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WSOP 2023-Rubriques - Enquêtes

Dans la tête d’un Player of the Year

Il est l’une des sensations de ces WSOP. À force d’enchainer les perfs et tables finales dans différentes variantes, Mickael Rodrigues touche du doigt l’objectif presque inatteignable qu’il s’était fixé en début de festival : jouer le titre du Player of The Year. Une course prestigieuse et dangereuse, réservée à la crème des grinders. Encore runner-up hier du PLO8, le Portugais accroche pour l’instant la roue de Shaun Deeb, mais reste dans le rétroviseur de l’autre phénomène de ces WSOP, un certain Ian Matakis.

Rodrigues

Il y a un mois, Michael Rodrigues n’attirait ni les foules, ni les projecteurs. Il faisait seulement partie de ces bons regs qu’on voit deep run de temps à autre, tantôt sur les EPT, un peu sur le circuit français. Pour autant, avant l’année 2023, aucune victoire de marque, aucune table finale de prestige n’était inscrite à son palmarès. Après un mois de Vegas, Mika est désormais champion du monde et quadruple finaliste WSOP. En 12 ITMs il a cumulé plus d’un demi-million de dollars. Soit près du double de ce qu’il avait jusque-là amassé dans toute sa carrière.

« Quand je vais revenir en France, je vais me réveiller » déclare le joueur, faisant référence à cet enchainement de perfs démentiels, qu’il a du mal à quantifier, à réaliser.

Au-delà des dollars encaissés, Michael Rodrigues démontre depuis le début de festival sa polyvalence dans toutes les différentes formes de poker. Un premier titre en Badugi, variante qu’il jouait pour la première fois en Live, et pour la deuxième fois de toute sa carrière. Une 7e place en Deuce-To-Seven, un jeu de “Draw”, sur la version à 1 500$… Avant de répéter la performance, trois jours plus tard, sur la version Championship, dont il terminait 3e pour 139 048 $.

Rodrigues

Ce vendredi, ce n’est plus avec cinq, mais avec quatre cartes en mains que le Portugais a fait des étincelles, sur un jeu qui n’a rien à voir avec les deux premiers : le PLO8.

« Je pensais qu’il était pour moi ce deuxième bracelet. J’avais 17 millions, quand les autres en avaient dix à eux deux, rappelle Rodrigues. Mon adversaire a tout touché sur les derniers coups. Je partais avec nut-low et un gros tirage high et je ne prenais qu’un quart du pot ou bien je me faisais scoop ». Le Portugais sait qu’il n’a pas trop le droit de “whine”. La déception du doublé est toute relative. « 2e devant 1 100 joueurs pour 160 000, je ne vais pas me plaindre ».

Après son titre en Badugi, Mika se présentait à nos micros comme « un joueur de cartes ». Un grinder formé à la dure, capable de se défendre sur tous les terrains. Pour ces décathloniens du poker, il existe une compétition toute trouvée. Un classement qui récompense justement les meilleurs joueurs de cartes, qu’ils en tiennent deux, quatre, cinq ou sept : Le prestigieux Player of the year.

« Cette saison, je suis venu pour 50 Jours, avec un objectif personnel bien particulier en tête, et assez élevé. Je le dirais pas maintenant, mais pour te donner un indice, cet objectif s’achève le dernier jour du festival » déclarait Mika le lendemain de son titre. Le joueur n’a plus besoin de nous le cacher : il comptait dès le départ combattre pour le titre du “POY”.

Un pari bien audacieux pour un joueur qui n’avait jusque-là aucune finale, ni même de vraies perfs sur les World Series. Un grinder Portugais dont la plus belle perf ne dépassait même pas les six chiffres. Pouvait-il vraiment combattre dans la course des Shaun Deeb, Dan Zack, Josh Arieh, Brian Rast et compagnie ? Des hommes qui ont déjà fait tomber les bracelets et les millions de dollars de gains ? Oui.

