Le kiffeur et le grinder
Serge Chechin et Vincent Meli se font sans trembler une place à 16 left du titre EPT et du million d'euros. Deux hommes que tout oppose, mais dont l'aventure et la trajectoire se rejoignent étrangement sur ce run pragois. Ils auront chacun leurs armes, et du stack, pour aller chercher un exploit encore bien plus grand.
Après le carnage post-diner break, les deux éliminations nécessaires à la clôture du Day n’ont pas tardé. Toujours aussi “dégen”, Jon Kyte a largement accéléré le processus en envoyant un énorme 5-bet shove avec J
J
sur la tête de de Marius Kudzmanas. Le Lituanien avait parfaitement cerné le profil scandinave et accepté la proposition avec A
K
, pour jouer un flip à 5 million de jetons, le plus gros pot de ce tournoi.
Un choix un peu ambitieux sachant le run du Norvégien depuis le début de journée. Avec ses deux valets, le Scandinave fait full direct sur le flop J
10
10
. Turn 2
, c’est déjà terminé. Après avoir pris deux Rois contre deux As et As-Roi, Marius (photo) perd le flip du tournoi et sort en 18e position.
Tombé à cinq blindes, Teun Mulder perdra ses derniers jetons dans la foulée sur un 60-40 anecdotique contre Cheng Zhao. Il est seulement 22h00, le dernier niveau programmé aujourd’hui n’a même pas commencé et nous voilà déjà à 16 left. La fin de partie est sifflée.
« Quoi, c’est déjà fini ? » s’étonne Chechin, qui a visiblement encore envie de boxer. Son petit check-raise (avec 4
4
) sur un board 2
3
7
face à Dejan Jakovlevic sera effectivement le dernier coup de la table. Un petit pot qui lui permet de boucler la journée juste en dessous des 3 millions de jetons, soit le 4e plus gros stack du tournoi.
Il est bientôt rejoint devant le spot télévisé par Vincent Meli, qui comme Serge, n’a pas eu besoin de jouer un gros coup pour terminer la journée à 2 960 000 jetons. Nos deux héros Français auront donc 60 blindes pour le Day 5.
Vincent et Serge n’ont à priori rien en commun. L’un vit du poker, l’autre est pur amateur. Vincent est joueur de cash, Serge aime les tournois. Meli est un expat’ de Londres, Chechin un entrepreneur du Sud-ouest. Mais en plus de partager cette aventure praguoise, ils se rejoignent par plusieurs aspects.
De manière très pragmatique, on peut commencer par leur stack, les deux joueurs ayant suivi la même trajectoire depuis la fin d’après-midi, montant progressivement des 2 vers les 3 millions.
Mais surtout, ils sont tous les deux en grande confiance, puisqu’ayant tout récemment acquis leur plus grande victoire en Live : Il y très exactement un mois, Vincent Meli remportait l’UKIPT Nottingham, pour 159 325 pounds, un véritable tournant pour lui. Une semaine plus tard, Serge Chechin remportait quant à lui le SPM Main Event, à Rozvadov, devant un field de près de 2 000 joueurs, transformant ainsi 300 € en 85 barres.
Deux victoires qui permettent de recharger la bankroll, mais surtout de faire le plein de confiance, avant de se présenter sur l’un des plus beaux tournois de l’année.
C’est d’ailleurs à la suite de cette victoire que Vincent Meli s’est décidé à jouer son tout premier Main Event EPT. Le dépucelage se prolonge désormais sur un Day 5, à 16 left d’un million d’euros. Vous avez dit “pression” ?
