur ses différents business. Aujourd'hui, direction les WSOP et le Millionaire Maker.

Le cash game pour la vie

Arrivé à Sin City depuis quelques heures à peine, le Français est embourbé dans un jet lag de qualité supérieure. « J'arrive de Dubai », précise-t-il, « c'est onze heures d'écart avec Las Vegas, difficile de faire plus de décalage horaire ! » Sa matinée, il la commence au Tableau, un restaurant du Wynn. « Il ne faut pas le dire trop fort, car c'est toujours très compliqué de trouver une table dans cet hôtel... » dit Yoh avec malice, « mais ici, ils font d'excellents petits déjeuners, et mon ami Louis y travaille, ce qui fait que je me retrouve souvent en terrasse. » Son téléphone vibre. Un message en provenance d'Eric Persson, un businessman détenteur de plusieurs casinos. « Il lance une nouvelle série de cash game high stakes streamée » reporte Yoh, « il m'invite à sa grande première mercredi. » Les blindes ? 100 / 200 $.

« Le cash game, je pense que c'est le moyen le plus efficace pour un joueur professionnel de gagner sa vie » analyse Yoh. « À mon sens, le taux horaire est trois à quatre fois supérieur par rapport aux tournois, et ce n'est pas vraiment dit dans les médias traditionnels. » Il poursuit : « Quand j'en parle avec d'autres pros, la plupart sont en accord avec moi. Et puis tu peux choisir quand tu commences, quand tu termines, être off plusieurs semaines si tu n'as pas envie de jouer... Cela offre plus de liberté. » Eric Persson ne tarde pas à confirmer : YoH sera bien de la partie. « D'ailleurs, un conseil pour ne pas transporter d'argent à Las Vegas : les casinos peuvent émettre des chèques-casino encaissables uniquement par la personne bénéficiaire, et ce dans n'importe quel casino. C'est avec ça que se déplacent les gros joueurs, pas avec des mallettes de billets ! »

Le cash game, Yoh Viral en fait la découverte en 2010 à Paris, à l'Aviation Club de France et au Wagram. « Je jouais aux blindes 1/2 € », se souvient YoH, qui est alors animateur radio. Rapidement, il grimpe les limites, se retrouvant dès 2015 sur les tables 25/50 $ du Bellagio. « Je jouais déjà des pots à 60 000$ ! » confie-t-il. « C'est là que j'ai commencé à raconter mes mains sur les réseaux sociaux, à l'époque c'était sur Facebook. » Son ascension en cash se poursuit. « Je suis devenu joueur régulier des cash games organisées en parallèle des tournois de l'European Poker Tour, je jouais des tables 100 €/200 € avec des milliardaires azerbaïdjanais... » Ayant signé un contrat de sponsoring avec une room online, il se doit de faire le Main Event sur chaque festival. Mais à peine éliminé, il fonce sur les tables de cash sans passer par la case des side events. « Je me suis retrouvé à jouer des pots énormes contre des célébrités comme Gérard Piqué » se souvient-il.

La vie de joueur pro, c'est terminé

Depuis, les chiffres ont explosé. Que ce soit sa bankroll, évaluée à plusieurs millions; les tarifs de son site de coaching; ou le nombre de followers sur les réseaux sociaux. Un domaine où son activité est régulièrement décriée. Yoh Virah s'y affiche volontiers sulfureux et balla, aimant montrer du fric et des cohortes de jeune femmes rarement très vêtues. Sur le chemin menant au casino Paris, où se déroulent les World Series of Poker, le Français nuance néanmoins : « Aujourd'hui, je ne me considère plus comme un pro à plein temps. Je jouerai au poker toute ma vie car je suis amoureux de ce jeu... Mais je n'ai plus le nez plongé dans les solvers. Je veux profiter de ce que j'ai gagné. »

Chaussures rouges de designer, pantalon de jogging confortable, gilet gris zippé jusqu'au cou pour résister à la climatisation, Yoh Viral est en place à table dès 10 heures du matin, un horaire qu'il consulte sur l'unique montre attachée à son poignet. Fut un temps où l'on pouvait le croiser avec trois tocantes aux bras. Le début de partie est compliqué. Yoh perd les premières mains de cette épreuve à 1 500 $ l'entrée. « C'est un tournoi pour me remettre dans l'ambiance » précise Yoh, « j'essaye de repérer les dernières tendances. » À sa table, de nombreux amateurs. Les visages sont fermés, l'ambiance studieuse. « C'est aussi pour ça que je préfère le cash game. On se marre plus. »

