Des styles différents pour un même résultat
Deux pros Français n'ayant que peu de choses en commun se qualifient pour les demi-finales
Reprise de la partie mercredi à midi (21h en France)
WPT World Championship 10 400 $ (Fin du Day 5)
« Mais dites-moi, vous les Français, vous faites comment pour être aussi bons au poker ? »
À cette question, posée en fin de journée par un joueur britannique, on a répondu par un sourire et un haussement d'épaules. On aurait certes pu développer sur le sujet pendant une ou deux heures… mais le temps nous manquait : il nous fallait célébrer l'accession de deux compatriotes en demi-finales d'un tournoi déjà entré dans l'histoire, avant même d'être terminé.
Les 40 millions de dollars promis sur l'édition 2023 du WPT World Championship - la plus grosse dotation garantie de l'histoire sur un tournoi - ont rameuté au Wynn des milliers de joueurs de toute la planète poker. Au milieu de ces pros et amateurs enthousiastes venus du Japon, de Corée, de Chine, d'Inde, de toute l'Amérique du Sud, des pays de l'Est et de l'intégralité de l'Europe, la déception aurait été grande de ne pas voir tenir la distance des représentants du clan français, que l'on estimait en début de tournoi à une soixantaine de membres.
Grâce à Maxime Chilaud et Raphaël Blouet, la mission est accomplie. Ils sont jeunes, ils sont pros, ils se sont formés sur Internet… mais les comparaisons s'arrêteront là, car pour le reste, les deux n'ont que peu en commun. Le premier joue à son meilleur niveau sur les tournois live les plus deepstack, ceux qui s'étalent sur d'interminables journées (le Main Event des WSOP en tête). Le second s'est spécialisé en ligne dans un célèbre format de Sit&Go turbo à jackpot inventé par Winamax, et joue aussi en cash-game à très hautes limites.
Aujourd'hui, au sortir d'une journée où les enjeux financiers ont grimpé en flèche pour atteindre des centaines de milliers de dollars, on leur accordera tout de même un point commun pas du tout anodin : la zénitude et la maîtrise avec laquelle ils ont géré leur journée.
Qualifié parmi les 16 derniers joueurs avec le deuxième plus gros tapis (38,2 millions), Maxime Chilaud n'a jamais quitté les cimes du classement aujourd'hui... ni ce que les anglais appellent "the zone". Concentré mais flegmatique, focus mais pas stressé, ses 4-bets et bluffs parfaitement calibrés ont réussi à faire tourner en bourrique des concurrents qui en ont pourtant vu d'autres,
Chris Moorman en tête. "
Il faut être détaché", sourit-il comme si c'était facile. "
Dans la vie, je suis quelqu'un de naturellement calme. J'arrive à faire abstraction de l'enjeu." Y compris quand celui-ci dépasse les 5,5 millions de dollars...
C’est dès le début de sa carrière de joueur que l’on avait rencontré le Rouennais, il y a dix ans, lorsqu’il avait atteint la table finale de la deuxième édition du Winamax Poker Tour. « En 2013 j’avais 18 ans, je venais de commencer », se rappelle-t-il à propos de cette cinquième place prometteuse au cercle Clichy-Montmartre. Aujourd’hui, Maxime a délaissé les tables online pour se concentrer presque exclusivement sur le live. « J’ai fait une grosse perf il y a trois ou quatre ans. Derrière, j’ai perdu la motivation à rester devant l’ordi. Bien sûr, je continue de lancer les grosses séries, mais je préfère vraiment le live. » De préférence le live qui dure longtemps, en témoignent ces quatre deep-runs sur le Main Event des WSOP entre 2015 et 2022 : 449e, 211e, 566e et 189e, à chaque fois devant des milliers de joueurs.
Un facteur qui démarque Maxime de nombre de ses collègues pros : il joue toujours à 100 % de son action, sans aide extérieure. « J’ai du être stacké trois ou quatre fois dans ma carrière, maximium », dit l’ancien londonien, depuis retourné à Malte après le Brexit. « Mon raisonnement, ça a toujours été : si tu n’as pas l’argent pour jouer un tournoi, alors il vaut mieux ne pas le jouer. » Au vu des enjeux du tournoi dans lequel il n’a désormais plus que 15 joueurs à battre, d’ici à 48 heures il se pourrait bien que Maxime n’ait plus jamais à se poser la question « In ou pas in ? ».
Autre jeune cador du poker français, mais aux contours bien différents. À 31 ans,
Raphaël Blouet pratique lui aussi le poker depuis sa majorité, mais en ayant emprunté un autre chemin. Malgré une première ligne Hendon Mob acquise en 2014, le joueur de Loire-Atlantique n'est jamais devenu un reg en live. "
Je crois bien qu'entre 2015 et 2018, je n'ai pas joué un seul tournoi live." Lancé en 2014, le format Expresso est pour beaucoup dans le choix de Raphaël de rester devant son ordi. "
En 2023 j'ai joué deux festivals : Chypre et celui-ci. D'ailleurs, Chypre était annonciateur d'un début de good run : j'ai sauté de tous les tournois... mais dans le Mystery Bounty j'ai ouvert une enveloppe à 25 000 $ !"
C’est avec une revanche à prendre que Raphaël est arrivé à Vegas la semaine dernière. Il fêtait l’anniversaire de sa place payée sur l’édition précédente du WPT World Championship. « J’avais monté un gros stack… que j’ai un peu balancé ! C’est quelque chose que je ne voulais absolument pas reproduire. »
Avec un palmarès live ne dépassant pas les six lignes et 50 000 $ de gains, comment Raphaël fait-il pour garder la tête haute sur un gros 10 000 $ ayant rassemblé les meilleurs de la discipline ? « En vérité, il n’y a pas tant de joueurs que ça qui ont joué aussi cher que moi. Mes plus grosses limites, en cash-game, c’est 100$/200$. Donc, je ne suis pas complexé. Et puis, j’ai confiance en moi. J’ai ce truc qui me permet de me dire ‹ Je suis le meilleur ›. Je sais que ce n’est pas vrai, hein ! Mais j’arrive à m’en convaincre. »
Raphaël entamera les demi-finales en bas de tableau : son tapis de 26 blindes le place en quatorzième position. La faute à une paire d’As craquée par un joueur identifié comme « foufou », John Richards. « C’est le genre de mec qui disait à table que s’il gagnait les 5,7 millions, ça ne couvrirait pas ses pertes en paris sportifs ! » Face à une relance UTG de Raphaël, Richards a opté pour une défense de blindes avec J-2 off, et a été récompensé par deux Valets au flop… puis un 2 rivière. « Heureusement, il n’a pas misé très cher à la fin, j’ai snap-call. Mais contre un joueur comme ça, que je pouvais « value » à mort, en relançant les As préflop j’espérais évidemment que les choses tournent autrement. »
Fondateur d’une école de poker spécialisée dans les Expresso, Raphaël est aujourd’hui en train de se fabriquer un multiplicateur bien supérieur à tous ceux qu’il a pu jouer en ligne. Mais en cas d’élimination, ne comptez pas sur lui pour errer dans les couloirs du Wynn. « Je n’ai pas encore changé mon avion, il est prévu demain soir. J’ai un petit garçon de 3 ans ans et demie, une femme enceinte… Je veux partir le plus vite possible. » C’est vrai : malgré les décorations qui inondent le Strip de Las Vegas, ce WPT World Championship nous ferait presque oublier que Noël arrive.
Benjo
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