Le dernier eldorado
Les voyages les plus réussis ne sont pas forcément ceux pour lesquels on s’est le mieux préparé.C’est avec ce genre de mantra (que n’aurait pas renié Coué) que j’occupe mes pensées en attendant l’embarquement du vol 260 pour Hong-Kong. Cela fait des mois que ce trip est dans les tuyaux, mais c’est plus ou moins les mains dans les poches que je me suis pointé à Roissy ce mercredi matin.
Pas au sens propre, entendez. Ma valise est bien remplie : quinze kilos, d’après la pesée au comptoir d’enregistrement, et a priori je n’ai rien oublié d’essentiel pour les deux semaines que vont durer l’excursion. Mais pour le reste, je me sens… léger. Et donc forcément anxieux, comme à chaque fois à la veille de découvrir une nouvelle destination, et de révéler un nouveau challenge. Couvrir la toute première excursion collective du Team Winamax en Asie et explorer la capitale incontestée du continent en matière de jeux d’argent, en l’occurence Macao : c’est le but de mon voyage, et la raison pourquoi laquelle je me me sens un poil plus nerveux qu’avant un énième départ pour Prague, Dublin ou Las Vegas. Là où certains auraient tenté de désamorcer leur anxiété en se documentant en amont, en collectant un max d’infos et de statistiques, en bouquinant, en regardant des documentaires, en parlant à des amis ayant déjà visité la destination, je me suis contenté, jour après jour, de remettre au lendemain la partie « préparation » du voyage, bien aidé il est vrai par l’actualité quotidienne de Winamax, plus chargée que jamais ces temps-ci.
Heureusement, me dis-je en farfouillant dans mon sac à dos, j’ai plus de onze heures de vol devant moi pour potasser le guide de Hong-Kong et des alentours tout neuf acheté à la FNAC il y a déjà plus de deux mois et jamais ouvert depuis. C’est sûr : à l’atterrissage, je serai incollable sur l’ancienne colonie portugaise. Voyons voir ce que dit le guide. Hum, il n’y a qu’une dizaine de pages à propos de Macao. « Si l’on en croit les experts, Macao pourrait bien devenir le Las Vegas de l’Asie à l’horizon 2007. » Bon. Puisque je vous le dis, que je suis à la ramasse : j’ai même réussi à foirer la préparation de ma préparation.
Les voyages les plus réussis ne sont pas forcément ceux pour lesquels on s’est le mieux préparé. Quid de ceux que l’on attendait de longue date ? La première fois que j’ai entendu que le continent asiatique était le prochain eldorado de l’industrie du poker, c’était en 2006. A l’époque, le boom provoqué par une triplette de facteurs désormais inscrits dans les livres d’histoire (popularisation du jeu en ligne, diffusion télévisée d’un nouveau circuit, le World Poker Tour, montrant tout une ribambelle de pros charismatiques, et victoire aux championnats du monde d’un amateur complet, qualifié via Internet, l’incroyablement nommé Chris Moneymaker) avait depuis longtemps dépassé les frontières des Etats-Unis pour atteindre l’Europe. Des centaines de joueurs s’inscrivaient chaque jour sur des sites dont le nombre croissait à vue d’oeil, et chaque semaine, un nouveau tournoi était annoncé dans une nouvelle capitale ou station balnéaire du Vieux Continent. Capitaines d’industrie, entrepreneurs et investisseurs de tout poil voyaient tous la même chose dans leur boule de cristal : le raz de marée allait se reproduire à l'identique à l’autre bout du monde : la prochaine frontière à conquérir serait l’Asie, et ça se ferait là, tout de suite.
