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Interview de Mathieu Grégoire

Du haut de ses 11 ans, il voit Bjarne Riis triompher sur le Tour de France. Pour lui c’est sûr, il sera journaliste sportif ! Après plusieurs expériences dans différentes rédactions, Mathieu Grégoire couvre aujourd’hui l’actualité de l’OM pour L’Équipe.

Les titres de tes articles sont souvent agrémentés de jeux de mots frétillants. Te considères-tu comme le Ramucho du foot ?

Oh là là, il va falloir te raconter l’imposture alors. Quand j’étais à Libé, comme d’autres collègues, je me faisais parfois féliciter pour les jeux de mots en titres, mais c’est le taf des éditeurs, dans l’ombre, les gars peuvent passer des heures à te trouver le bon titre. Lors de mon premier stage à Libé, en octobre 2007, le chef des sports, Gilles Dhers, me dit : ‘‘Viens avec nous’’. Il fallait trouver un titre de une pour le quart de finale de Coupe du monde entre le XV de France et les Blacks, le lendemain. Six personnes, rédacteurs en chef, éditeurs, reporters, tout le monde cherche, une centaine de propositions, puis l’illumination de Gilles : ‘‘La fièvre du samedi noir’’. Et là, tu es content. Je suis fier d’un titre, à Libération, quand Gignac part au Mexique : « Le dernier coup du sombre héros ». À l’Équipe aussi, les éditeurs sont vifs, je ne sais pas si tu as vu fin décembre : ‘‘Ikoné pas son avenir’’ (qui deviendra ‘‘Ikoné, ses classiques’’ le jour où ce sera un joueur dégrossi). Ce que j’aime, ce sont les petits surnoms, que tu inventes, piques, remodèles : « Mafé Gomis », notre spéciale avec Nabil Djellit quand on va au resto sénégalais le Ziguinchor à Marseille (il y a aussi « Dibiterie Payet »), Louis Gustave ou le sicario, Bouna Sarrinho, Doria l’explorateur, Francesco Thauvin, Anguissa sous roche, Romain Beckhamini (Alessandrini), Maximus Lopez, l’inénarrable Colosse du Cap-Vert, l’Albatros, Karim Rekiki, Diego Kostas Mitroglou, le melon de Cavaillon (je te laisse deviner quel joueur marseillais), Jordan Amaguise… C’est une matière inépuisable, souvent trappée dans les papiers, mais j’avais réussi à placer un « Loucho » Gonzalez dans le Parisien, après une louche divine de qui tu sais, en 2011.

Tu as vécu au plus près l’arrivée de Frank McCourt à l’OM, on t’a même vu dans sa voiture quand il a débarqué le jour de sa présentation ! Raconte-nous la scène...

La vente de l’OM, c’était un truc incroyable. Peu d’infos, beaucoup d’intox, des avocats en fusion-acquisition qui gèrent les dossiers, tu passais d’une analyse sur le jeu flamboyant de Franck Passi (le Passismo) à l’obligation de réapprendre de zéro la notion de garantie de passif. Et pendant ce temps-là, Gunter Jacob se faisait homejacker : l’OM, quoi, tu dois t’hydrater constamment. J’étais à la traîne sur le dossier Lopez, moins sur l’autre. Des sources proches de ce dossier m’avaient promis de m’en dire plus dès que ça se concrétiserait. Le jour de Monaco-Paris-SG, jesuis dans le parking de Louis-II, on me dit enfin : ‘‘N’écris rien, demain, on t’appelle et tu auras tout en primeur.’’ Bon, ok. Le lendemain midi, je fais des steaks, quand mon pote Pierre, grand copain d’Erasmus, dit le Reup, m’appelle. Une fois, deux fois, trois fois… Je l’avais pas vu depuis six mois, il me saoulait un peu sur le coup, le côté sacré du déjeuner, tu vois. Il m’envoie un texto énervé : magne-toi de rappliquer au Pullman Palm Beach. J’ai tilté qu’il bossait pour la boîte de communication Image 7 et j’ai foncé sur la Corniche. Et là, je vois Kyril et Margarita Louis-Dreyfus, Didier Poulmaire, Igor Levin, des dizaines d’avocats, et Frank McCourt, dont Pierre me fait la bio, qui signe de la paperasse. Je suis à deux doigts de faire un tweet façon Momo, mais bon, il y a un embargo, rien avant qu’il n’arrive à la mairie. McCourt doit faire la Provence (mon collègue a rappliqué en short) et l’Équipe, on commence, mais Gaudin attend à la mairie. McCourt me dit : ‘‘Tu montes derrière avec moi, Monica (sa femme) va prendre une autre voiture.’’ Jacques-Henri Eyraud monte devant, en mode garde du corps. La situation est lunaire, alors je demande à McCourt : ‘‘On se fait un selfie pour immortaliser le moment?’’ Et on le fait. Il est sympa, abordable, sait ce dont il ne veut pas encore parler (les Dodgers, l’argent), me montre la photo de sa petite fille, Luciana. JHE peaufine la traduction du discours quand il faut. Vraiment pas l’interview du siècle, mais le sentiment d’être sur les Champs-Elysées avec le futur président de la République, un peu par hasard.