Deeb

Michael a rapidement fait son apparition dans le classement, son titre en Badugi le plaçant même dans le Top 10. Après ses deux finales en Deuce-To-Seven, Mika approche même la barre des 2 000 points et se positionne comme un prétendant sérieux.

Avec désormais une victoire (sur 516 joueurs), une deuxième place (sur 1 125 joueurs), une 3e place (sur un Championship de 113 joueurs), plus une quatrième finale, Mika se classe provisoirement en 3e position dans ce fameux classement, “seulement”. La faute à un Shaun Deeb toujours aussi monstrueux de régularité (14 ITM, 4 finales, 1 titre sur le 8-game mixed). Mais aussi à un invité surprise. Un certain Ian Matakis, grinder américain relativement random, et qui, à l’instar de Rodrigues, vient de réaliser en trois semaines autant de résultats qu’en six ans de carrière.

Matakis

15 ITMs, 3 TF, 1 victoire. Ajoutez-y une 15e place sur le Milly-Maker (plus de 10 000 joueurs et trois autres Top 20), et ça vous fait un total de 3 338 points. Et contrairement à Shaun Deeb, Monsieur Matakis ne joue pas de gros buy-in. Un seul 5 000 $, grand maximum, où il a fait ITM, avant le 5 000 $ 6-max… Dont il terminait 7e hier soir.

« C’est incroyable ce qu’il fait ce Matakis. Alors que personne ne le connait. Tout le monde ne parle que de Shaun Deeb, alors que c’est lui qui a toujours été devant » commente Michael Rodrigues, admiratif de ce joueur qui deep run tous les tournois dans lesquels il rentre. « Je vais peut être aller combattre dans la cour de Ian, qui prend les points que sur les petits buy-ins. Au moins, sur ces tournois, tu es sans pression ».

À voler trop près du soleil, on peut se bruler les ailes

Rodrigues

Si la course au POY est réservée à l’élite des grinders, c’est parce qu’elle peut s’avérer dangereuse… Et extrêmement coûteuse. Pour prétendre au titre, il faut jouer un volume monstrueux. Chaque jour-off est une opportunité laissée à vos concurrents de vous dépasser. Les plus gros buy-in rapportant plus de points, il est largement conseillé de joueur les 10 000 $ et plus, d’autant que les fields réduits permettent de multiplier les tables finales. Et si le run n’est pas au rendez-vous, la facture peut être salée.

Installé dans le Top 3 provisoire du classement, Mickael Rodrigues a voulu mettre toutes les chances de son côté en tentant des shots sur des gros, voire des très gros buy-in. Sa réussite en mixed-game l’a même poussé à tenter le Poker Players Championship à 50 000 $. Plutôt couillu pour un homme dont le cœur de buy-in est davantage les 1 000 - 2 000. « J’ai aussi mis deux bullets sur le PLO 25 000 $, affirme Rodrigues. En une semaine, j’ai drop une tonne. Ça m’a servi de leçon : j’ai appris que je ne ferai plus ça ». Avant de se bruler les ailes, Mika aura appris le mythe d’Icare, remixé à la sauce grinder.

Match à trois dans la dernière ligne droite

La perf à 160 000 $ tombe donc à point nommé pour refaire le plein de roll et de confiance, à l’aube des deux dernières semaines de tournois.

Rodrigues

« Chaque année, le titre se joue autour des 4 500 » déclare Michael Rodrigues, qui planifie soigneusement son calendrier de tournois en fonction de la course au POY. Les gros buy-in rapportent plus de points, accrocher une finale est plus envisageable, mais un deep-run sur un large field permet aussi de scorer gros. Pour ce samedi, ça sera le Turbo Super Bounty à 10 000 $. Et si le run n’est pas au rendez-vous, on se rabattra sur les mixed-games, puisque juste après l’entrainement réussi sur le PLO8 1 500 $, la version Championship, à 10 000 $, est programmée à 14H.