« Quand je suis arrivé en table télé, j’ai senti un peu de stress, confesse Vincent. Surtout que dès mes premières mains, je me retrouve dans un spot avec As-Dame face à un 3-bet. J’ai senti de la force chez l’Espagnol, j’ai préféré passer directement. Il se trouve qu’il avait As-Roi. De manière générale, j’ai plutôt réussi à écouter mon instinct, poursuit le joueur, qui croit peu en la théorie du “one-time”. Ca fait quand même un moment que je joue au poker. J’ai eu des hauts, des bas, mais je ne vois pas ce tournoi comme “mon opportunité”. Si ça doit arriver, ça arrivera et sinon, il y en aura d’autres ».
L’éviction des monstres sacrées sur cette fin de Day 5 a également rassuré le grinder de Londres. « J’ai vu Teun Mulder partir. Avant ça, j’ai vu Steve O’Dwyer partir. C’est bien de ne pas à avoir à jouer contre eux. Il reste encore Niall Farrell, et j’ai vu que contre lui, j’avais parfois du mal à défendre la range que je devrais. Ces gars-là sont impressionnants.
- Moi, j’en ai rien à foutre du nom du mec, coupe Serge Chechin. Il peut avoir 50 millions ou 0, ça change rien. Je regarde son style de jeu, les cartes qu’il montre et je m’adapte.
Récréatif assumé, Serge est venu pour kiffer. Et c’est exactement ce qu’il fait depuis quatre jours maintenant. « Je ne sens aucune pression. Je vais chercher la gagne » lance encore le joueur, loin d’être impressionné par les enjeux. Il faut dire que Serge est déjà passé par là.
Il y a un an et demi, nous suivions déjà Chechin traversant les journées d’un grand tournoi international. Le plus grand de tous même, puisque Serge atteignait le Day 6 du Main Event WSOP. Le revoilà aux portes d’une énorme perf’, sur le plus prestigieux des circuits européens.
Depuis le début de journée, Serge s’est assis aux côtés de tops regs, de grinders affutés, de légendes du jeu, de joueurs dont la connaissance technique est infiniment supérieure à celle de l’entrepreneur sudiste. Et pourtant, il n’y a pas un moment où Serge s’étonne de se retrouver à la table des grands. Il y a toute sa place et la méthode Chechin que nous décrivions dès ce premier coup de la journée face à Jon Kyte montre une nouvelle fois toute son efficience.
Sa capacité à s’adapter, à tronquer les lignes, à changer de rythme, à « zigzaguer » comme il le dit lui même, le rend aussi dangereux qu’imprévisible. Avec ces armes bien à lui, il est en train de frapper un très gros coup, tout en prenant son plaisir. Même dans les duels à haute tension, Serge n’hésite pas à lâcher une petite phrase, à oser une question, un commentaire ou une posture typique de ces joueurs de Live, pour en tirer parfois un petit avantage.
Et quand la tension redescend, il est le premier à faire une petite blague pour détendre l’atmosphère où lâcher un compliment, comme à son nouvel ami Mark Helou, avec qui il a passé toute la fin de journée.
Le Libanais ferme la marche d’un chipcount bien resserré. La moitié des joueurs se situent entre les 40 et les soixante blindes. Marle Spragg a profité de ce set-up inouïe pour revenir au 2 millions, Niall Farrell a pris un dernier 60-40 à vingt minutes du termes pour passer les 2,5 millions, Wagner, O’Neill et Jakovlevic sont dans les mêmes eaux.
Jon Kyte peut avoir le sourire. Porté par une réussite indécente, le Norvégien a littéralement écrasé ce Day 4.
Dans le ciel du tournoi, le Norvégien Jon Kyte (photo) s’est envolé. Un premier flip à 2,5 millions face à Cesar Garcia. Un autre à 5 millions contre Kudzmanas donc. Clairement, les dieux du poker ont choisi leur client aujourd’hui et le Scandinave reviendra avec un tapis colossal de 6,5 millions de jetons, soit 2,5 millions d’avance sur le deuxième, Grigorii Rodin.
Voilà pour la concurrence. « Bon allez, maintenant on va boire une bière ? » lance Chechin. Décidément, Serge n’est pas fini de kiffer.