Onze années plus tard, le bilan est quelque peu mitigé. Si l’on peut désormais jouer des tournois de poker dans des endroits aussi divers que les Philippines, Singapour, Séoul, le Vietnam ou le Cambodge, et si les recettes des casinos de Macao ont depuis quelques années largement dépassé celles de Las Vegas, le boom tant attendu reste encore à l’état de prédiction. Entre un contexte législatif oscillant, selon les pays, entre une interdiction pure et simple et une zone grise difficilement praticable question marketing, et des cultures locales où des dizaines d’autres de jeux de cartes sont implantés depuis des siècles, pas facile pour notre jeu favori de se faire une place en ligne. Mais des indicateurs récents laisseraient à penser le boom tant attendu pourrait bien être en cours au moment où vous lisez ces lignes. En janvier dernier, le site PokerScout, référence incontestée pour le tracking de l’activité des sites de jeu en ligne occidentaux, commençait à suivre de près le traffic en cash-game d’IDNPoker, un réseau né à Manille il y a six ans. Résultat ? Dès le premier mois suivant le début du tracking, IDNPoker prenait la troisième place au classement mondial de PokerScout, et le mois suivant, il raflait la seconde place à 888poker, se positionnant juste derrière le géant PokerStars. « Le plus grand réseau dont aucun occidental n’a jamais entendu parler », comme l’a surnommé un journaliste d’OnlinePokerReport, a débuté son activité en Indonésie et s’est récemment étendu à la Chine, la Thaïlande, le Vietnam, et la Malaisie, et offre une quantité de formats de poker « locaux » autres que le Texas Hold’em. Même si la grande majorité du traffic cash-game d’IDNPoker se fait à des limites tellement « micro » qu’elles n’existent pas sur les sites occidentaux (de 0,004$/0,008$ à 0,04$/0,08$), la nouvelle a de quoi réjouir tous ceux qui rêvent d’un nouveau boom comparable à celui vécu par l’Amérique et l’Europe il y a dix ans.
Pour qui est du voyage du Team Winamax à Macao, le premier effectué en groupe, disons que l’occasion a fait le larron… Les gars du service marketing de Winamax leur auraient-ils un peu forcé la main en inscrivant au programme du vainqueur de la Top Shark Academy la toute première étape asiatique du PokerStars Championship ? On le sait, ce nouveau circuit est venu secouer la carte du poker live mondial en faisant fusionner tous les circuits emblématiques de PS (European Poker Tour, Latin America Poker Tour, Asia Pacific Poker Tour, etc) en une seule entité globale. Présents sur toutes les étapes du circuit Européen ou presque, et visiteurs réguliers des places-fortes américaines, nos pros ne pouvaient décemment pas laisser Aladin, nouveau Top Shark couronné en début d’année, partir tout seul à Macao. Entre ceux qui n’avaient jamais visité la capitale asiatique du jeu, comme Gaëlle Baumann, Pierre Calamusa ou Guillaume Diaz, et ceux y ayant déjà fait quelques excursions en solo, comme Davidi Kitai, finaliste de deux épreuves High-Roller là bas en 2014, Sylvain Loosli, ou Michel Abécassis, qui l’avait découverte bien avant tout le monde pour des compétitions de bridge, la quasi totalité des forces du Team Pro a répondu présent pour accompagner Aladin.D’ailleurs, voilà Michel qui me tire de ma rêverie, arrivant à hauteur de la porte d’embarquement accompagné d’une vieille connaissance : Cyril André. Retrouvailles : je ne me rappelle plus de quand date ma dernière rencontre avec celui que nous avons tous connu sous le pseudonyme de « Don Limit » à la grande époque des Limpers, ce groupe de jeunes joueurs ayant formé il y a près de dix ans une véritable matrice du poker high-stakes français sur Internet avec Rui Cao, Nicolas Ragot, Sébastien Sabic ou Alexandre Luneau. Si Cyril avait continué de jouer des tournois live au lieu de se planquer dans le relatif anonymat du cash-game hautes limites, son pseudo serait probablement aussi connu aujourd’hui que ceux d’ElkY, Sir Cuts, ou Kitbul. Cela fait maintenant cinq ans que Cyril a pris la décision de s’installer à Macao. Là-bas, son pain quotidien