Mais pourquoi jouer cette course, dont le carburant se paie en centaine de milliers de dollars ? Y a-t-il un prix, une récompense, un trésor qui justifie qu’on se lance corps et âme dans cette course ? Absolument pas. Hormis un siège pour le prochain Main Event (d'une valeur de 10 000 $) et une belle photo affichée dans les couloirs du Horseshoe, le titre de POY couvre le vainqueur de gloire plutôt que d'or.

« Je ne joue pas au poker pour l’argent, affirme Mika qui travaille à côté dans l’industrie musicale. Je le fais parce que je joue à tous les jeux. C’est pour le prestige. Et puis, voir un Portugais dans ce classement devant tous les Américains, ça serait rigolo ».

POY

Actualisé quotidiennement, le classement place pour l’instant Ian Matakis en pole position avec 3 709 points. Shaun Deeb sui avec 3 358, tandis que Mika complète le podium provisoire avec 3 279. Le trio dispose d’un petit matelas d’avance sur le gang de poursuivants, composés des Chad Eveslage (2 titres), Chance Kornuth, Chris Brewer, Jeremy Ausmus, Josh Arieh ou encore John Monette.

Au vu de la forme de Matakis et de la régularité de Shaun Deeb, Michael Rodrigues ne part pas favori pour la première place. Après tout, un Top 5 serait déjà un énorme succès, n’est-ce pas Mika ?

« Au POY, soit t’es premier, soit t’es rien du tout, répond sèchement le joueur. Top 3 c’est bien quand même, je ne sais pas s’il y a déjà un Portugais qu’il l’a fait (Joao a fait 7e en 2022, son meilleur classement). Là, on est dans les trois premiers, de loin. On va voir ce qu’on peut faire ». Tout juste sorti du 10 000 $ Super Tubo Bounty, Mika revient à ses premières amours, avec un tournoi Mixed-Big Bet mêlant encore des formes de poker bien exotique, notamment le 2-7 Pot Limit ou encore le Poker 5-card draw, plus communément appelé poker fermé. Les derniers tournois distribueront encore de nombreux points, avec bien sûr le Main Event.

« Ça va me faire bizarre de jouer qu’avec deux cartes et d’attendre des heures en foldant » commente le joueur. Après tout, il ne manque plus qu’une perf dans la plus classique des variantes, pour parachever le feu d’artifices Rodrigues.

Le nouveau Isildur1

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Fini les parties nosebleed et les pots à sept chiffres sur Full Tilt Poker. Désormais, "Isildur1" n'est rien de plus que Viktor Blom, un ex-petit génie reconverti en grinder de tournois de variantes aux WSOP. Et malgré des résultats mitigés depuis le début de l'été, le potentiel semble exister...

Ces WSOP 2023 fourmillent de légendes du poker live. En revanche, on ne retrouve que de rares spécimens issus des plus grosses parties online de la fin des années 2000, les fameuses nosebleed. Mais si on s’attendait tout de même à croiser Matthew Ashton ou encore Phil Ivey, on ne pensait pas pouvoir observer durant aussi longtemps celui qui a sans doute été la plus grande révélation de l’histoire du poker à cette époque inscousciante du poker online, avant le Black Friday : Viktor Blom, alias le mythique « Isildur1 ».

Souvenez-vous : le Suédois avait dynamité ces parties de cash-game high-stakes de Full Tilt Poker, où les blindes atteignaient régulièrement les quatre chiffres, que ce soit en Hold’em, en Pot Limit Omaha ou en Mixed Games. Isildur avait ainsi gamblé des centaines de milliers de dollars lors de sessions marathons contre les meilleurs joueurs de l’époque, se faisant une spécialité des swings de mutant qui l’avaient finalement menés à sa perte. Par la suite, Full Tilt Poker ayant fermé, Blom avait continué à jouer, sur une room au pique rouge notamment, mais à des enjeux moindres.

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Mais ces dernières années, le natif de Rånäs semble avoir changé son fusil d’épaule. Finies les nosebleed : on l’avait surtout aperçu sur quelques événements live d’un autre opérateur de jeux en ligne, dont il était brièvement l’ambassadeur. Ses principaux fait d’armes ? Plusieurs places payées à l’EPT Prague 2019, le dernier avant la vague Covid, et d’autres sur des événements WSOP online. Mais s’il avait déjà effectué le pélerinage à Vegas pour les Championnats du Monde 2022, Blom ne comptait aucun résultat sur sa fiche Hendon Mob depuis trois ans maintenant.