Dix-huit mois après le rachat de l’OM, quel est ton ressenti sur la situation ? Le club est-il sur de bons rails ?

Oui. Alors, quand tu vois les dépenses des grands d’Europe ou des Anglais, tu as l’impression d’être dans un TER plutôt que dans un TGV, mais un TER dernier cri tu vois, pas les vieux wagons que je prenais étudiant pour revenir voir ma famille, de gare d’Austerlitz à Saint-Pierre des Corps. L’OM était arrivé à la fin d’un cycle avec les Louis-Dreyfus, qui n’investissaient plus sur les dernières années. McCourt a vraiment un côté RLD, c’est un homme d’affaires vif, madré, affable et parfois déroutant. Il est resté huit ans aux Dodgers, je ne sais pas combien de temps il restera à l’OM, en tout cas, il ne veut pas investir pendant un siècle, et il veut un club rentable, dans le sens où il récupérera a minima sa mise en le vendant. Contrairement à RLD, qui a investi aussi d’entrée mais a confié les clés et le chéquier à coach Courbis, McCourt a mis en place des hommes plus carrés que flambeurs : Rudi Garcia, Andoni Zubizarreta et surtout Eyraud. JHE, c’est la véritable clé. Comment va-t-il articuler le court terme (Garcia) et le moyen (Zubi) ? Va-t-il réussir à gagner de l’argent et à bâtir, d’ici une grosse année, sans apports du propriétaire et sans tomber dans le trading joueurs comme le souhaite McCourt ? Ce sont des questions intéressantes : depuis Pape Diouf, on n’a pas vu un président de l’OM être dans le vert (sauf Labrune en 2016, mais il avait vendu toute l’équipe, de Michy au jardinier). JHE le DRH restructure l’entreprise OM, qui stagnait, après, c’est du ballon, tu ne maîtrises plus, ou moins. Les résultats sont bons, l’OM a une équipe expérimentée, dense, c’est vraiment le moment de retourner en Ligue des champions pour solidifier le projet. Que tu t’appelles Eyraud, Gérard Lopez ou Jean-Michel Aulas, si tu n’as pas un pays derrière toi, les résultats sportifs sont prioritaires.

Le mercato hivernal vient d’ouvrir, avec son flot de rumeurs farfelues. On a senti Zubizarreta en retrait, peu entendu l’été dernier. Quelles sont les cartes à jouer pour lui cette fois-ci ?

Zubi, honnêtement, je l’attends vraiment sur le prochain mercato d’été, et dans la droite ligne de ce qu’il expliquait au JDD en mai dernier : nous dégoter des joueurs prometteurs qui vont exploser à l’OM avant de finir dans un grand club étranger ou en Premier League. Être enfin dans la prospective, et pas seulement dans l’opportunité. C’est dur à faire sur un mercato d’hiver, un marché d’occasions. Regarde, par exemple Roussillon, Dubois ou Thiago Mendes, des noms cités avec un intérêt avéré de l’OM, vont plutôt bouger l’été prochain. Après, Zubi ne se mettra pas en avant. Il aime bosser en équipe, discrètement, à son rythme, s’il a un ego, il le dissimule beaucoup plus que les autres acteurs du club. Il fait un peu tout, il rencontre même des agents de la fameuse liste noire de JHE. Il écoute, n’est fermé à rien. C’est sa force (il est vigilant quand on lui propose Luiz Gustavo) et sa faiblesse (il travaille des semaines dans le vent sur le dossier du grand attaquant, car le profil n’est pas assez clairement défini). Contrairement à Garcia et Eyraud, j’ai plus du mal à détailler son apport réel, sans doute parce qu’il navigue entre ses deux pôles très marqués.