est le cash-game en live, aux blindes 1000/2000 en monnaie locale, autrement dit le dollar de Hong-Kong : divisez par neuf pour obtenir une approximation en euros. Ils ne sont qu’une poignée de pros français à avoir tenté le pari de l’exil à Macao, et les noms de la plupart vous sont inconnus. Là-bas, ils se mélangent à une communauté de high-stakers venus du monde entier, qui fluctue au rythme des visites de ceux qui ont toujours en tête leur prochaine destination, leur prochaine grosse partie. Tandis que Michel et moi partons à l’aventure, Cyril, lui, rentre à la maison après un séjour en famille, et c’est en habitué qu’il nous informe que notre avion arrivera à Hong-Kong bien avant le premier ferry pour Macao. « On arrive à six heures : les premiers bateaux partent de l’aéroport à onze heures. Mais pas de souci : on prendra un taxi pour les terminaux du centre-ville, eux ils seront ouverts. »
Michel demande des nouvelles de Rui Cao, qui passe lui aussi le plus clair de son temps en Asie, désormais. Avec des airs de conspirateur, Cyril nous montre une photo sur son téléphone portable : un selfie du franco-chinois en train de tranquillement jouer aux cartes. Sur la photo, on reconnaît un Phil Ivey tout sourire et, en arrière-plan, Tom Dwan. Cyril refuse de nous dévoiler les sommes que s’échangent ces trois-là, se contenant de nous dire qu'ils jouent à une version sur-vitaminée du Texas Hold’em où toutes les cartes en dessous du 6 ont été retirées. Des parties ultra-privée à propos desquelles on ne peut que fantasmer…
Onze heures plus tard, nous voilà à l’autre bout du monde. Le jour se lève à peine sur Hong-Kong, mais la chaleur et l’humidité sont déjà étouffantes. Comme à chaque fois à la veille d’un grand départ, je n’avais pas fermé l’oeil de la nuit au moment d'arriver à Roissy, et je n’ai guère réussi à me reposer en position assise à 30 000 pieds d’altitude. Pourtant, le repos devra attendre encore un peu : ma chambre d’hôtel ne sera pas disponible avant le début de l’après-midi. Le taxi rouge fonce à travers l’autoroute. On franchit les interminables ponts reliant l'île de Lantau (hôtel de l'aéroport) à celle de Tsin Yi, puis le mainland. Au loin, la fameuse skyline peine à apparaître, les gratte-ciels sont largement masqués par le brouillard et la pollution. Les milliers de containers et grues du port de marchandises défilent devant nos yeux. Rapidement, nous faisons notre entrée dans l’une des métropoles les plus densément peuplées du monde. Malgré la fatigue, je trépigne. Un dernier passage souterrain, puis nous voilà sur l'île principale. Le taxi s’arrête au terminal des ferries en partance pour Macao. C’est là que je laisse mes compagnons de voyage : je dispose de 72 heures pour découvrir Hong-Kong avant d'emprunter la même route pour les rejoindre. Imperméable, semble t-il, au jet lag, Michel compte bien s’inscrire à l’un des premiers tournois au programme du PokerStars Championship dès son arrivée sur l’île. J’espère recroiser Cyril, même s’il n’a pas prévu de jouer de tournois de son côté.Me voilà seul dans un décor totalement inconnu, épuisé mais sans lit pour m’écrouler.
Le chat WhatsApp du Team à Macao (extraits anonymes)
"J'ai 1 point de vie javais un gros qui ronflait à côté de oim." "Je suis au check-in, la femme me dit que j'ai besoin d'un visa..." "Suite à un déraillement nous sommes immobilisés pour une durée indéterminée. Jsuis pas sûre d'arriver moi..." "In ds le 1K. Ca sacoche de malade." "Fml je suis à HK mais les ferries pour macau ont fermé." "Suis à la gym là. Thin brag." "Raise 400 3bet 2500 à ma table." "Les croupiers me parlent en chinois haha" "Ils sont dingos avec le karaoke là." "Faut s'habituer imo ça va être ça tous les soirs." "Elvis : ça te rappelle ta jeunesse ^^" "Bâtard." "Flight delayed de 2h30 j'ai envie de mourir." "Bust. Vous êtes où Michel ?" "Après toutes ces années je pense que tu peux le tutoyer." "Fin du day avec 38000 ce stack de fragile ça fait peur."
A suivre…
Après les déceptions des Bahamas et du Panama, Macao inversera t-elle la tendance ?
