Conclusion (provisoire) de toute beauté
Tout le monde avait en tête la dernière journée des WSOP 2008. Ce n’est qu’à trois heures du matin, après quinze heures de partie, que Dean Hamrick avait quitté le podium ESPN, éliminé en dixième position. Sur le banc de presse, on s’attendait donc à une longue nuit.
Mais non. Il n’aura fallu qu’un seul niveau de deux heures après la pause-dîner pour que l’on passe de 14 à 9 joueurs, et que se terminent ainsi notre été aux World Series of Poker. Ben Lamb, Billy Kopp, Jamie Robbins et Jordan Smith ont sauté les uns après les autres sans que l’on ait trop le temps de se rendre compte de ce qui se passait. L’élimination la plus fumante fut sans aucun doute cette de Kopp, qui, après avoir été dominant chip-leader tout au long de la journée, a tout simplement choisi de jouer un pot gigantesque avec une petite couleur sur un board dangereux.
A 23 heures, la dernière main était donnée sur le podium ESPN. Eric Buchman a payé une énorme sur-relance de Jordan Smith avec une paire de 8, et tout l’argent est parti sur le flop [8c][4d][2d]. Le vainqueur de l’épreuve 36 venait de se faire craquer sa paire d’As. Les gradins, remplis à ras-bord, se soulèvent : on tient les « November Nine ». Un moment électrique. Chaque camp hurle les noms de leurs favoris respectifs : les anglais pour James Akenhead, les français pour Antoine Saout, etc, etc.
C’est le foutoir. Les journalistes assaillent les finalistes, dont les portables n’arrêtent pas de sonner. Seul Phil Ivey reste de marbre, puis finit par décrocher un sourire, enfin. Une heure plus tard, le meilleur joueur du monde fera son entrée dans la Bobby’s Room du Bellagio, sous les acclamations de ses pairs. Il mettra son nom sur la liste d’attente, avant d’aller prendre un repas bien mérité.
Je vais à la rencontre d’Antoine. Un téléphone dans la main, l’autre sur l’oreille. Les américains veulent lui parler. Son anglais est loin d’être parfait. Je sers d’interprete pour une, deux, trois, quatre interviews. ESPN, Card Player, Bluff Magazine, le Las Vegas Review Journal…
On réunit les joueurs autour de la table finale pour la dernière photo de l’été. Des blocs de billets de 100 dollars recouvrent la surface du tapis. Le bracelet le plus convoité de la planète trône par dessus.
Qui sont les neuf joueurs qui reviendront le 7 novembre pour disputer la table finale du Main Event des WSOP ? A tout seigneur, tout honneur : le chip-leader Darvin Moon nous vient de la campagne. Il ne joue jamais au casino, et encore moins en ligne, se contentant d’une partie hedbomadaire dans un club d’anciens combattants local. Incroyable, mais vrai. On tient le nouveau Chris Moneymaker/Dennis Phillips de 2009. J’ai entendu plusieurs échos peu flatteurs concernant son niveau de jeu. Mais qu’importe.
Jeff Shulman est le patron du magazine de poker américain Card Player. Un personnage pas franchement sympathique, pour tout vous avouer. En 2006, sa compagnie possédait l’exclusivité des droits de couverture des WSOP. Leur travail avait été unanimement critiqué par le public et le reste de l’industrie. C’est ainsi que l’année suivante, Harrah’s donnait sa chance au principal concurrent, Bluff Magazine, qui est resté en place depuis. Shulman ne l’a jamais digéré, annonçant ce matin même que s’il gagnait le bracelet, il le « jetterait dans la première poubelle venue. » Illustration directe : quand le photographe des WSOP a demandé aux neuf finalistes de prendre la pose en tendant le bras vers le bracelet, Shulman a simplement posé la main sur un des blocs de cash posés devant lui, en signe de refus. Pas un très bon exemple pour un patron de magazine, censé promouvoir le poker. Voyons s’il changera d’avis dans les trois prochain mois.
James Akenhead est le nouveau héros du poker anglais. Un joueur respecté, au palmarès déjà bien fourni malgré son jeune âge. Son meilleur résultat : une seconde place dans un tournoi de No-Limit lors des WSOP 2008, victime d’un bad-beat sur la dernière main contre Grant Hinkle. Comme d’habitude lorsqu’un anglais fait un résultat, Neil Channing possède un pourcentage d’Akenhead. Channing, l’un des seuls joueurs du circuit à gagner plus d’argent en stacking plutôt qu’en jouant.
Eric Buchman, Steven Begleiter, Joe Cada, Kevin Schaffel : inconnu au bataillon. Mais les trois prochains mois seront largement suffisants pour faire leur connaissance.
Phil Ivey… Que dire qui n’a déjà été dit ? Je veux dire : Phil Ivey, quoi ! Le plus gros joueur de cash-game du monde. Et en passe de devenir le meilleur joueur de tournoi du monde, ayant gagné ses sixième et septième bracelets cette année avec une facilité déconcertante. Une victoire au « Big One » lui donnerait tout simplement l’immortalité pokérienne. Et puis, soyons clairs : sa présence en table finale est la meilleure chose qui soit arrivée au poker depuis des années, peut-être même depuis la victoire de Chris Moneymaker il y a six ans. Une forte audience est garantie lors de la diffusion de l’émission sur ESPN en novembre prochain.
Et enfin… Notre héros français du jour, et des trois prochains mois : un jeune joueur de 25 ans venu du Finistère, professionnel depuis dix mois à peine, et qui, pour le premier tournoi majeur de sa vie, a tranquillement passé tour après tour durant huit jours, et devient ce soir le second français de l’histoire du Main Event a atteindre la table finale. On peut dire sans trop risque de se tromper qu’Antoine Saout sera infiniment plus médiatisé que Marc Brochard, dont la performance date de 1998. Oui, on a pas fini d’en entendre parler de ce joueur discret et humble. Il ne sait pas encore ce qui va lui tomber dessus.
Quelle fin pour ce Main Event 2009, définitivement le plus excitant qu’il m’a été donné de couvrir, avec les « deep runs » de plusieurs excellents joueurs français (Benyamine, ElkY, Fabrice Soulier, François Balmigère, Ludovic Lacay du Team Winamax), l’emergence de talentueux amateurs (Loic Degrou et Julien Brécard), et, pour finir, la plus belle conclusion qui soit avec l’accession en table finale de l’un des notres.
Je ne pensais jamais dire ça, mais je suis un peu frustré que tout se termine ce soir. Vivement le mois de novembre !