Siège 3 : Mark Newhouse
Tapis : 7,350,000 (huitième position, 18BB)
Origine : Chapel Hill (Caroline du Nord, Etats-Unis) Réside désormais à Los Angeles (Californie).
Âge : 28 ans
Profession : Joueur de poker, ancien étudiant à l’université d’Appalachian State (Caroline du Nord)
Statut : Professionnel depuis 2005/2006
Gains en tournoi live (avant le Main Event) : 2,004,276$
Twitter : @mark_hizzle
Profil
Avoir du succès au poker… Quelque chose d’à la fois extrêmement difficile et hasardeux, dans un univers où chaque belle histoire est l’arbre qui cache une forêt de déceptions. Beaucoup d’appelés, très peu d’élus, et même pour ces élus, le succès ne signifie pas pour autant le bonheur. Demandez à Mark Newhouse qui, à 28 ans à peine, fait figure de survivant dans ce milieu carnassier où le bord de la falaise n’est jamais bien loin. Loin d’un JC Tran ayant gagné de manière régulière tout au long de sa carrière, loin d’un Amir Lehavot, arrivé au poker sur le tard après une belle carrière d’ingénieur, et surtout loin d’un Ryan Riess, lancé comme un boulet de canon sur le devant de la scène alors que sa vie d’adulte vient à peine de commencer; Mark Newhouse est le seul des finalistes ayant goûté non seulement au succès dans le poker, mais aussi à son amère gueule de bois.
L’histoire de Mark Newhouse commence de manière classique il y a une dizaine d’années : en plein boom post-Moneymaker, toute l’Amérique chope la fièvre du poker en ligne et Mark, alors tout juste entré à l’université, se crée un compte sur PartyPoker, leader mondial de l’époque. C’est une période rêvée pour prendre au sérieux les subtilités du Texas Hold’em : les tables sont remplies jour et nuit, il y a de l’argent à se faire pour qui est prêt à y mettre les heures et le travail. “J’ai tenu deux semestres à la fac”, explique Mark à ESPN. “Le second, je n’ai quasiment fait que jouer. Sur une période de deux mois, j’ai gagné plus de 100,000 dollars.” Un rush qui convaincra Mark de plier bagages, quittant son dortoir de Caroline du Nord pour Los Angeles, ses plages, ses palmiers, et surtout son Commerce Casino, la plus grande salle de poker du monde.
A cette époque, le terrain de jeu préféré de Newhouse est le cash-game en Limit Hold’em. En ce sens, cela fait de lui un joueur résolument old-school malgré son jeune âge : il faut savoir qu’aux Etats-Unis, les tournois ne constituent qu’une mode récente, et le cash-game en Limit a été jusqu’il y a une dizaine d’années LE format de poker le plus répandu de New York à LA, fabriquant des générations entières de pros, depuis les “fonctionnaires” des petites tables à 5$/10$, jusqu’aux superstars du Big Game du Bellagio, où les enchères sont parfois montées aussi haut que 50,000$/100,000$.
C’est un fait historique : la popularité du poker a culminé aux Etats-Unis entre 2005 et 2006. Une période dorée où les sites de poker en ligne ouvraient toujours plus de tables, où tous les casinos de Vegas ouvraient ou agrandissaient leurs salles de poker, où les tournois live aux cagnottes se chiffrant en millions poussaient comme des champignons. Tous les joueurs de cash-game se mettaient aux tournois, alléchés par la taille inédite que prenaient les prize-pools, tandis que les gagnants des dits tournois ne manquaient jamais d’aller se délester d’une partie de leurs profits en cash-game, à des tables où ils étaient loin d’être au niveau. Bref, tout le monde voulait jouer, et tout le temps : Mark Newhouse était au bon endroit au bon moment.
A Los Angeles, les choses se passent bien pour lui : Newhouse grimpe les échelons à toute vitesse, gagne beaucoup d’argent, et s’installe durablement aux tables de Limit du Commerce, jouant parfois aussi cher que 800$/1,600$ (cela correspond à des blindes 400$/800$). Les WSOP 2006 arrivent : personne ne le sait encore, mais ce seront les plus gros de l’histoire avec plus de 8,700 inscrits au Main Event. Newhouse reste cependant à l’écart du cirque du Rio : c’est pour tables de cash-games du Bellagio, rendues juteuses par le voisinage des WSOP, qu’il a fait le voyage. Cela ne l’empêchera pas d’atteindre la finale du tout premier tournoi de sa vie (5e dans un Limit à 3,000$) et de participer au Main Event.
En octobre de cette année, Newhouse prend l’avion jusque Atlantic City. La Mecque du poker de la côte Est accueille une grosse étape du World Poker Tour à 10,000 dollars l’entrée. Comme d’habitude, Newhouse est fixé sur le cash-game, mais s’inscrit tout de même au tournoi parmi 544 autres joueurs. Il traitera l’épreuve par dessus la jambe, songeant à “balancer” ses jetons à plusieurs reprises, pour finalement… la remporter ! Sur la photo souvenir, Newhouse affiche un sourire incrédule, liasses de billets en main. Ce sera son dernier sourire en public avant de longues années.