Quels sont les tops de la première partie de saison de l’OM ?

Alors dans les tops, l’état d’esprit de l’équipe, bon, voire très bon, j’ai connu des vestiaires de l’OM en mode Call of Duty, ça snipait dans tous les sens. Ça va de pair avec les résultats, évidemment, mais c’est à noter. Il y a de l’énergie et de l’allant. Sur les joueurs : Luiz Gustavo, que je n’attendais pas si important ; Adil Rami, pour ses perfs, son courage et sa fraîcheur, un super mec ; Bouna Sarr, pour ses prestations comme latéral droit, et surtout parce qu’il est sorti de sa zone de confort et a retourné l’opinion ; Jordan Amavi, vraiment intéressant, un guerrier. Après, on est sur du classique, Thauvin récite sa partition, Sakai, Mandanda et Rolando font le job, Lopez, Anguissa, Sanson ont des hauts et des bas mais cela fait partie de leur progression, c’est du work in progress.

Et les flops ?

Je ne mettrai pas le high-kick d’Evra, c’est un fait hors-norme, l’histoire de l’OM en est jalonnée, ça fait des anecdotes à raconter aux petits-enfants. Donc, Mitroglou, mais à replacer dans son contexte, la direction de l’OM est aussi responsable de ces premiers mois délicats, entre son achat de dernière minute sur un dossier symbolique, son état de santé précaire et son profil pas forcément adapté. Payet me déçoit, parce qu’en janvier 2017, on nous a vendu le 17e au classement du Ballon d’Or, et non du Ballon dort, pour reprendre un titre récent de l’Equipe. Ce n’est pas tant une question de niveau réel (son but face à Troyes rappelle l’esthète qu’il est), que de décalage avec le package « première star de l’ère McCourt ». Enfin, au niveau de la communication, l’agacement d’Eyraud ou de Garcia à la moindre critique/banderole/contrariété m’interpelle, l’OM est un club de passionnés, exigeant, éreintant, qui demande de la souplesse pour durer. C’est dommage d’avoir cette posture ‘‘Je n’oublie pas’’ quand les résultats sont bons. À Marseille, il faut profiter à fond des rayons du soleil lorsque les nuages sont passés.

Le méchant de L1 qui va tomber contre un Petit Poucet ?

Je vois d’énormes traquenards. Je pense que Nantes va galérer à Senlis, un Bordeaux toujours souffreteux se déplace chez un spécialiste de la Coupe, Granville, et peut tomber dans le trou normand. Mais ma grosse cote, c’est Montpellier, qui va à Pontarlier. Pontarlier. De l’autre côté du Mur, là où l’hiver est arrivé depuis longtemps.

Session one-shot "Chauve qui peut !"

Le plus technique : Arjen Robben ou Benjamin Nivet ?

Nivet, car il est tout simplement inimitable. Alors que j’observe le french Robben le week-end au Vélodrome, Flo Thauvin, avec la spéciale côté droit, course, repiquage, enroulé du gauche.

Le plus bad boy : José Anigo ou Elie Baup ?

Élie. Baup to be wild.

Le plus physique : Jaap Stam ou William Prunier ?

Stam, évidemment, le premier transporteur avant Jason Statham. Et Prunier, depuis que Téléfoot l’a immortalisé avec son éternel main dans le slip, il m’effraie moins. Ou plus, en fait.

À quel journaliste sportif à la chevelure incertaine conseillerais-tu de se raser la boule ?

Mélisande Gomez en Sinead O’Connor/Marco Verratti, cela pourrait avoir de la gueule, d’autant qu’elle parle super bien italien. Sinon, Hervé Penot, pour voir ce que donnerait Patrick Juvet sans sa crinière.

Tu es plutôt Bruce Willis dans Die Hard ou Walter White dans Breaking Bad ?

Deux mecs puissants, avec une vision optimiste de la vie. Mais je vais en choisir un troisième : Ciro di Marzio. Le personnage absolu.

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