Amusez vous !
Lorsque j’ai organisé mon premier tournoi de poker, dans le salon familial de mes parents (convenablement absents pour le week-end), et parmi la quinzaine de joueurs présents pour ce qu’on avait nommé le ‘Lille Poker Open’, il avait quatre mecs qui avaient fait le déplacement en bagnole depuis Paris. Aux alentours de cinq heures du mat, l’un d’entre eux était le dernier oueur possédant encore des jetons : son premier prix représentant quelque chose comme quatre-vingts balles. On a bu le café, ils ont fait le trajet en sens inverse, et lorsque j’ai organisé le second Lille Poker Open, ils sont revenus. Quelques mois plus tôt, c’est moi qui faisais le trajet inverse, débarquant sur les Champs-Elysées dans la 205 pourrie de mon pote Fabien, le seul joueur de poker que je connaissais en 2003, normal, c’est moi qui lui avais appris les règles pendant un cours de macro-économie séché au bistrot du bâtiment de mathématiques de la fac. On avait mis notre plus belle chemise, pantalon et chaussures de ville, puis montré patte blanche aux videurs postés devant la porte marquée du numéro 104. C’était la première de nombreuses visites à l’Aviation Club de France, c’était un tournoi à 10 euros l’entrée avec des recaves, on devait se donner nous mêmes les cartes, les salons cossus du cercle étaient pleins à craquer de joueurs amateurs comme moi, venus de toute la France, j’étais tellement intimidé en voyant passer ces joueurs à gros cigare que je reconnaissais pour les avoir vus dans les DVD pirates du World Poker Tour qui circulaient sous le manteau parmi les membres du ClubPoker, je tremblais en mélangeant le paquet, et chaque fois que c’était mon tour de distribuer, il y avait fausse donne. Par la suite, j’ai pris la voiture à de nombreuses reprises pour aller jouer au poker, à Bruxelles, à Calais, à Valenciennes, à Reims, je me tenais au courant de ce qui se passait dans ce milieu amateur encore balbutiant mais déjà bouillonnant de passion et de motivation. Je ne gagnais que rarement, je ne rentrais jamais dans mes frais, on se partageait les pleins d’essence et les péages, dans le coffre il y avait une glacière avec des sandwiches et des bières. Avec les potes, on se levait à cinq heures du mat afin d’être à temps sur les Champs pour disputer le tournoi du matin de l’ACF, il coûtait cinq euros, c’était un satellite pour un satellite pour un satellite pour un satellite pour jouer le World Poker Tour, je n’ai jamais été plus loin que la première étape, mais je portais toujours ma plus belle chemise, et vers dix heures je n’avais plus rien à faire, alors je posais toute ma fortune en cash-game Dealer Choice, 30€ aux blindes 2€/2€, je me souviens que la première fois il y avait Fabrice Soulier à côté de moi, on s’est tous les deux retrouvés à tapis avec As-Roi sur un coup de Hold’em, un troisième mec qui avait l’air de celui qui passe sa vie dans les cercles de jeu m’a payé dans le noir (« A ce tarif, tu mérites même pas que je regarde mon jeu »), et m’a battu avec son Roi-10, je me souviens que Fabrice a pris un air désolé et m’a fait un petit sourire, je me suis levé et je suis parti. C’était le temps où je ne connais personne qui jouait au poker autour de chez moi, alors j’apprenais les règles à tous mes potes, et on se retrouvait toutes les semaines et soudain, comme du jour au lendemain, tout le monde jouait au poker et très vite, on était vingt, trente, cinquante, cent à se rassembler le samedi. J’ai joué des parties dans des club-house de chasseurs au bord d’un lac, dans les bureaux d’une start-up vides le week-end, et puis quand les Renseignements Généraux ont commencé à mettre le nez dans les affaires des ces passionnés jouant des parties à dix euros tous les week-ends, on a fait profil bas, et quelqu’un a trouvé une idée géniale pour se rassembler à cent joueurs sans avoir à utiliser un lieu public : le Shootout délocalisé. 10 joueurs se rassemblant chacun dans 10 appartements tout partout dans Lille, et le soir, les 10 gagnants se retrouvent pour la finale. Sac de couchage sous le bras, j’ai pris le train pour aller jouer à Chambery ou à Marseille, des week-ends entier sans vraiment dormir, des cash-game à 2€ la cave à l’entrée mais on pouvait se recaver à hauteur du plus gros tapis, j’ai vu des mecs y perdre des centaines d’euros sur des coups de Omaha High-Low à 5 cartes. J’ai joué les qualifs en ligne pour les premières saisons de l’EPT, à cette époque on avait juste besoin de miles pour s’inscrire, parfois j’étais en finale mais c’était un winner take all, et je ne gagnais toujours pas, une fois, après six heures de partie je me suis retrouvé en heads-up pour un ticket World Series of Poker, mais j’ai fini deuxième et il était sept heures du matin, je suis descendu dans le salon, tout blanc, mes parents prenaient le petit dej’ avant d’aller au boulot, je leur ai raconté mes malheurs et ils m’ont rétorqué que si ça continuait, j’aller foirer mes études et ils n’avaient pas tort.
Et maintenant, alors que le troisième tour de la finale du Winamax Poker Tour va débuter, je songe au chemin parcouru par le poker amateur, et je frissonne par procuration en pensant à ces dizaines de passionnés qui vont tenter aujourd’hui de rentrer dans les places payées de leur premier gros tournoi en live.
Vous êtes 219 sur la ligne de départ, rescapés d'un field qui en comptait 1,306 au total. 179 d’entre vous vont écrire leur nom au palmarès du WiPT aujourd'hui.
Je vous souhaite bonne chance, et je vous souhaite surtout de prendre du plaisir. Il y a de ces activités qui peuvent vous faire vivre des moments dont on se rappellera toute sa vie. Le poker est de celles-là. Vibrez. Tentez. Jouez. Profitez !
Benjo