Car la lune de miel sera brève, trop brève : Newhouse dégringolera la montagne aussi vite qu’il l’avait gravie. Revenant à Los Angeles enrichi de 1,5 millions de dollars, Newhouse plonge la tête la première dans des parties de plus en plus chères. Il perd de l’argent, prête de l’argent qu’il ne reverra jamais, monte de limite pour “se refaire”, perd encore, joue mal, fait la fête trop souvent, pour finir par sombrer complètement. “J’ai vraiment commis toutes les erreurs qu’il était possible de commettre”, dira t-il avec le recul.
C’est ainsi que trois mois après son sacre au World Poker Tour, la rumeur chuchote sur Internet que Mark Newhouse serait déjà ruiné. Dur retour à la réalité pour Newhouse qui, une fois les impôts payés sur sa victoire, se rend compte qu’il vient d’engloutir près de 2 millions de dollars en trois mois. Pire : bientôt, il sera endetté jusqu’au cou, après avoir commencé à cramer l’argent des autres une fois qu’il en avait eu fini avec le sien.
21è siècle oblige, les tourments de Mark Newhouse ont été étalés au grand jour en quasi direct sur Internet, la communauté poker Américaine commentant jour après jour sa descente aux enfers avec une goguenardise macabre. Fouillez un peu les tréfonds de l’Internet, et vous trouverez des traces de cette déchéance 2.0, où l’on devine entre les lignes un Mark Newhouse insouciant comme le sont tous les gens de son âge, un peu paumé, très naif et prêt à croire les yeux fermés des discours de fréquentations dont l’intérêt était surtout pour son porte-monnaie.
Sept ans plus tard, Mark Newhouse commence à peine à sortir du trou qu’il s’était lui-même creusé, mettant derrière lui le cadeau empoisonné que fut son triomphe prématuré à 21 ans. Désormais plus calme, plus posé, et aidé par des amis joueurs comme Huck Seed et Joe Cassidy, Newhouse s’est patiemment reconstruit au cours de ses dernières années, apprenant à mieux gérer sa bankroll, remboursant petit à petit ses dettes, et continuant de grinder les tables du Commerce Casino. Encore aujourd’hui, la rumeur lui prêt des dettes de stacking affolantes, certains n’hésitant pas à affirmer que seule une victoire au Main Event lui permettrait de rembourser tous ses créanciers. Interrogé sur le sujet par votre serviteur lors d’une rencontre fortuite, Newhouse a balayé ses allégations d’un revers de la main : “Je ne vois pas comment je pourrais avoir accumulé des dettes en stacking puisque je n’ai joué que trois ou quatre tournois par an ces dernières années. Et mes stackeurs pour le cash-game sont très contents jusqu’à présent.” Newhouse nous a aussi révélé qu’il possédait 50% de son action dans ce Main Event.
Parcours dans le Main Event
Avant-dernier au classement au départ de la table finale, Mark Newhouse a effectué un parcours tumultueux, connaissant des hauts et des bas durant les sept journées de compétition. Il faut dire que l’Américain est particulièrement « chaud d’action », comme l’atteste la première main rapportée par PokerNews à propos l’Américain, où il a envoyé un 4-bet avant le flop avec Dame-Valet avant de payer le 5-bet à tapis de son adversaire qui possédait deux Rois. Mark perd alors un quart de son tapis, tombant sous le million de jetons, puis double plus tard à la faveur du plus classique des coin flip : As-Roi contre paire de Dames.
La suite ? Un pot énorme remporté avec Valet-Sept contre Valet-Dix sur un tableau J-3-9-7, lui permettant de grimper à 4,5 millions de jetons en début de Day 6. Mark perd ensuite une succession de pots, dont cette main où il relance avec deux As et que le flop vient [8s][9s][2d]. La petite blinde mise, la grosse relance, et Mark sur-relance à son tour. Ses deux adversaires font alors tapis et il passe sa main après avoir investi presque un tiers de son tapis ! Bonne décision : Mark faisait face à [Qs][2s] et un brelan de 2. Au début du Day 7, Mark figure parmi les plus petits tapis et est sauvé par la rivière lorsqu’il part à tapis avec As-Deux, est payé par les Neufs de Jay Farber, et trouve une quinte à l’issue d’un tableau K-J-10-6-Q.
C’est le début du rush : il va ensuite prendre la quasi-totalité du tapis du chipleader Anton Morgenstern en remportant coup sur coup deux flips avec As-Dame contre 88, puis avec une paire de 2 contre As-Valet. Il devient alors chipleader avec 21 joueurs restants ! Une place qu’il ne va pas conserver longtemps, laissant filer d’innombrables pots de taille moyenne. Durant les trois heures suivantes, il perdra les trois quarts de son tapis et retrouvera le wagon des shortstacks alors que débutent les demi-finales ! Mark prend dès lors la décision de jouer le tournoi “comme un satellite pour la table finale” et s’accroche à son maigre tapis. Il atteint ainsi l’ultime table à dix joueurs avec cinq blindes et demie qu’il parvient à doubler avec As-Six contre le Dame-Quatre de Sylvain Loosli. Quelques vols supplémentaires lui permettent d’être November Nine avec un tapis de 18 blindes. C’est pas beaucoup, mais c’est déjà ça.