52 épreuves sont au programme des onze journées (et soirées) de ce troisième festival « Championship » de l'ère « globale », post EPT, LAPT, APPT, etc des tournois live organisés par PokerStars. C'est dans un contexte incertain pour le leader mondial que débutent les festivités à Macao, car les résultats des deux premiers Championship ont été décevants : 738 joueurs en janvier pour le Main Event des Bahamas, et 366 pour celui du Panama. Dans le premier cas, nous avions affaire à une destination connue des joueurs, dont les qualités et les défauts n'ont plus de secrets pour personne, et dont la fréquentation baisse d'année en année, malgré un prix d'entrée divisé par deux depuis quelques éditions. La seconde destination était entièrement nouvelle, et guère facile d'accès pour les joueurs européens comme pour ceux du continent nord-américains : gageons que si le Panama est appelée à devenir un spot de choix sur la carte du poker mondial, cela ne se fera pas en un jour.La situation de Macao est différente : au cours des dix dernières années, une solide culture poker s'y est développée, avec des tournois organisés régulièrement attirant des joueurs de toute l'Asie et une clientèle grandissante venue d'Europe, d'Océanie et d'Amérique, et surtout une scène high-stakes en ébullition, où les tarifs pratiqués dans les parties VIP n'ont rien à envier à ceux de Las Vegas. Notons tout de même que depuis trois ans, la situation à quelque peu changé : les mesures anti-corruption (avec notamment, un contrôle des changes durci à l'entrée de Macao pour les visiteurs venus de la Chine métropolitaine, où les casinos restent proscrits) mises en place par un président Xi Jinping soucieux d'accroître l'influence de la République populaire sur une région administrativement à part (et au système économique très libéral), dont 70% du revenu provient des jeux d'argent, ont poussé nombre de riches businessmen et autres hauts fonctionnaires chinois à aller risquer leurs espèces (souvent mal acquises) en des terres plus clémentes, comme les Philippines. C'est bien connu : pour un joueur professionnel, une destination n'a de valeur que par la quantité d'argent qu'on peut y gagner, et c'est donc la raison pour laquelle, selon les milieux bien informés, c'est à Manille, et non Macao, que l'on croise désormais des gros joueurs comme Phil Ivey ou Tom Dwan…
On le comprend en filigrane, au vu du climat politique actuel, les jours de Macao comme la « ville la plus pervertie au monde » (pour reprendre les termes d'Orson Welles) sont peut-être comptés, 17 ans après la rétro-cession du territoire à la Chine par les portugais : une grande opération « mains propres », telle que celle connue par Las Vegas dans les années 80, semble être à l'ordre du jour…
Les temps forts du PokerStars Championship Macao
Ne comptez pas sur moi pour vous livrer des récits croustillants des grosses parties de cash-game de Macao : plus encore qu'à Vegas, les riches hommes d'affaires qui hantent le milieu high-stakes chinois chérissent leur anonymat, et les pros qui parviennent (au prix de moult négociations) à s'y faire accepter ne risquent pas de trahir leur confiance. Cependant, je ne manquerai pas de faire un tour du côté des salles de cash-games publiques de la ville, notamment celle du City of Dreams, où se déroule le festival, histoire de voir de quel bois se chauffent les joueurs locaux sur les parties plus abordables.
En ce qui concerne les tournois, nous aurons bien entendu de quoi faire jusqu'au 9 avril… Tous les tarifs indiqués ci-dessous sont en dollars de Hong-Kong (HKD). Sachant que 100HKD=12€, vous pouvez diviser par 9 ou 10 les montants affichés pour obtenir une estimation potable. Entre autres réjouissances, nous aurons l'occasions d'observer :
National Championship (8 800HKD) : du 30 mars au 3 avril
PokerStars Cup (3 300HKD) : du 31 mars au 3 avril
Super High Roller (400 000HKD) : du 1 au 3 avril
Asia Open (5 500HKD) : 2 et 3 avril
Main Event (42 400HKD) : Day 1A le 3 avril, Day 1B le 4 avril, finale le 9 avril
NLHE (206 000HKD) : le 4 avril
PLO High-Roller (82 400HKD) : 5 et 6 avril
High-Roller (103 000HKD) : du 7 au 9 avril
PokerStars Open (2 200HKD) : du 7 au 9 avril
Au départ du Super High-Roller, on devrait retrouver Sylvain et Davidi. Les sept pros du Team présents à Macao seront bien entendu au départ du Main Event. Les chiffres du premier tournoi simili High-Roller de la quinzaine (82 000KHD, soit 10 000€) sont corrects : 94 inscriptions au total, re-entry inclus. La finale va se jouer samedi : on y retrouvera des pros comme Dan Smith, Nick Petrangelo ou Dario Sammartino. Avant cela, la toute première table finale du festival (en conclusion d'un Turbo à 4400HKD) rassemblait deux joueurs français : Daniel Stephan (4e pour 23 770HKD) et Jacques Zaicïk (runner-up pour 41,450HKD).