Yoh Viral
À l'issue du confinement, Yoh Miral se décide à mélanger franchement ses activités de businessman et de joueur en lançant les YoH Viral's Games. « J'ai grandi avec High Stakes Poker et Poker After Dark » explique Yoh, « je voulais ma propre émission. » Les débuts sont sommaires : des téléphones filment les cartes des joueurs, qui diffusent en direct les coups sur quatre stream différents. « On aurait pu se faire stream hack ! » se souvient Yoh en rigolant. Puis une société de production prend le relais. « Désormais, on monte parfois aux blindes 400 / 800 €, devant plus de 11 000 spectateurs cumulés. »

À table pour se marrer

Déjà implantés à Malte et Rozvadov, les YoH Viral's Games ont récemment connu un nouveau tournage à Chypre. « C'est Triton qui a assuré la production » confie Yoh, « cela va prochainement sortir sur leur chaine ». Le casting ? « On a eu Patrik Antonius et ElkY, entre autres... et je peux spoil qu'il y aura deux pots de plus de 500 000 € qui vont être joués. » Ces parties filmées sont devenues la priorité de Yoh, que ce soit l'organisation ou le fait de les jouer. « J'ai même pour projet de les installer à Las Vegas » confie-t-il, « je suis en pourparlers avec plusieurs casinos. »

« Et dans ces parties, on s'amuse.. ». Sous-entendu : le cash-game, c'est plus marrant que les MTT. « L'idée, c'est de ne pas avoir de commentateur, afin de vivre à fond ce qu'il se passe à table. On se chambre, on fait des jeux comme des bonus quand tu gagnes avec des mains comme 7-2, 8-3... Et je garantis qu'aucune émotion n'est feinte, tout est sincère, c'est un vrai show. Quand on perd 100 000 €, qui qu'on soit, on est en tilt ! »

Yoh Viral
Son discours est limpide et ses mots soigneusement choisis. Nul doute, Yoh est bien devenu un vrai businessman du poker, avec une communication calibrée. Luttant autant pour monter des jetons que contre le jetlag, ses yeux se ferment à moitié. Adrien, son vidéaste attitré, arrive pour tourner quelques plans. Ses aventures sur le circuit live sont régulièrement publiées sur sa chaîne YouTube sous forme de populaires vlogs. Tombé à dix blindes, Yoh est en pleine souffrance. « Je suis vieux ! Avant, le jet-lag passait tout seul. Là, je suis effondré ! » Il s'accroche tant qu'il peut puis voit ses dernières blindes voler avec As-Dix contre As-Dame. « J'ai fait plein d'erreurs mais ce n'est pas grave » analyse Yoh, « il faut que je retrouve mes automatismes. »

La détox des réseaux sociaux

Le chemin menant au parking n'est qu'une succession de bonjours et de poignées de main. Pros, membres de l'industrie, anonymes : il s'arrête pour tout le monde. « Pour être accepté sur les plus grosses parties, le networking est très important. Il faut apporter une valeur ajoutée. De mon côté, posséder une des plus grosses chaines poker du YouTube game est clairement un avantage. » Il poursuit : « Mais il n'y a pas que ça. Souvent, les joueurs de poker ne trainent qu'avec des joueurs de poker. De mon côté, j'aime m'intéresser à de nombreux sujets et rencontrer une multitude de profils, ce qui fait que je suis plus facilement accepté. »

« C'est long, non ? » Le trajet entre le Paris et le Wynn tire en effet en longueur : vingt-cinq minutes au lieu des huit escomptées. La raison des bouchons : l'arrivée prochaine du Grand Prix de Formule 1, qui a déclenché une frénésie de chantiers tout le long du Strip. Peu importe l'heure, tous les trajets prennent deux ou trois fois plus longtemps que d'habitude. De retour à l'hôtel à 17h, Yoh s'effondre sur le canapé. « Habituellement, j'aime bien faire du sport ou un spa. Mais là, je suis crevé. »