Évolution du tapis de Mark durant le tournoi
Au départ du Day 1 : 30,000
Day 2 : 77,075
Day 3 : 110,500
Day 4 : 441,500
Day 5 : 1,611,000
Day 6 : 2,035,000
Day 7 : 5,785,000
Finale : 7,350,000
Ce qu’il a fait ces trois derniers mois
Barcelone, Ibiza, Nice, Monte Carlo, Florence, Regensburg, Munich, Kiev, Chypre, Marbella, Gibraltar, Casablanca, Marrakech, Londres, Manchester, Paris : Mark Newhouse remporte de très loin la course au frequent flier miles durant les trois mois qui ont précédé la table finale, enchaînant les grandes villes touristiques Européennes avec une frénésie de gagnant du Loto. Certes, l’Américain a profité de son long séjour loin de la maison pour jouer quelques uns des tournois programmés à la rentrée de notre côté de l’Atlantique, comme l’EPT Barcelone, le WPT Marrakech, l’EPT Londres (où il se classe en 54e position) et bien sur les WSOP Europe (avec une 12e place dans le Mixed Max Hold’em), mais c’est avant tout des vacances qu’il s’est autorisé après avoir accompli l’exploit d’une vie. Peut-être parce que sa situation actuelle ne lui avait pas permis d’en prendre des vraies depuis longtemps ?
Toujours est-il qu’après une longue période de morosité, Newhouse comptait bien profiter d’une certaine liberté retrouvée, sans laisser la perspective de la finale des WSOP le tourmenter trois mois durant. Peut-être parce qu’il estime en avoir vu d’autres au cours de toutes ces années passées à jouer professionnellement, peut-être que la faiblesse relative de son tapis (18BB blindes) ne l’autorise pas à se voir comme un favori et donc à le mettre sous pression, mais toujours est-il que, de tous les finalistes de cette édition 2013, Mark Newhouse est le joueur ayant consacré le moins de temps à se préparer pour la dernière table. Pas de coach, pas de simulations de la partie avec des potes joueurs, pas de calculs mathématiques savants, et encore moins de tableaux Excel récapitulant tous les scénarios possibles : c’est les mains dans les poches, ou presque, que Mark Newhouse se pointera au casino Rio le 4 novembre prochain.
L’avis de Ludovic Lacay
<< On a pu le voir jouer de manière super agressive avec un stack de taille moyenne durant les phases finales du Main Event, et on l’a vu commettre pas mal d’erreurs mathématiques lors des retransmissions ESPN, ou sur le reportage écrit de PokerNews, ce qui est surprenant pour un ancien spécialiste en SNG et MTT online. Comme par exemple un « cold 4-bet » puis call à tapis avec As-2 et seulement 25 blindes, ce genre de trucs. J’ai pu jouer avec lui lors des WSOP Europe et je ne pense pas qu’il soit un excellent joueur deepstack. Il joue très vite, surement l’héritage des heures passées à jouer en Limit Hold’em en cash-game. >>
L’avis de Benjo
J’avoue avoir un faible pour Mark Newhouse, l’âme tourmentée de cette finale. Un mec qui a connu l’enfer, un enfer qu’il a en grande partie crée de toutes pièces, un mec qui a déjà connu tant de désillusions à 28 ans à peine, et à qui la vie est en train d’offrir une chance de repartir de zéro : l’histoire est belle, on dirait du Rocky, les Américains vont adorer. Je suis intrigué par son approche décontractée de la finale : alors que la plupart de ses huit adversaires ont cravaché dur ces trois derniers mois, lui a pris des vacances, essayant d’oublier le plus possible l’échéance. J’espère en tout cas que ses erreurs de jeunesse sont bel et bien derrière lui et que Newhouse ne sera plus jamais broke. Car en regardant de près, on se rend compte que même une victoire ne le tirerait pas d’affaire, financièrement parler. Déjà, il faudrait retirer d’emblée 30% des 8,3 millions (pour les impôts de l’Oncle Sam), et ensuite amputer la moitié de ce qu’il restera (pour ses stackers. Ainsi, il ne restera plus à Mark Newhouse “que” trois millions de dollars, à peine plus que ce qu’il a réussi à dilapider en quelques mois la dernière fois qu’il a gagné un tournoi ! Et encore, je n’évoque ici que le scénario le plus rose, celui de la victoire, sachant que Newhouse entame la finale avec moins de vingt blindes et des adversaires aussi, voire plus affutés que lui.
Sources
-newsobserver - “Chapel Hill’s Mark Newhouse heads to World Series of Poker”
-ESPN - “Newhouse’s road to redemption”
-Palmarès sur Hendon Mob
-Reportage de PokerNews.com
-ESPN - Diffusions télé du Main Event des WSOP
Benjo, Harper & Kinshu