Sauf qu’en 2023, il a visiblement décidé de remédier à cela : depuis le début des WSOP, on l’a vu souvent assis aux tables des tournois. Mais pas celles des High Rollers à cinq ou six chiffres de buy-in joués en No Limit Hold’em, non. Pas même sur un bon vieux Pot Limit Omaha à 25 000 $, la variante où il avait rasé Tom Dwan à son apogée. Non, c’est bien sur les Mixed Games qu’Isildur1 semble avoir décidé de se refaire une réputation. Durant ces WSOP, il grinde ainsi les tournois de variantes : Razz Championship, Stud Hi-Lo, le tournoi de 9-Game Mix à 3 000 $ (où il a pour l’instant signé sa seule place payée du festival) et même le Poker Players Championship à 50 000 $, dont il avait fini 14e en 2012, il y a onze ans de cela (ouf, on commençait à se demander s’il possédait encore une bankroll). Mais alors, que fait donc Viktor Blom dans ces fields ultra-spécialisés ? « Je crois qu’il est staké par quelqu’un, mais je ne suis pas sûr », renseigne le vice-président français des WSOP, Gregory Chochon. En tout cas, il a l’air beaucoup mieux qu’il y a deux ans !"

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Un nouveau Viktor Blom, comme nous le confirme Julien Martini, l’un des seuls Français à Vegas jouant régulièrement les mêmes tournois que le Suédois, et qui le connait bien. « C’est un super mec, il aime bien le poker. Même pour grinder moins cher, des tournois entre 500 $ et 5 000 $ grosso modo. Au dessus, il vend de l’action. » Isildur1 semble donc déterminé à reconstruire une bankroll, en suivant les règles de gestion qu’il envoyait balader il y a 15 ans de cela. « Il repart du bas, poursuit le détenteur de quatre bracelets WSOP. Cela fait quelques années maintenant qu’il fait ça. » Si de l’aveu de Julien, Blom est un « solitaire », il semble en tout cas avoir retrouvé sa place au milieu des meilleurs joueurs de poker de la planète. Et donc, il n’est plus seulement un expert du Texas Hold’em et un degen de l’Omaha : « C’est un très bon joueur sur les jeux de Draw, notamment en Deuce To Seven Triple Draw », continue Julien. Je le trouve aussi assez fort en Omaha Hi-Lo et en Hold’em. Il est peut-être un peu moins bon sur les jeux de Razz et de Stud. Mais il reste un excellent joueur de manière générale."

Mais le passé ne sera jamais effacé : « J’ai une anecdote, raconte Julien. A la belle époque d’Isildur, il était tellement fort en Deuce to Seven que les joueurs allemands payaient des fortunes pour qu’il s’enregistre lors de ses sessions, et qu’il envoient ensuite les vidéos après coup. Bon, ils avaient écrit un contrat qui stipulait qu’ils ne pouvaient pas du tout jouer contre lui. En Deuce to Seven en tout cas, il est vraiment reconnu comme étant l’un des meilleurs joueurs jamais vus, peut-être au même niveau qu’Alexandre Luneau. »

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Sur ces WSOP, Blom n’a en tout cas pas fait étalages de ces compétences, en tout cas de par ses résultats, et montré qu’il pouvait rivaliser en live avec les dizaines de grands spécialistes de variantes. Blom, peut-être aussi un nom à ajouter à la liste des « meilleurs joueurs sans bracelets » encore en activité, même s’il a beaucoup moins joué à Vegas que les candidats de ce listing. Et si un jour, Blom remportait finalement sa première breloque sur un anonyme tournoi de H.O.R.S.E à 1 500 $ ? En tout cas, il sera au Day 2 du PLO8 Championship ce lundi. Pour un premier vrai deeprun ?