Yoh Viral
Son téléphone est sagement rangé dans sa poche. Depuis cinq mois, l'influenceur poker a pris une décision radicale pour l'influenceur qu'il aime être depuis des années : désactiver tous ses réseaux sociaux. Un comble ? « J'ai plus de temps pour moi, ça fait un grand bien. Les algorithmes sont beaucoup trop développés, ils nous forcent à y passer un temps fou. » analyse-t-il. « Le seul moyen que j'ai trouvé pour la combattre, c'est de désinstaller toutes les applications. » C'est pourtant bien les réseaux qui lui ont permis de construire son image. « Mais à quel prix ? » interroge Yoh. « Oui, cela permet de gagner un peu plus d'argent mais mentalement, c'est dur. On ne fait que de se comparer sur ces réseaux et moi le premier, je le reconnais. Dès qu'on arrive quelque part, la première chose qu'on fait, c'est de filmer. On regarde qui a vu nos stories, qui a like et si une personne ne le fait pas, on ne va pas lui parler mais plutôt l'ignorer. On en oublie de vivre normalement. »

Sa détox digitale est censée durer six mois. « Je n’exclus pas de la poursuivre plus longtemps » confie Yoh. « Le seul problème, c’est que je ne veux pas délaisser ma communauté. Il est possible que je passe à un format hybride où je fais des vidéos que j’envoie à mon équipe qui postera. Cela maintiendra le lien sans que je sois moi-même connecté. »

Dubai comme horizon

Admirant la ville à travers la fenêtre de sa suite, Yoh est contemplatif. « C’est vraiment la meilleure ville du monde pour un joueur de poker. Je viens ici trois à quatre fois par and depuis 11 ans et je ne m’en lasse pas. » Il y a deux ans, Yoh a même eu pour projet d’acheter une villa à Sin City. « J’en ai visité 40 ! » se souvient-il. « Et malgré un budget d’un million et demie, il m’a été impossible de trouver. J’en ai simplement vu deux qui me plaisaient et elles sont parties en une semaine. Le marché était totalement saturé. De mon côté, je me considère comme un bon gestionnaire de mon argent, j’ai donc préféré attendre plutôt que de faire un mauvais achat. »

Il y a quelques jours, c’est finalement à l’autre bout du monde – et dans le temple des influenceurs - que Yoh Viral a effectué le premier investissement immobilier de son existence. « J’ai acheté un appartement à Dubai. D’ailleurs, c’est désormais certain, le Wynn va s’implanter à Ras Al Khaimah, à une heure plus au nord. » Prévu pour ouvrir début 2027, il s’agira du premier casino implanté aux Émirats Arabes Unis. Le début d’une révolution. « C’est certain que cela va devenir une place forte du poker mondial » prophétise Yoh. « Tous les circuits vont venir s’installer là-bas. »

« Je descends, sinon je vais m’endormir ! » Toujours en guerre contre le décalage horaire, Yoh sort de sa chambre sur le coup de 19 heures pour retrouver l’agitation du Wynn. Devant le XS, il freine le pas. « C’est une de mes boites préférées, l’ambiance y est dingue. » C’est avec une idée derrière la tête qu’il vit désormais ses escapades nocturnes à Vegas ou ailleurs. Car pour la prochaine étape de sa carrière, Yoh n’aimerait rien moins que de monter dans la DJ booth, et s’installer derrière les platines. « Je ne veux pas forcément gagner ma vie avec ça mais je compte prendre un maximum de kif ! » Après avoir pris quelques heures de coaching avec un DJ réputé, Yoh établit actuellement une stratégie. « Je ne suis pas encore prêt à exposer toutes mes idées mais j’aimerais mêler le côté entrepreneuriat et DJ, un peu comme ce que je fais dans le poker. Quand ça sortira, je pense que ça plaira à beaucoup de monde. »

Pour l’heure, Yoh est à un stade où il profite de la vie, voyageant entre les pays de l’est, la Corée, la Thaïlande, Dubai et son fief maltais. Et à l’heure de conclure sa journée, il aime se rappeler de son mantra principal. « On a qu’une vie et on est là pour se marrer, alors autant en profiter ! »

Une journée avec… Gaëlle Baumann, maman joueuse à Las Vegas

Une journée avec Gaelle Baumann
« Oh, vous êtes Gaëlle Baumann ! » Alors qu'elle marche sur le Strip de Las Vegas, la joueuse du Team Winamax se fait intercepter par un Américain fan de poker lui demandant un selfie. « Depuis 2012, c'est tout le temps comme ça ici », confie la Strasbourgeoise, tout en se prêtant au jeu de la photo avec le sourire. Cette année-là, c'est avec des amis qu'elle remontait la fameuse rue. Désormais, c'est avec la petite Léa, sa fille de huit ans, qui lui tient la main.

La folie du Main Event 2012

17 juillet 2012. Dans le vaisseau ESPN de l'hôtel-casino Rio, Gaëlle est éliminée en dixième place du Main Event des Championnats du Monde, ouvrant un livre d'amour avec le public américain et empochant par la même occasion plus de 590 000 $. « J'y pense encore avec un peu de frustration, » avoue-t-elle. « On sait tous à quel point il est difficile de s'approcher de cette finale aussi mythique, alors échouer à une place près... » Elle a pourtant connu à nouveau des sensations similaires sur l'épreuve, terminant 102e en 2016 et 302e en 2022.

Avec, à chaque fois, des caméras la suivant de près. « Depuis cette presque finale, c'est devenu dingue à Las Vegas » explique-t-elle en référence à sa popularité dans la ville du Nevada. « L'année suivante, je suis allée faire des courses et j'allais rentrer à pied, avec moins de 300 mètres à faire. Un mec m'a vu dans la rue avec mes sacs et a fait demi-tour, criant ''Impossible que Gaëlle Baumann marche seule dans la rue avec des sacs de courses !'' Il a embarqué le tout et m'a déposé sans que j'ai vraiment le choix... C'était étrange au premier abord mais vraiment sympa au final ! »

Une journée avec Gaelle Baumann
Alors qu'il fait près de 36 degrés sur Sin City, Gaëlle se balade sur la Linq Promenade. « On me demande souvent où aller avec ses enfants, et c'est un endroit vraiment agréable ici. C'est une rue où on ne subit pas trop la chaleur, il y a des terrasses pour manger et pas mal d'activités pour les petits. » Après avoir réussi à esquiver le musée des selfies en détournant l'attention de sa fille, Gaëlle lui offre quelques macarons dans un temple du sucre végassien. « Ils devraient mettre un message de sensibilisation à destination des personnes épileptiques ! » se marre Gaëlle en voyant toutes les couleurs clignotantes à travers le magasin.

En famille à Las Vegas

La vraie bascule de son histoire à Las Vegas a lieu en 2017, lorsqu'elle joue une main improbable contre Vanessa Selbst en table télévisée du Main Event. Son carré de 7 vient battre le full aux As de l'Américaine. « Les personnes de PokerGO m'ont dit que c'était l'une des mains les plus vues de l'histoire du poker... À travers les différents canaux, il y a eu plusieurs dizaines de millions de vues » hallucine encore Gaëlle. « Après, c'est devenu n'importe quoi. Il y avait le côté sympa avec de nombreuses personnes me demandant des photos ou me félicitant, mais aussi des moments très bizarres où on me dévisageait étrangement, comme si j'avais des pouvoirs magiques. Il y a même quelqu'un qui m'avait traité de sorcière dans les couloirs ! Mais ce que l'histoire a oublié, c'est que dans ce tournoi, je n'ai même pas fait l'argent après m'être fait craquer les As par deux Rois dans un pot énorme » conclut-elle avec le sourire. « Pas terrible pour une sorcière ! »

Une journée avec Gaelle Baumann
Depuis la naissance de sa fille en 2015, Gaëlle a dû trouver un équilibre entre son métier de joueuse professionnelle et sa vie de famille, notamment sur les longs déplacements comme celui de Las Vegas, où elle reste près d'un mois par an. « Au début, c'était facile » se souvient-elle. « On l'amenait partout et elle a connu tout le circuit, c'était un peu comme si elle gagnait la Top Shark tous les ans ! Mais ensuite, il y a eu l'école et il n'était plus possible pour elle de venir. Cette année, on a réussi à s'arranger avec sa maîtresse afin qu'elle rate les deux dernières semaines de l'année scolaire. Elle n'a pas vraiment de souvenirs de ses premières fois à Vegas donc elle a vraiment l'impression de découvrir la ville. »

Depuis la grande roue surplombant Sin City, Gaëlle joue les guides. « Là, c'est le Rio où maman a fait sa plus grosse perf. Et ça, c'est le Paris et le Horseshoe où je vais perfer demain ! » dit-elle avec espièglerie. « Et au fond là-bas, notre maison. » Son point de chute dans la ville du jeu est en effet une villa à l'ouest du Strip : « Sans ma fille, j'aime me poser au Palms Place, des apparts-hôtels proches des casinos. Là, j'ai pris une maison avec une piscine afin de pouvoir en profiter en famille, surtout que la mamie de Léa a fait le déplacement pour s'occuper d'elle quand il est l'heure d'aller travailler. »

Une ville pour petits et grands ?

Une journée avec Gaelle Baumann
Son Las Vegas, Gaëlle l'espère chargé. « Je sens que la grosse performance est très proche en ce moment » confie-t-elle tout en poursuivant sa visite du Strip. « J'ai enchainé plein de résultats corrects, il est temps de conclure. » Au menu : de nombreux tournois bounties dont un 10 000 $, mais aussi et bien sûr le Main Event qui reste son objectif principal chaque année. « Regarde les gondoles » lance Gaëlle à sa fille en arrivant au Venetian. « Ah, les prix ont augmenté ici aussi » reprend la maman en voyant les tarifs. « Il y a une énorme inflation partout dans Vegas, j'ai même vu une note où des glaçons étaient facturés à hauteur de 4$ pour un cocktail ! »

Le nombre d'activités reste néanmoins bien large pour un parent présent à Las Vegas. « Aujourd'hui, je lui présente les différents hôtels et casinos afin qu'elle voit à quoi ça ressemble, et qu'elle puisse aussi voir où sa maman travaille. Même si j'avoue qu'elle risque de ne plus vouloir me laisser partir seule quand je lui dirai que je vais à Vegas ! » La suite, ce sera une sortie au Circus Circus Adventuredome. « C'est un petit parc d'attractions qui devrait la ravir » poursuit Gaëlle. « Le concept est sympa, tu peux payer attraction par attraction selon ce que tu as envie de faire, un peu comme dans une fête foraine. J'aimerais aussi l'emmener voir des spectacles, notamment Ô du Cirque du Soleil, puis faire quelques bons restaurants car, contrairement aux idées reçues, Las Vegas est une des meilleures villes pour bien manger. »

Une journée avec Gaelle Baumann
Gaëlle s'interrompt au cœur du Venetian pour montrer la poker room à sa fille. « Elle ne joue pas encore au poker mais elle est déjà très douée dans les différents jeux de cartes, » confie la pro Winamax. « Et je pense qu'elle a même déjà une meilleure pokerface que moi, elle est imperturbable ! » Les visites se poursuivent devant les fontaines du Bellagio. La petite Léa a les yeux qui brillent. « En tant que joueur professionnel, c'est sûr qu'on ne fait pas un métier très commun. Cest génial d'avoir la chance de pouvoir vivre tout ça dans le cadre de son travail. Et encore plus de pouvoir le partager en famille. »

Objectif Main Event

Gaëlle se met à accélérer le pas pour atteindre sa voiture garée au Bellagio. « Il nous reste trois minutes de parking gratuit et je n'ai aucune idée d'où j'ai rangé le ticket, » se marre-t-elle. « Dépêche-toi ou on piquera les sous de ton cochon Léa ! » Au prix d'une petite course avec sa fille hilare, Gaëlle arrive dans les temps. « Dans mes journées typiques de Las Vegas, j'aime bien manger en dehors du Strip le soir » enchaîne-t-elle. « J'ai quelques spots asiatiques qui sont rapides et pas chers comme Oodle Noodle, Makino ou Umiya. » C'est ce dernier qui sera choisi pour y dîner avec son format all you can eat, soit la possibilité de commander autant de sushis que réclamé par son ventre.

« Je pense vraiment que Las Vegas est une très belle ville pour y venir avec ses enfants quand on est un joueur de poker » conclut Gaëlle. « À titre personnel, cela me permet d'avoir de la stabilité entre les tournois et de ne pas avoir à me soucier de ce qu'il se passe en France. Après, ça reste une charge supplémentaire, je dois trouver des activités à faire avec elle dès que je suis éliminée. Je ne peux pas me reposer autant que je le souhaiterais le matin, tout n'est pas rose non plus. Mais la retrouver après avoir mis des jetons dans le sac, ça reste une sensation géniale. Et c'est bien sûr possible parce que j'ai la chance d'avoir ma famille qui m'accompagne jusqu'ici. » Ces prochains jours, tous seront derrière Gaëlle à l'heure où débutera son Main Event des World Series of Poker. Où elle espérera voir les caméras la suivre encore plus loin qu'en 2012.